En période de tension dans certains secteurs d’activité, l’idée de réembaucher un collaborateur qui a quitté l’entreprise fait son chemin. Avec des avantages à la clé. Suivez le guide.
« Ne jamais insulter l’avenir »… C’est, pour le salarié, un mot d’ordre lorsqu’on décide de quitter son job. Mieux vaut partir en bons termes, on ne sait jamais. Et voici que l’idée est également adoptée par les employeurs. Finie l’amertume d’avoir été « plaqué » par un collaborateur. Finis les reproches mettant en avant un « manque de loyauté » au moment de l’entretien de départ… En cette période de fortes tensions sur le marché de l’emploi – dans certains secteurs, en tout cas – les DRH font fi de ce ressenti traditionnel. Au contraire, plus des trois quarts (76 %) des spécialistes en ressources humaines et des managers seraient disposés à recruter de nouveau d’anciens collaborateurs. C’est ce que révèle une étude de 2015 menée à l’échelle de la planète par Kronos, une société américaine spécialisée dans la gestion du capital humain, et par Workplace Trends, une entreprise britannique organisatrice de conférences sur les thèmes RH. Les experts du recrutement soulignent que cette tendance n’a fait que se renforcer depuis cette date – de même que les dispositions psychologiques des salariés eux-mêmes. Selon la même étude, 40 % des salariés sondés envisagent en effet sans difficulté l’idée de revenir un jour chez leur ancien employeur après avoir quitté leur poste.
Cette nouvelle forme de fluidité dans l’emploi pourrait donc désormais modifier les relations entre employeurs et employés et varier les parcours des collaborateurs. Et qui viendrait s’en plaindre ? L’exemple le plus connu et le plus emblématique de cet effet boomerang n’est-il pas celui de Steve Jobs, cofondateur d’Apple en 1976, « viré » par son conseil d’administration en 1985, et revenu en 1996 pour redresser la barre avec le succès que l’on sait ?
« L’effet boomerang était jusqu’ici courant dans des secteurs bien précis comme celui du conseil ou de l’audit, explique ainsi Florie Garnier, DRH de la plateforme immobilière MeilleursAgents. Certains spécialistes passaient de l’autre côté de la barrière, pour se frotter au monde des entreprises. Et puis, souvent, repartaient ensuite du côté du conseil. » Mais voici que cette nouvelle tendance est amplifiée par un effet générationnel. Les Millennials qui font leur entrée sur le marché du travail ont une vision tout à fait différente de leurs aînés. On ne reste plus chez le même employeur toute sa vie, on s’expatrie, on va, on vient. Et du coup, parfois, on revient… chez un ancien employeur.
Lancée il y a dix ans, la société MeilleursAgents a doublé ses effectifs sur les dix-huit derniers mois, pour compter 220 salariés aujourd’hui. Parmi les nouvelles recrues, une majorité de Millennials. « Nous savons que ces collaborateurs ne vont pas passer trente ans dans la même entreprise !, s’exclame Florie Garnier. Il est normal qu’ils veuillent savoir si l’herbe est plus verte ailleurs. »
Certains vont à la concurrence, « tandis que d’autres, explique la DRH, changent carrément de métier et s’essaient, par exemple, à une carrière artistique ». D’aucuns, enfin, veulent monter leur start-up. Leur envie satisfaite, et à défaut, parfois, de voir leur nouvelle profession devenir rémunératrice, certains reviennent… « au bercail ». Mais pourquoi devrait-on leur faire confiance, alors qu’ils avaient décidé de partir une première fois ? Certes, le risque d’un autre départ existe, bien entendu, mais ces nouvelles-anciennes recrues présentent néanmoins plusieurs avantages pour l’entreprise. « N’oublions pas les coûts cachés du recrutement, pointe Florie Garnier. La recherche d’un candidat totalement externe coûte cher, son acclimatation aux process et à la culture d’entreprise requiert des efforts d’onboarding plus grands que pour quelqu’un qui est déjà habitué aux collaborateurs et aux pratiques de l’entreprise. Enfin, ceux qui reviennent et que nous sélectionnons ont acquis une expérience et une expertise supplémentaires ailleurs, dont ils nous feront profiter. »
Autre avantage : ils prouvent aux salariés en poste que, décidément, « la soupe est bonne » ici et peuvent ainsi distiller, par leur simple retour, l’idée qu’ailleurs ce n’est pas forcément mieux. Presque paradoxalement, les « boomerangs » auraient donc la vertu d’accroître le taux de rétention… Enfin, « ceux qui, parmi nos collaborateurs, se posent la question d’un départ comprennent qu’il est aussi possible de partir et de revenir, puisque les salariés boomerang en sont la preuve », poursuit la DRH de MeilleursAgents. Cette promotion de la culture de l’entreprise auprès des autres collaborateurs serait un bienfait, selon la DRH. « Elle montre qu’il existe un bon environnement en général, mais en plus, elle incarne une caractéristique spécifique et qui n’est pas encore si fréquente », ajoute-t-elle. Bref, un atout supplémentaire, notamment pour se différencier en matière de recrutement… Dans son effectif actuel de 220 personnes, MeilleursAgents compte une douzaine de « boomerangs », soit 5,5 % des salariés. « Depuis mars 2018, deux collaborateurs ayant ce profil ont été réembauchés », dit-elle.
Pour les spécialistes en ressources humaines, les avantages de tels allers-retours sont donc clairs. Mais, pour en profiter, encore faut-il mettre une stratégie adéquate en place et la gérer… D’abord, relèvent les professionnels RH, il faut pouvoir suivre le parcours de ceux qui partent. Des outils existent dans ce domaine, qui permettent de repérer où sont ceux qui ont quitté l’entreprise au bout de quelques mois ou quelques années, de même, d’ailleurs, que ceux qui n’ont pas forcément été retenus au moment d’une candidature. Certains logiciels permettraient même de suivre les interactions (sur les réseaux sociaux, par exemple) entre des équipes actuelles et d’anciens collaborateurs. Bref, mieux vaut mettre en place un processus pensé plutôt que de compter sur le hasard des rencontres si l’on veut attirer des boomerangs ! Ensuite, lors de l’onboarding, rien n’empêche la DRH de sauter quelques étapes et de « customiser » un serveur en direction du salarié boomerang, histoire de rendre le processus plus fluide et d’éviter de lui faire perdre du temps avec des informations qu’il connaît déjà. Enfin, il faut bien entendu accepter, comme pour tous les autres recrutements, de se tromper… « S’il est clair que certains parmi ceux qui frappent à notre porte ne rentreront pas, parce que leur expérience se sera mal passée chez nous ou que nous avons été déçus par leur performance, nous ne sommes jamais à l’abri d’une erreur de casting pour les collaborateurs que nous reprenons », précise Florie Garnier. Certains « anciens-nouveaux » considèrent qu’ils doivent refaire leurs preuves et s’attellent à la tâche avec ardeur. De quoi développer « un nouveau sentiment de loyauté envers l’entreprise », conclut la DRH. D’autres peuvent avoir du mal à se réadapter et finissent par repartir… « Mais même si c’est encore pour une durée limitée, nous sommes souvent contents d’avoir eu un collaborateur boomerang, qui a apporté de la valeur à notre société », assure Florie Garnier.
L’effet boomerang n’aurait donc que des avantages ? Pas si vite… Certains DRH alertent sur le fait que le salarié distille une autre idée, néfaste, cette fois-ci, qui consiste à croire qu’un départ est la seule solution pour obtenir un poste plus élevé ensuite. « Nous ne proposons un poste plus élevé que lorsqu’il y a réellement une expérience de trois ou quatre ans ailleurs », précise à cet égard Florie Garnier. Mieux vaut donc d’abord avoir une politique de reconnaissance et de promotion interne pour éviter que sentiment ne prenne corps dans les équipes quand les salariés voient d’anciens collaborateurs de retour avec une belle promotion à la clé.