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Le grand entretien

« Le bonheur au travail génère de la performance »

Le grand entretien | publié le : 26.11.2018 | Frédéric Brillet

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« Le bonheur au travail génère de la performance »

Crédit photo Frédéric Brillet

Alexandre Jost s’efforce d’éveiller l’intérêt des entreprises pour le bonheur, un concept plus opérationnel et moins utopique qu’il n’y paraît. Chaque année, il invite des dirigeants, DRH, responsables QVT, responsables RSE, managers, IRP, chief happiness officers à se former en trois jours aux moyens de le développer.

Fin novembre, vous inaugurez la troisième édition de l’Ubat. Quelles nouveautés présente le programme de cette année ?

Notre programme de trois jours au campus Serge Kampf les Fontaines s’organise autour de trois thèmes : « Je doute », « Je goûte », « Je shoote ». Pour le premier jour, nous sommes partis du constat que le concept de bonheur au travail suscitait une méfiance croissante et qu’il fallait donc se donner un cadre rigoureux pour rassurer. Le deuxième jour donne l’occasion aux participants de goûter des outils favorisant le bonheur au travail. Enfin, le troisième jour explore la manière dont on peut déployer une démarche globale : inspirations de héros du bonheur au travail, découverte des enjeux de la mesure du bonheur au travail et codéveloppement d’un plan d’action individuelle en sa faveur.

Comment évolue le sens de la notion de bonheur au travail ?

Le concept s’est focalisé successivement sur la santé au travail, la prévention des risques psychosociaux, la QVT (qualité de vie au travail), le bien-être et enfin sur le bonheur au travail évoqué en 2015 dans le documentaire éponyme de Martin Meissonnier qui a connu un grand succès d’audience. En 2018, nous percevons cependant l’émergence d’un happybashing, porté par les livres Happycratie et La Comédie inhumaine qui attestent d’une réticence vis-à-vis de ce thème. À la Fabrique Spinoza, nous persistons cependant à penser qu’il est porteur d’espoir, de progrès social et économique, à condition de l’aborder scientifiquement. Pour ce faire, nous nous référons à la définition de l’OCDE en 2013 dans son Guide pour mesurer le bien-être subjectif, qui distingue trois facettes du bonheur. Le bonheur hédonique renvoie à une prédominance dans son travail d’affects positifs (joie, sérénité…) sur des affects négatifs (colère, stress, etc.). Le bonheur évaluatif renvoie à la satisfaction d’atteindre les objectifs que l’on s’est fixé et le bonheur aspirationnel à l’appréciation du sens et de l’utilité de son travail. Défini ainsi, le bonheur au travail est à la fois un cap et un outil de diagnostic pour voir comment se portent les hommes et les femmes au travail. En zoomant sur ses leviers qui le favorisent, on peut conduire des transformations dans les organisations.

Pourquoi les entreprises se soucieraient-elles de bonheur, un concept éloigné de la bottom line et des préoccupations de rentabilité ?

Il en va d’abord de leur intérêt – et de leur image – éthique. Le travail ne doit pas se faire au détriment des salariés. Sur le plan économique, le bonheur au travail génère par ailleurs de la performance. Les neurosciences montrent que les individus malheureux deviennent agressifs, apeurés ou apathiques, ce qui diminue d’autant leurs capacités cognitives et leurs compétences. La psychologue Sonja Lyubomirsky a synthétisé 225 études différentes qui confirment ce lien entre l’épanouissement et la performance des collaborateurs. Des chercheurs en économie qui étudient le rapport entre performances sociales et économiques des entreprises et suggèrent que la grande majorité des entreprises qui prennent soin de leurs collaborateurs atteint de meilleures performances économiques. Mais pour éviter d’être assimilée à du happywashing, la démarche doit être sincère. Si c’est le cas, elle touche toute la chaîne de valeur et contribue à améliorer l’organisation, le management, la gouvernance et in fine la performance.

Quels exemples de réussite de cette démarche pouvez-vous donner ?

Zappos, le vendeur de chaussures en ligne, a choisi comme approche employee first et comme vision deliver happiness à une époque où les organisations se focalisaient sur le client. Zappos est allé jusqu’à supprimer les scripts pour les téléopérateurs, afin de laisser libre cours à leur humanité, créativité et liberté. Ces initiatives ont contribué à en faire un des leaders de ce marché avant de se faire racheter par Amazon. Plus près de nous, la CPAM 78 qui regroupe 1 300 personnes sur 15 sites s’est engagée progressivement dans une démarche similaire de prise en compte du bien-être des salariés. La CPAM a d’abord organisé une série de conférences pour questionner les croyances, puis des formations pour développer ou donner du sens, de la confiance, de l’autonomie et enfin de la méthode pour faire participer tout le monde. Dans un contexte économique difficile, au lieu de se fixer sur les objectifs, cette administration a privilégié le plaisir de bien faire son travail et de réussir tous ensemble. Au final, les équipes ressentent une amélioration de leur qualité de vie au travail. Sur cette plate-forme de services recevant plus de 1 800 appels quotidiens, le taux d’absentéisme a baissé de 30 % et le turnover a été divisé par deux.

Quel lien peut-on établir entre certains modes de management et d’organisation et le bonheur ressenti ?

On peut considérer que l’entreprise libérée favorise le bonheur en développant le sentiment d’autonomie. Mais il faut équilibrer cette démarche avec la mise en place de bonnes pratiques liées à la convivialité, voire à la bienveillance. En effet, les entreprises qui se libèrent peuvent pousser au départ des managers qui ne trouvent pas leur place dans la nouvelle gouvernance. Finalement, l’entreprise libérée représente une formidable modèle pourvu qu’elle soit tempérée par de l’humanisme.

Concrètement, comment une entreprise peut-elle s’inscrire dans cette démarche de bonheur au travail ?

Cette démarche relève d’un processus. Il faut écouter les collaborateurs – baromètres, enquêtes – ; aligner une vision du bonheur au travail – cocréation, plan d’action – ; impulser une démarche – événement marquant et énergisant – ; ancrer la transformation en faisant émerger des volontaires désireux d’agir en faveur du bonheur au travail. Ces volontaires que nous appelons passeurs peuvent être soutenus, rassemblés et animés en une grande communauté spontanée de champions internes.

Beaucoup d’initiatives – salles dédiées à la microsieste, personnalisation de l’espace de travail, droit de porter des chaussons au bureau… – participent du bonheur, y compris des plus surprenantes.

Quelles sont celles qui ont le plus d’impact sur le bonheur au travail et pourquoi ?

L’une des initiatives les plus impactantes consiste à organiser des réunions sur le sujet “comment mieux travailler ensemble” Inspirées des cercles de parole des lois Auroux, ces réunions permettent de réinventer le travail et de favoriser l’épanouissement. Il s’agit tout autant de libérer la parole que de créer des espaces où les collaborateurs se réapproprient leur travail. Les actions visant à renforcer les liens humains et la convivialité contribuent aussi fortement au bonheur en entreprise. IMATech et le groupe Hervé mettent ainsi en œuvre un droit au coaching individuel, des formations pour développer le savoir-être ou apprendre à communiquer de manière non violente.

Parcours

Diplômé de l’École centrale de Paris, puis de l’UC Berkeley en génie industriel, il commence à travailler à San Francisco pour le cabinet de conseil en stratégie Mars & Co et effectue des missions au Brésil, au Mexique, en Angleterre. Appelé par une quête de sens, il revient en France pour se dédier au développement du groupe SOS qui œuvre dans le social. En 2010, il crée le think-tank La Fabrique Spinoza qui vise à réintroduire le bonheur citoyen dans le débat démocratique. Dans la foulée, il lance en 2015 l’Université du bonheur au travail (Ubat) qui invite chaque année des dirigeants, DRH, responsables QVT, responsables RSE, managers, IRP, chief happiness officers à se former et s’outiller en trois jours sur ce concept afin de “libérer le bonheur dans son organisation”.

Auteur

  • Frédéric Brillet