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Femmes/Hommes : Le serpent de mer de l’égalité salariale

Le point sur | publié le : 26.11.2018 | Lys Zohin

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Femmes/Hommes : Le serpent de mer de l’égalité salariale

Crédit photo Lys Zohin

À la place du logiciel promis, la ministre du Travail, Muriel Pénicaud, a finalement annoncé une série de critères permettant de mesurer les écarts de salaires « inexpliqués ». Certaines entreprises se sont déjà dotées d’outils pour tenter d’y remédier.

La montagne a-t-elle accouché d’une souris ? À la veille de la Journée de la femme, le 8 mars dernier, aux côtés de Marlène Schiappa, la secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, Muriel Pénicaud avait annoncé une grande offensive contre les écarts de salaires « inexpliqués » entre les hommes et les femmes. Des écarts qui se chiffrent à 9 % en moyenne et atteignent 25 % sur l’ensemble d’une carrière et même 37 % sur le calcul de la pension de retraite. « C’est absolument scandaleux et injustifiable dans une République sociale qui dit “liberté, égalité, fraternité” », n’avait cessé de marteler la ministre du Travail. Bref, il fallait réagir et imposer une « obligation de résultat et non de moyens » aux entreprises, le tout inscrit dans la loi Avenir professionnel promulguée début septembre dernier. Pour ce faire, les entreprises seraient dotées d’un logiciel leur permettant de mesurer les écarts salariaux afin d’y remédier. Sylvie Leyre, DRH France de Schneider Electric, avait été missionnée pour définir, en juin, les modalités de mise en œuvre du logiciel, qui devait être testé à partir de septembre. Dès 2019, il devait être déployé dans les entreprises de plus de 250 salariés et en 2020, dans celles de 50 à 249 collaborateurs. Enfin, à partir de la fin 2022, la correction de l’écart constaté serait contrôlée. Avec des pénalités à la clé en cas de manquement.

Fausse bonne idée

Et puis… plus rien. Interrogée à l’automne par Entreprise & Carrières, Sylvie Leyre bottait en touche… Finalement, fini le logiciel, le gouvernement a annoncé officiellement, le 22 novembre, cinq critères (voir ci-contre) visant à déterminer les disparités salariales et de carrières, après les avoir présentés aux partenaires sociaux et revus par rapport aux suggestions initiales de Sylvie Leyre. Que s’est-il passé ? Non seulement la concertation avec les partenaires sociaux, cet été, avait laissé apparaître des inquiétudes, voire un rejet, de la part du patronat en particulier, quant à un logiciel unique, mais en plus, l’idée d’un outil d’auto-évaluation, à l’image de celui qui existe dans ce domaine en Suisse – mais sur la base du volontariat – permettant aux entreprises de participer à des appels d’offres publics, semble s’être révélé une fausse bonne idée, voire une usine à gaz. Un tel logiciel, « s’il permet de mesurer la discrimination, ne donne pas de pistes pour la corriger », estime d’ailleurs Léonard Fontaine, actuaire et spécialiste de ces logiciels chez Galea & Associés, une société de conseil qui accompagne les entreprises dans leurs travaux actuariels et leur gestion des risques. Ensuite, se demande-t-il, de quelles données parle-t-on ? Faut-il un spectre large, qui permet d’être le plus précis possible, ou un simple socle commun, plus réduit ? Et si des sociétés ne collectent pas certaines données ou si le logiciel est mal renseigné, que valent ces informations ? Sans oublier que les données RH ont une part de subjectivité et se fondent sur l’appréciation de la performance du salarié, son comportement dans l’organisation, son engagement… Dans ces conditions, seules les RH seraient à même de déterminer, quitte à modéliser les données, qui est discriminé et qui ne l’est pas sur la base du salaire. Et encore faudrait-il que le logiciel donne une liste nominative des personnes discriminées… « Il n’est pas forcément utile d’avoir un logiciel commun qui limite les conclusions, pointe Léonard Fontaine. Mieux vaut l’adapter à l’entreprise, et avoir une discussion avec les RH pour l’analyse des données. »

Corriger les écarts

À cet égard, des logiciels adaptés, visant à observer puis à corriger les écarts de salaires, existent déjà en France. Celui de Galea « signale aux RH ce qui se passe en matière de salaires, précise Léonard Fontaine. Ensuite, elles assument et argumentent ou elles se rendent compte de leurs biais inconscients ». Charge à elles de remédier au problème si nécessaire, avec une enveloppe qui peut s’avérer élevée. « Après avoir appliqué notre modèle, nous donnons les montants nécessaires dans notre rapport, puis nous le faisons tourner de nouveau pour nous assurer que les écarts ont bien été corrigés », poursuit ce spécialiste. Enfin, pas question de se contenter d’une seule observation. Le modèle doit être utilisé régulièrement. De fait, les écarts salariaux, même corrigés, tendent à se reformer au fil du temps, ne serait-ce que parce que certains managers opposent aux femmes qui demandent à être augmentées le fait qu’elles l’ont déjà été, alors qu’il ne s’agissait que d’un simple rattrapage…

Autant dire dans ces conditions que les entreprises devront s’appuyer sur un dispositif plus large que de simples critères, à défaut d’un logiciel unique ou d’outils taillés sur mesure pour elles par des fournisseurs internes ou extérieurs. Consultante spécialisée, Sylvia Lecardronnel, qui accompagne les entreprises dans leur stratégie d’évolution de carrière pour les femmes, entend encore trop souvent, dit-elle, lors de ses interventions en entreprise, des DRH se plaindre que les candidatures de femmes ne se bousculent pas pour un poste à responsabilités ouvert, par exemple… « Les entreprises doivent prendre conscience des freins culturels, qui font qu’une femme sur huit seulement a négocié son premier salaire, soit bien moins que les hommes, ou que les femmes ne postulent pas à un poste dont elles ne remplissent pas absolument tous les critères. Autant d’éléments qui sont sources de distorsions. Puis, les RH doivent adopter une stratégie », déclare Sylvia Lecardronnel. Une politique qui peut se fonder sur des choses simples et faciles à mettre en œuvre.

Stratégies RH

Au-delà du mentoring et de la formation des femmes (à la négociation salariale, par exemple…), cette spécialiste propose à ses clients qu’à chaque entretien professionnel, manager ou DRH questionnent systématiquement une femme sur son envie de prendre en charge un dossier plus vaste ou gérer une équipe plus étoffée. « Il faut aussi acclimater l’idée d’une promotion, poursuit Sylvia Lecardronnel. Une femme prend, sans doute plus qu’un homme, tous les pans de sa vie en compte. Or si une promotion la prend par surprise et qu’elle craint une désorganisation de sa vie personnelle et familiale, elle la refusera. Et n’oublions pas que la période de promotion dans la carrière d’une femme tombe souvent au même moment que la maternité. »

Autant dire que, logiciel ou pas, critères pertinents ou non, les organisations devront se doter d’une panoplie de solutions efficaces, si elles veulent en finir en bonne fois pour toutes avec les écarts de salaires inexpliqués d’ici au 31 décembre 2022. Après tout, elles ont désormais une obligation de résultat…

Auteur

  • Lys Zohin