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Le fait de la semaine

Personnes handicapées : Le difficile chemin vers l’emploi

Le fait de la semaine | publié le : 19.11.2018 | Sophie Massieu

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Personnes handicapées : Le difficile chemin vers l’emploi

Crédit photo Sophie Massieu

Le nombre de chômeurs handicapés demeure élevé et les entreprises restent très en deçà de leur obligation d’emploi de 6 %. Pour autant, de nouvelles stratégies de formation, des partenariats innovants avec les universités ou le secteur adapté, se mettent en place. Objectif : créer une meilleure adéquation entre profils des candidats et besoins de l’entreprise. Un pari en passe de réussir… à terme !

Vingt pour cent. C’est le taux de chômage des personnes handicapées, soit plus du double du pourcentage général. Elles sont aujourd’hui autour de 510 000 à rechercher un emploi. Dans le même temps, le taux d’emploi de ces bénéficiaires d’une reconnaissance en qualité de travailleur handicapé (2,7 millions en 2015, dernier chiffre connu) dans les entreprises privées s’établit, seulement, à 3,4 %. Et ce malgré l’obligation d’embauche fixée, depuis plus de trente ans, par une loi de 1987, à 6 %.

Les difficultés de recrutement expliquent, en bonne part, cet étrange paradoxe. Et compte tenu de l’actuelle réforme de l’emploi des personnes handicapées, notamment portée par la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, il devient urgent pour les entreprises de prendre le problème à bras-le-corps. En particulier parce que désormais, seul l’emploi direct sera comptabilisé dans l’obligation d’embauche de 6 %. C’en est fini de l’intégration dans ce taux du recours au travail adapté et protégé. « La suppression des unités bénéficiaires du secteur protégé est une bonne chose, commente Gérard Lefranc, directeur de la mission handicap de Thales Group. Pour une fois, on parlera de choses égales, c’est-à-dire de l’emploi direct. » Mais même plutôt globalement bien perçue, cette réforme invite à comprendre les blocages en matière de recrutement et les leviers d’action pour faire céder les digues.

Des process de recrutement inadaptés

PME et grands groupes ne sont pas freinés par les mêmes obstacles. « On rencontre peu d’entreprises hostiles à l’embauche de personnes handicapées, note Dominique du Paty, présidente de la commission handicap de la CPME. Mais bien souvent, elles ne connaissent pas les aides à leur disposition, ignorent qu’elles peuvent se faire accompagner… »

Au sein des grands groupes, selon Guy Tisserant, président et cofondateur du cabinet spécialisé TH Conseil, un blocage fondamental vient des process de recrutement : « Ils sont pensés pour standardiser. Les entreprises ont tendance à recruter des profils très ressemblants pour éviter le risque d’échec. Elles cherchent une pièce de puzzle qui rentre parfaitement dans une case, le poste à pourvoir. Et elles reçoivent tellement de candidatures que ces process servent surtout à en éliminer. » Pour lui, il convient donc de retravailler les modes de recrutement, ce qui bénéficiera à tous, et notamment aux nouvelles générations qui, elles aussi, comme les personnes handicapées, requièrent une prise en compte de leur singularité. Parmi les spécificités de ces salariés handicapés, on observe qu’ils sont plus âgés que la moyenne, le handicap survenant le plus souvent en cours de carrière. Leur parcours, pour cette même raison, échappe rarement à des interruptions ou sinuosités. Enfin, seuls 27 % ont le bac ou plus et un quart d’entre eux possède un niveau inférieur au CAP. Difficile, donc, de trouver des postes qui leur correspondent. D’autant que, observe Laurence Breton-Kueny, vice-présidente de l’ANDRH, « on a beaucoup externalisé la maintenance, la reprographie… »

Vers une « logique de qualification »

Pour sortir de l’impasse, il est urgent, selon la formule de Guy Tisserant, d’« entrer dans une logique de qualification ». À l’image des sociétés du secteur informatique qui, au début des années 2000, ont formé de nouvelles recrues, la nécessaire implication des entreprises dans la formation initiale et continue des personnes handicapées semble désormais faire l’unanimité. « Nous devons embaucher une compétence, pas un handicap », résume Dominique Du Paty. Et intervenir sur la formation en amont permet un meilleur sourcing, ce que Laurence Breton-Kueny estime d’autant plus précieux que les personnes handicapées diplômées sont très convoitées. Les former permet donc de les préempter, en somme.

Certains, à l’instar de Thales, ont signé des conventions Atouts pour tous, qui leur permettent, partout en France, d’intervenir dès l’enseignement secondaire, puis dans le supérieur, pour accompagner les jeunes dans la découverte des métiers nécessaires à l’entreprise. Cet accompagnement vers l’emploi préside aussi au choix de Thales de collaborer avec les centres de reclassement professionnel (CRP) pour « les faire monter en compétence, en particulier en informatique et électronique », explique Gérard Lefranc.

De son côté, Malakoff Médéric a noué des partenariats durables avec des universités : « Nous accueillons des étudiants handicapés en alternance dans le but de les garder une fois qu’ils seront diplômés, indique Stéphanie Le Dorner, responsable du développement des compétences et de la qualité de vie au travail. Nous travaillons donc à anticiper les besoins en recrutement de l’entreprise, grâce à la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences. » Une stratégie gagnante, au vu des 5,91 % d’emplois directs dans l’entreprise, qui continue de recruter 10 personnes handicapées par an. Outre ces partenariats universitaires, elle s’appuie également sur des sites spécialisés et se rend dans des forums dédiés pour initier des candidatures spontanées, quasi inexistantes chez les personnes handicapées. « L’entreprise n’est plus un frein chez nous. Nous avons réalisé de nombreuses sensibilisations. Mais bien sûr, le recrutement reste une affaire de timing, de rencontre de la bonne personne au moment opportun où un poste disponible peut lui correspondre. »

La piste des contrats tremplin

Face au manque de personnes suffisamment diplômées, le groupe Arkéa, qui recrute à bac + 2, a choisi de mettre en place un mode de recrutement spécifique aux personnes handicapées. Le bac en poche, elles peuvent bénéficier d’une formation prise en charge par l’entreprise. À 3,75 %, le taux d’emploi s’affiche encore loin de l’objectif, mais il a progressé de plus de 1 %, grâce notamment aux quatre promotions de formations déjà mises en œuvre.

Signé le 12 juillet dernier, un accord entre le ministère du Travail et trois associations gestionnaires d’entreprises adaptées pourrait, aussi, favoriser le recrutement de personnes handicapées. Le principe de « Cap vers l’entreprise inclusive 2018-2022 » ? Financer la création de 40 000 postes en entreprise adaptée, soit le doublement des effectifs. Ces entreprises du secteur adapté formeraient ces personnes, durant deux ans, au moyen de contrats tremplin. Ensuite, les entreprises classiques pourraient mieux les intégrer. Et certaines se montrent déjà très intéressées, à l’image de Thales. S’il tient ses engagements, l’État investira 500 millions d’euros dans ce dispositif. De quoi réjouir Laurence Breton-Kueny, qui souligne l’importance de l’emploi indirect pour le recrutement de personnes handicapées.

La 22e édition de la semaine européenne pour l’emploi des personnes handicapées se tient partout en France du 19 au 25 novembre 2018. Cette année, un focus particulier est mis sur les femmes en situation de handicap, victimes d’une double discrimination.

Auteur

  • Sophie Massieu