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Le grand entretien

« Les entreprises voient le CSE comme un outil d’accompagnement de leur stratégie »

Le grand entretien | publié le : 14.01.2019 | Nathalie Tran

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« Les entreprises voient le CSE comme un outil d’accompagnement de leur stratégie »

Crédit photo Nathalie Tran

Entreprise & Personnel (E & P) accompagne plus d’une centaine de grandes organisations privées et publiques dans la mise en œuvre de leur gestion des ressources humaines et de leur transformation dans une optique innovante et prospective, ce qui confère à l’association un regard privilégié sur les grandes orientations RH qui se profilent en 2019.

Dans quel état d’esprit les directions des ressources humaines mettent-elles en place leur comité social et économique (CSE) ?

Elles s’emparent du sujet comme d’un vrai chantier de transformation de leur dialogue social et pas simplement pour se conformer à un nouveau texte législatif. Elles se sont saisies du CSE dans l’idée de « passer d’une logique d’affrontement à une logique de compromis », pour reprendre les termes qu’elles utilisent, et veulent en faire un outil d’accompagnement des stratégies d’entreprise. En tout cas, elles ne le voient pas comme un moyen de faire des économies d’heures de délégation, du moins ce n’est pas leur objectif premier. Si la fusion des instances permet en effet de limiter le nombre de représentants de salariés, les grosses entreprises que nous accompagnons entendent leur donner les moyens d’exercer leur mandat. C’est vraiment une tendance.

Quelles sont les autres grandes tendances que vous voyez se dessiner ?

Les entreprises qui ont aujourd’hui mis en place leur CSE ont toutes créé des commissions santé sécurité (CSS) dotées et solides, ayant la capacité d’interagir avec l’encadrement de proximité, et cela, à des niveaux assez bas dans l’organisation. Elles ont abordé la question de la santé sécurité comme un enjeu de proximité. En revanche, la création de représentants de proximité est assez variable et très liée à l’histoire de l’entreprise. Celles qui avaient un grand nombre de délégués du personnel en local mettent souvent en place des représentants de proximité car il est difficile de couper ce lien, mais ce n’est pas une tendance.

Les partenaires sociaux ne cherchent-ils pas à calquer l’existant ?

Je n’ai pas ce sentiment, mais le changement doit se faire de façon progressive. Pour les entreprises qui disposaient d’un grand nombre d’instances, il n’est pas évident de s’orienter brutalement vers un dispositif très centralisé. L’étape d’aujourd’hui, qui peut être considérée comme une étape intermédiaire, va permettre de tester le fonctionnement du CSE. Quitte ensuite à le réajuster à l’occasion des prochaines élections car, pour l’instant, ce n’est qu’une vue d’esprit. Quoi qu’il en soit, l’objectif des entreprises est de construire un dialogue social plus stratégique avec des acteurs mieux formés aux enjeux de l’entreprise et aux modalités du dialogue social.

L’accent est donc mis sur la formation…

Beaucoup de nos adhérents ont organisé des ateliers de travail et des séminaires communs aux managers et aux représentants syndicaux, en amont des négociations, afin de leur permettre d’échanger entre eux sur les enjeux du dialogue social ainsi que sur la stratégie d’entreprise et favoriser ainsi la coconstruction. Maintenant que des accords ont été signés ici et là, les entreprises ont plutôt tendance à essayer d’adresser chacun des acteurs de manière spécifique. Elles souhaitent remettre le management au cœur du dialogue social et s’emploient à former les managers à tous les niveaux – du top management au manager de proximité – aux nouvelles formes que pourrait prendre le dialogue social et leur faire prendre conscience qu’il peut être source de performance globale. Par ailleurs, se pose aujourd’hui la question de la gestion prévisionnelle de l’emploi et des parcours professionnels des représentants syndicaux. Il va falloir permettre à ceux qui vont perdre leur mandat, et ont quitté le terrain de la production pure, de se remettre en situation d’activité. L’enjeu est double, car ces personnes ont acquis beaucoup de compétences et sont parfois en décalage avec leur métier d’origine, mais certaines aussi ont développé une culture d’opposition face aux stratégies d’entreprise et vont devoir changer le prisme.

Quelle est la clé ?

Cela passe par la formation et la démarche doit être exemplaire. Il faut engager des moyens, leur faire confiance et leur permettre d’exercer des fonctions intéressantes, responsabilisantes, qui correspondent à leur envie. Si l’on veut que les nouvelles instances fonctionnent et qu’un dialogue social de coconstruction autour de la stratégie de l’entreprise voie le jour, ce qui n’empêche pas le fait que chacun défende ses intérêts, il faut valoriser les parcours des représentants du personnel. Être élu doit être envisagé comme une étape dans une carrière et, donc, comme une expérience valorisante, et non pénalisante. Les organisations syndicales ont du mal à attirer des jeunes, c’est donc important si l’on veut susciter de nouvelles vocations. Chose récente, les fédérations de branches syndicales elles-mêmes ont intégré cette dimension et ont contractualisé avec des entreprises d’outplacement pour accompagner, en parallèle des démarches d’entreprises, leurs anciens représentants de salariés vers le retour à un emploi salarié classique.

Outre le CSE, pour celles qui ne l’ont pas encore mis en place, quelles vont être les priorités des DRH en 2019 ?

Les impacts de la digitalisation sur la façon de travailler restent une préoccupation majeure. Comment recréer du collectif, être agile, structurer les organisations pour tenir compte de l’évolution de la société et des problématiques de l’entreprise, favoriser l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée, attirer et fidéliser les talents (ou plutôt les compétences dont on a besoin), c’est-à-dire tout ce qui concerne la RSE, la marque employeur et l’expérience collaborateur, sont les principaux chantiers sur lesquels travaillent aujourd’hui les DRH. Les entreprises prennent conscience des effets pervers de l’accélération à laquelle nous sommes confrontés et commencent à s’intéresser au slow mouvement, qui les invite à prendre le temps pour en gagner et être plus performantes. Si elles repensent leurs sièges sociaux, notamment, ce n’est pas seulement pour faire beau, mais pour faire en sorte que l’espace soit un lieu où l’échange se produit et où le temps puisse s’arrêter pour permettre aux collaborateurs de prendre du recul. Ce n’est par humanisme mais parce qu’elles pensent que la performance passe par là. Par ailleurs, beaucoup d’entreprises du Cac 40 ont une grande partie de leur effectif à l’étranger. L’interaction culturelle et la façon dont les collaborateurs vont pouvoir faire des carrières internationales sont également, pour elles, des sujets centraux. Cette dimension est aujourd’hui intégrée dans l’ensemble des processus RH et de management, dès le recrutement. Qu’il s’agisse de digitalisation, de gestion des talents ou de QVT… elles pensent aujourd’hui leur politique RH de façon globalisée et internationale.

Parcours

Avant d’être nommé directeur général d’E & P, Frédéric Guzy était directeur adjoint des RH du groupe Aéroport de Paris. Après un DESS en sciences économiques et sociologie des organisations (Paris Nanterre), il intègre en 1998 le groupe ISS France pour mettre en place la réduction du temps de travail dans le cadre des lois Aubry. Il est ensuite DRH de différents secteurs de la RATP. De 2014 à 2016, il a été conseiller social du secrétaire d’État en charge des Transports puis conseiller entreprises et santé au travail auprès du ministre du Travail, de l’Emploi, de la Formation professionnelle et du Dialogue social.

Auteur

  • Nathalie Tran