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Trois questions à Patrice Flichy Sociologue1 : Take Eat Easy : « L’arrêt de la Cour de cassation est un bouleversement important mais partiel »

L’actualité | publié le : 10.12.2018 | Gilmar Sequeira Martins

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Trois questions à Patrice Flichy Sociologue1 : Take Eat Easy : « L’arrêt de la Cour de cassation est un bouleversement important mais partiel »

Crédit photo Gilmar Sequeira Martins

La Cour de cassation a rendu le 28 novembre un arrêt qui requalifie en contrat de travail le lien existant entre la plateforme Take Eat Easy et ses livreurs. Quel en sera l’impact ?

L’arrêt est un bouleversement important mais partiel seulement. En Europe et aux États-Unis, des jugements favorables aux travailleurs indépendants des plateformes ont déjà été rendus, de même qu’en Espagne où un tribunal de Valence a requalifié en contrat de travail la prestation de livreurs de Deliveroo. En France, la Cour de cassation a clairement indiqué dans son arrêt du 28 novembre que, quels que soient les termes utilisés par les parties, il y avait bien un contrat de travail entre la plateforme Take Eat Easy et ses livreurs car elle a fait usage de la géolocalisation pour contrôler leur prestation et qu’elle exerçait également un pouvoir de sanction à leur égard. C’est la première fois que la chambre sociale de la Cour de cassation se prononce et cet arrêt marque un tournant mais elle ne s’est pas prononcée sur le fond, qui sera à nouveau examiné par la cour d’appel.

Cet arrêt va-t-il modifier l’économie des plateformes ?

Cet arrêt de la Cour de cassation vient souligner la fragilité du business model de ces plateformes. Il repose essentiellement sur la capacité à offrir du travail à des gens sans emploi. Ces livreurs sont essentiellement des étudiants ou des jeunes chômeurs qui n’ont pas toujours le savoir-faire social pour gérer les aléas d’une relation de service. Disposer d’un personnel plus fiable et plus qualifié peut être un atout. Ces plateformes sont déjà en train d’évoluer. Certaines se sont lancées dans une intégration verticale en intégrant la production de repas dans leur périmètre. Amazon vend désormais des produits sous sa marque et Drivy a commencé à s’équiper d’un parc de voitures, ce qui le place en rival direct des loueurs classiques. Uber réfléchit à la voiture autonome, ce qui le dispenserait de recourir à des chauffeurs. L’univers des plateformes est en fait très divers et seule une faible partie peut être impactée par l’arrêt de la Cour de cassation.

Que faut-il retenir de ce revirement de jurisprudence ?

Ce qui est intéressant, c’est de voir que s’est créée une zone grise avec une convergence entre l’autonomie dans la subordination de certains salariés et l’allégeance dans la dépendance économique des travailleurs des plateformes. Cette convergence se manifeste par le fait que les plateformes tentent de se rapprocher du salariat, en proposant à leurs travailleurs des avantages comparables aux droits des salariés comme la prise en charge des accidents du travail ou même des congés mais à travers un levier assurantiel.

(1) Auteur du livre Le travail à l’ère numérique (Seuil, 2017)

Auteur

  • Gilmar Sequeira Martins