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Le fait de la semaine

Dialogue social : Une première année décevante pour les CSE

Le fait de la semaine | publié le : 21.01.2019 | Benjamin D’Alguerre

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Dialogue social : Une première année décevante pour les CSE

Crédit photo Benjamin D’Alguerre

2018 n’aura pas été une année faste pour le dialogue social en entreprise. Loin de profiter de la mise en place des CSE pour innover, DRH et représentants du personnel seront restés frileux : les premiers profitant de la réforme pour réduire la voilure financière, les seconds s’interrogeant surtout sur le reclassement des anciens élus. Le tir pourra-t-il être corrigé en 2019 ?

La mise en place des comités sociaux et économiques (CSE) dans les entreprises avance… doucement, à en croire la note d’étape publiée en décembre 2018 par le Comité d’évaluation des ordonnances relatives au dialogue social et aux relations de travail de France Stratégie. En novembre dernier, seuls 10 500 établissements avaient procédé à la fusion de leurs CE, CHSCT et délégués du personnel au sein de la nouvelle instance unique. Quant aux conseils d’entreprise, intégrant les délégués syndicaux et dotés du pouvoir de négociation dans une optique de cogestion, ils se comptaient, à la même date, sur les doigts d’une seule main. Pour Marcel Grignard, ex-numéro 2 de la CFDT et coprésident du Comité d’évaluation (aux côtés de l’économiste de l’OCDE Sandrine Cazes et de l’ancien président du pôle social du Medef Jean-François Pilliard), les freins à la mise en place des nouvelles instances de dialogue social s’expliquent en partie par des raisons culturelles : « Le dialogue social français se distingue par une plus forte propension au conflit qu’ailleurs en Europe. Or, les ordonnances instaurent un énorme changement en proposant un modèle tendant à davantage de dialogue et de compromis. C’est un nouveau code culturel. Les RH et représentants syndicaux mettront un peu de temps à faire évoluer les pratiques. »

Première année décevante.

Avec cette réforme des IRP, le gouvernement souhaitait d’offrir davantage de souplesse aux DRH et élus du personnel en ramenant le dialogue social au niveau de l’entreprise. Sur ce plan, la première année d’application des ordonnances s’est révélée décevante. Là où un renouveau du dialogue social était attendu, le nouveau cadre a surtout redonné la main aux employeurs pour fusionner les instances existantes sans concertations préalables. « Il n’y a eu que peu de rendez-vous entre partenaires sociaux en amont des fusions pour discuter de leurs conditions et des nouvelles perspectives qu’elles allaient entraîner en termes de santé, de sécurité, de conditions de travail ou de représentation de proximité…, regrette Marcel Grignard. Beaucoup se sont lancés sans s’interroger sur la qualité du dialogue qui pouvait découler du nouveau cadre. » Pire : côté patronal, c’est avant tout une logique de réduction des coûts (diminution d’élus et d’heures de délégation) qui a motivé la fusion des IRP, sans réelles négociations, avec l’aide de la loi qui permettait de réduire de plus de 40 % le nombre d’élus et d’heures de délégation. Autre conséquence : l’élargissement du fossé existant entre grands groupes où le dialogue social est bien implanté et TPE et PME au sein desquelles il peinait déjà à exister avant les ordonnances et où celles-ci ont pu provoquer des blocages. « Côté petites entreprises, les ordonnances sont d’abord vues comme un moyen de légaliser des pratiques informelles, à partir d’une lecture uniquement juridique de ces textes », note le bilan d’étape de France Stratégie. Le rapport préconise des mesures d’accompagnement pour les chefs d’entreprise par les observatoires départementaux d’appui au dialogue social mis en place en 2018. Quant aux TPE (1 à 20 salariés), elles ne se sont jusqu’alors que peu saisies des opportunités de la réforme, notamment concernant les possibilités d’organiser un référendum interne. Seules 500 d’entre elles avaient ratifiées de telles consultations en octobre 2018 et s’agissait-il pour l’essentiel de traiter des questions liées au temps de travail. À l’autre extrémité du spectre, l’investissement des organisations syndicales dans la fondation des nouvelles instances est également limité, leurs principales sources d’inquiétudes étant jusqu’à présent liées à la réduction du nombre de mandats et aux interrogations sur le reclassement des anciens élus.

Risque de recentralisation du dialogue social

D’une manière générale, les accords CSE jusqu’à présent sont jugés peu satisfaisants et surtout peu innovants par le Comité d’évaluation. « Si les possibilités nouvelles de traiter plus largement d’une réorganisation du dialogue social (agenda, BDES…) existent, elles sont de fait peu utilisées », observe-t-il. Autres angles morts : le sort réservé aux commissions santé, sécurité et conditions de travail (CSSCT qui succèdent aux CHSCT) dont les articulations avec les CSE sont souvent éludées, « avec le risque que le CSE s’empare directement de ces questions sans contact direct avec le terrain et les traite avec un regard purement théorique, voire idéologique… », prévient Marcel Grignard. Quant au statut exact des représentants de proximité, ces représentants du personnel attachés aux établissements décentralisés sans véritables statuts d’élus, il n’est souvent pas creusé, faute d’une identification suffisante de leurs missions.

À l’exception de quelques accords notables (Solvay, Axa France…) qui leur donnent corps, ces représentants locaux restent perçus comme des élus de seconde zone, entraînant le risque d’une recentralisation du dialogue social au niveau du seul CSE du siège dans les entreprises multi-établissements. Faute d’accompagnement, c’est donc l’attentisme qui règne dans les directions. En revanche, lorsque des dispositifs d’appui (préparation au changement, aide aux diagnostics préalables ou formation des parties prenantes) sont mis en œuvre, notamment au service des PME comme le fait le réseau Anact-Aract, la facilitation est souvent au rendez-vous. Mais pas suffisamment pour en tirer une règle définitive puisque, de l’aveu du Comité d’évaluation, « ces entreprises ne sont pas représentatives. [Celles] qui font appel au réseau Anact-Aract et souhaitent être accompagnées ne sont pas les plus isolées et les moins informées ». Les branches, qui étaient également attendues sur l’accompagnement des entreprises se sont également peu mobilisées en 2018, déjà absorbées par leurs restructurations, mais aussi par la création des opérateurs de compétences et la question des contrats courts. Malgré la déception, le Comité d’évaluation se veut quand même optimiste pour l’année qui s’ouvre. « On ne s’alarme pas de cette absence de dynamisme en 2018 : les entreprises ont dû appréhender la nouvelle mécanique qui s’impose à elles, puis s’adapter à ce nouveau cadre. L’exercice n’est pas si aisé que cela. Beaucoup va se jouer en 2019 », explique Marcel Grignard. Côté institutionnel, c’est aussi cette année que les 96 observatoires du suivi du dialogue social devraient prendre leur vitesse de croisière et être en mesure d’apporter le soutien dont les DRH et IRP ont besoin pour assurer la transition vers le nouveau système de représentation. Le Comité d’évaluation, pour sa part, devrait reprendre ses travaux dès la fin janvier avec l’audition d’une quarantaine d’entreprises. Sous le signe de la vigilance, car le risque d’une dégradation du dialogue social est bien réel si le tir de 2018 n’est pas corrigé.

Les élus constatent une dégradation du dialogue social (étude Syndex)

Le temps n’est pas au beau fixe pour le dialogue social à l’ère des CSE, comme le confirme une étude Ifop pour le cabinet de conseil aux IRP Syndex publiée le 17 janvier. 55 % des 1 147 élus du personnel interrogés jugent le dialogue social dans leur entreprise « de mauvaise qualité » et 75 % se disent « inquiets » face à cette nouvelle donne sociale. Ils sont ainsi 41 % à penser que les nouvelles IRP affaiblissent le poids des représentants du personnel face aux directions et autant à déplorer qu’elles se traduisent par une diminution des moyens qui sont alloués aux élus. Si 81 % des installations de CSE ont été précédées de négociations, 36 % des sondés avouent qu’ils y étaient mal préparés, notamment du fait de la publication « au compte-gouttes » des décrets. Enfin, la recentralisation du dialogue social fait partie des sujets sur lesquels les élus tirent la sonnette d’alarme : dans les entreprises multisites, la réforme a eu pour effet de réduire le nombre de comités d’établissements de 8 à 5,9 en moyenne.

Auteur

  • Benjamin D’Alguerre