Qu’il soit pensé pour lutter contre la pauvreté ou les mutations du travail, le revenu universel revient régulièrement dans l’actualité, avec son lot de controverses. Mais, loin d’être un phénomène de mode, « l’idée est née pendant la révolution française », rappelle Timothée Duverger, auteur de cet essai très réussi sur l’histoire du revenu de base. Croisant politique et contexte économique de l’époque, son livre retrace l’évolution et les débats autour de ce « droit au revenu » sur deux siècles, en Grande-Bretagne, en France et aux États-Unis. Le tout vu au travers de ses protagonistes : l’Anglais Thomas Paine « et sa justice agraire » en 1795, Charles Fourrier et « le minimum décent » en France en 1830 aux prémices de la révolution industrielle, John Meade et son « dividende social » pendant la crise des années 1930 en Grande-Bretagne ou Milton Friedman et son « impôt négatif » dans l’Amérique des années 1960. Ou sa relance lors du déclin de l’emploi dans les années 1980, de l’allocation universelle du Belge Philippe Van Parijs au RMI de Michel Rocard en 1988. Vivant, le livre illustre à merveille les batailles autour du revenu de base, défendu à gauche comme à droite, opposant défenseurs de la « valeur travail » à ceux prônant l’émancipation de l’individu : l’idée « est au centre d’un double mouvement, d’un côté le libéralisme économique qui vise à un marché autorégulateur, de l’autre la protection sociale qui vise à préserver l’homme et la nature des dégâts du progrès », résume l’historien. La dernière partie du livre, consacrée au revenu universel aujourd’hui en France et aux expérimentations à l’étranger, interroge les mutations actuelles du travail, dues selon l’auteur à la révolution numérique : risque de chômage accru par la robotisation défendue par Benoît Hamon dans son revenu d’existence en 2016, précarité des jeunes ou besoin de protection sociale des travailleurs indépendants des plates-formes. Timothée Duverger évoque d’ailleurs des initiatives venues de start-up elles-mêmes en Allemagne ou dans la Silicon Valley, qui lancent sur internet des loteries pour attribuer un revenu aux personnes à faibles revenus… Mais, sur le plan politique, il resterait selon lui des « tensions palpables » entre la recherche « d’innovation sociale » souhaitée par les régions désireuses de tester le dispositif et la valeur du travail centrale. Comme le projet d’Emmanuel Macron de fusionner certaines aides sociales dans un futur revenu universel d’activité, mais assorti d’obligations. Entre protection sociale et réduction des inégalités, le ton du livre reste assez neutre, appréciable sur un sujet aussi polémique. Un voyage instructif.