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Organisation du travail : Platform.sh, l’entreprise éparpillée façon puzzle

Sur le terrain | publié le : 14.01.2019 | Lys Zohin

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Organisation du travail : Platform.sh, l’entreprise éparpillée façon puzzle

Crédit photo Lys Zohin

L’entreprise distribuée nécessite certes des documents clairs et des process managériaux aboutis, mais elle permet de recruter des talents partout où ils se trouvent. Exemple avec cette start-up dont les 115 salariés travaillent, ensemble, sur quatre continents et 14 fuseaux horaires.

« Il faudrait plutôt demander dans quels pays nous n’avons personne… », sourit Frédéric Plais, cofondateur et PDG de Platform.sh, une start-up offrant des solutions cloud accessibles aux ingénieurs qui construisent des sites d’e-commerce ou autre. Si l’entreprise dispose bien d’un bureau à Paris, boulevard de Sébastopol, qui abrite en moyenne une quinzaine de salariés, ce Français de 45 ans veut tout simplement dire que ses équipes – puisqu’il ne s’agit pas de salariés de filiales de l’entreprise – sont éparpillées à travers la planète. En Europe, aux États-Unis – Frédéric Plais a d’ailleurs élu domicile à San Francisco –, en Asie : à Singapour, Hong Kong et Shenzhen, au Japon, en Inde, en Amérique latine, en Australie, en Nouvelle-Zélande… Au total, quelque 115 personnes actuellement, dont un grand nombre de développeurs, codeurs et autres « techies », distribuées « sur quatre continents et 14 fuseaux horaires », précise l’entrepreneur…

Cette « distribution » des effectifs n’empêche pas tous ces collaborateurs, qui n’ont pas, au-delà des horaires différents, les mêmes habitudes de travail, ni la même culture, ni la même langue, de contribuer, ensemble, aux outils techniques fournis par Platform.sh.

Envie de travailler ensemble

Un modèle organisationnel encore rare pour une entreprise, et qui, par définition, ne peut concerner que des sociétés offrant des services ou des outils dématérialisés. Pour Platform.sh en tout cas, le concept d’entreprise distribuée s’est imposé… presque par hasard. Dès ses débuts, en 2010, la société a été internationale. « Nos outils étant disponibles sur le cloud, ils intéressaient des développeurs un peu partout dans le monde », explique Frédéric Plais, pour poursuivre : « Puis, nous avons rapidement constaté que des contributeurs, et souvent de vrais talents pour concevoir les produits, étaient eux aussi situés un peu partout dans le monde. » Avec ce second constat est venue une certitude. Platform.sh pouvait se jouer d’une contrainte majeure, celle de la pénurie de talents dans son secteur, si elle recrutait les experts là où ils se trouvaient dans le monde pour les mettre ensuite en réseau et les faire travailler ensemble.

Pour cela, Platform.sh a quand même dû se mettre en ordre de bataille. Ou, en tout cas, formaliser documents et procédures afin de profiter à plein de cette organisation. Ce qu’elle a fait il y a deux ans et demi. Ainsi, raconte Frédéric Plais, « il a fallu sortir de la culture orale, puisque les collaborateurs n’étaient pas toujours présents aux réunions, même via des outils Internet ».

Faire vivre les territoires

Les dirigeants de Platform.sh ont d’abord élaboré une série de documents concernant la mission de l’entreprise, puis se sont lancés dans la description des produits – « une tâche essentielle, puisque c’est très technique et que les ingénieurs doivent pouvoir comprendre d’abord pour contribuer ensuite », explique le dirigeant. Tout a donc été passé au crible, des valeurs de l’entreprise aux procédures pour les notes de frais en passant par le coding et les questions d’accès et de sécurité, sans oublier les processus de recrutement, le « fit » culturel et l’onboarding. En forçant les cofondateurs de la start-up à réfléchir à tous ces sujets, le modèle d’entreprise distribuée a en quelque sorte « resserré les boulons ». « Cela a été un travail de fond tout à fait utile pour nous », confirme Frédéric Plais. Et bien sûr, la start-up s’est dotée de logiciels pour suivre l’évolution des projets et le temps passé, de même qu’elle a mis des outils à disposition des salariés pour qu’ils puissent partager des documents, dialoguer, etc. Enfin, pour s’assurer du lien, en plus de voyages ponctuels, elle organise tous les ans une rencontre physique – il y a quelques mois, c’est à Barcelone qu’une centaine de salariés du monde entier ont pu discuter pendant une semaine ou tout simplement se serrer la main pour la première fois, après avoir travaillé ensemble « virtuellement ». « Nous avons acquis beaucoup de maturité en deux ans et demi, relève l’entrepreneur. Nos process sont plus uniformisés, plus solides, et nous profitons pleinement de la diversité de points de vue et de cultures, c’est très bon pour l’ouverture d’esprit et la créativité. Nous constatons que les gens ont une très forte envie de travailler ensemble et notre taux de rétention est élevé. »

Ce Français de la Silicon Valley voit également d’autres avantages à cette forme d’organisation. Au-delà du fait que, en s’affranchissant des frontières, la société peut profiter de talents parfois rares partout où ils se trouvent dans le monde, « elle permet aussi à nos collaborateurs d’habiter où ils veulent, et même de faire vivre des territoires ». Pas de déracinement familial, pas d’heures de transport interminables, pas de loyer exorbitant si un salarié choisit plutôt une petite ville, voire une fermette à la campagne. Sans oublier qu’en région, dans l’Hexagone, ou dans certaines parties du monde, la concurrence entre entreprises du même secteur est moins forte… Ces derniers mois, Platform.sh a recruté, à travers la planète, une soixantaine de nouveaux collaborateurs, et compte faire de même en 2019. « Sans problème malgré la pénurie », précise le dirigeant.

L’entreprise distribuée n’aurait-elle donc que des vertus ? Attention tout de même… « Ce genre de système nécessite de faire confiance aux gens, rappelle Frédéric Plais. Or certaines cultures d’entreprise ont du mal à accorder un a priori de confiance. » De même, les managers doivent sortir de la culture de la présence ou du temps de travail pour se concentrer sur le résultat et la contribution. « C’est un point positif, puisque cela force beaucoup de managers à changer de méthode », affirme-t-il. Cependant, il ne cache pas les quelques écueils qu’il a encore du mal à contourner. À commencer par la formation des jeunes qui sortent de l’école. « Ils ont souvent besoin, pour leur premier job, d’un coach ou d’un mentor puisqu’ils découvrent le monde de l’entreprise », souligne Frédéric Plais. Mais comment faire si l’on est isolé dans sa salle à manger ? D’autant que certains ont du mal à travailler seul. Platform.sh a trouvé, plus ou moins, la parade, en offrant à ses jeunes recrues de travailler dans des bureaux partagés s’ils le souhaitent ou même dans ceux du boulevard de Sébastopol.

Attention au surmenage

Autre écueil, encore plus délicat, celui de la santé. « Nous avons des risques de sédentarisation et même d’obésité, déclare le promoteur de l’entreprise distribuée. Du coup, nous incitons autant que nous le pouvons nos salariés à faire du sport ». Autre risque, enfin, celui du surmenage. « Là aussi, nous conseillons aux collaborateurs de ne pas exagérer, et nous vérifions qu’ils prennent bien leurs congés.

Et nous les rappelons à l’ordre s’il le faut », déclare le dirigeant. Pas facile, toutefois, de tout vérifier, tout le temps, lorsque les salariés travaillent sur autant de zones horaires que ceux de Platform.sh… « C’est une chance énorme que les collaborateurs soient passionnés, mais nous ne voulons pas que cela devienne un risque.

De toute façon, si les gens travaillent trop, ce n’est pas une bonne chose sur le long terme. Il incombe donc à l’entreprise de veiller à ce que tout aille bien de ce côté-là », déclare Frédéric Plais. Malgré ces quelques réserves, ce Français est persuadé que l’entreprise distribuée peut être déployée à plus grande échelle (autrement dit, avec davantage de salariés). Il a même intégré un groupe de réflexion, The Galion Project, dévolu aux entreprises en hyper-croissance, pour réfléchir sur ce sujet, « qui pourrait être intéressant pour la France et ses territoires », conclut-il.

Qu’est-ce que l’entreprise distribuée ?

L’expression « entreprise distribuée » date des années 2000 et de la révolution technologique qui a permis à des salariés d’une même société de travailler ensemble, sans pour autant être les uns à côté des autres dans les mêmes bureaux. On a d’ailleurs parlé plus fréquemment d’entreprise sans bureau au début du phénomène. Et attention, pas question de confondre cette organisation avec une entreprise « virtuelle » ! Ce mot, rattaché là aussi à la technologie, n’implique pas, contrairement à l’entreprise distribuée, un lien entre des salariés.

Auteur

  • Lys Zohin