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Le grand entretien

« Les RH doivent être des numéros 2 dans l’entreprise »

Le grand entretien | publié le : 12.11.2018 | Lys Zohin

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« Les RH doivent être des numéros 2 dans l’entreprise »

Crédit photo Lys Zohin

Iconoclaste, l’économiste Nicolas Bouzou considère que les entreprises et leurs dirigeants ont perdu le sens et la finalité de leur fonction et tentent de cacher ce vide existentiel en suivant des modes comme la création d’open spaces ou les week-ends d’intégration avec accrobranche. Et si elles se mettaient à réfléchir à leur avenir ?

On parle beaucoup de bonheur en entreprise et pourtant, de l’absentéisme au burn-out, les salariés semblent n’avoir jamais été aussi malheureux…

Plus les organisations parlent de bonheur, plus je me demande effectivement ce que cela cache ! D’autant qu’il est clair que ce qui fait mon bonheur ne sera pas forcément ce qui fera le vôtre et qu’en plus, le bonheur n’est pas un état durable. On peut à la rigueur parler du phénomène de la joie (et de la performance), qui n’est d’ailleurs qu’une conséquence de l’épanouissement au travail. Toujours est-il que les organisations se rendent compte qu’il y a des problèmes de démotivation de la part des collaborateurs et tentent d’y remédier, mais avec de mauvaises réponses. Surtout en France, puisque l’idée de « poursuite du bonheur » fait surtout partie de la culture anglo-saxonne et pas de la nôtre… En fait, la seule chose que les salariés demandent, ce sont des conditions de travail qui leur permettent de faire correctement les tâches pour lesquelles ils sont payés et ce qu’on pourrait appeler une bonne ambiance – mais pas le bonheur. En outre, ce qui leur manque, malgré les beaux discours sur la question, c’est le sens et l’autonomie. Le sens, parce que nombre de dirigeants de société – souvent des techniciens et des technocrates, d’ailleurs, en particulier en France – n’ont pas de véritable vision. Ils n’ont pas de véritable projet et encore moins de notion d’un vrai destin collectif pour leur organisation. La preuve, lorsqu’on leur demande « pourquoi voulez-vous innover ? », la seule réponse apportée est « pour ne pas mourir, pour gagner des parts de marché ». Un peu juste, non ? Il faut donc « refinaliser » les organisations, pour qu’elles aient du sens, comme celui qu’Isabelle Kocher veut donner à Engie, avec la transition énergétique, ou comme Elon Musk, qui est peut-être cinglé, mais aller sur Mars, cela porte, tout de même ! Mon espoir dans ce domaine vient aussi des start-up, petites et grandes, qui, elles, sont souvent mues par une vraie mission, comme inventer un remède contre le cancer.

Et qu’en est-il de l’autonomie ?

Les entreprises ne savent pas faire, c’est d’ailleurs pourquoi elles répondent par le « bonheur »… L’autonomie, qui va avec la responsabilisation, s’appuie sur l’idée toute simple qu’il faut donner les moyens et laisser des marges pour que les salariés accomplissent leurs tâches. Il ne s’agit pas de « liberté » ! Il y a toujours une verticalité dans les entreprises, il faut simplement tenter de concilier verticalité et autonomie et donner aux collaborateurs les moyens d’une mission, avec quelques règles mais pas trop… Au lieu de cela, les organisations sont encore trop dans le contrôle, elles n’ont pas assez confiance. Le résultat, ce sont des process qui prolifèrent, des reportings qui se multiplient, des e-mails collectifs à n’en plus finir, des open spaces avec cette obsession de la transparence…

Au-delà de la « refinalisation », que faut-il faire au jour le jour pour relancer la machine ?

D’abord, procéder par petites touches, qui peuvent en fait avoir un effet massif et culturel. Par exemple, nous préconisons, dans La comédie (in)humaine (voir ci-contre), d’interdire la plupart des réunions, en particulier en fin d’après-midi, et des powerpoints, qui ne servent absolument à rien, surtout si rien n’est préparé ni suivi d’effets. Nous conseillons également de jeter les pointeuses – les gens intelligents ne pointent pas ! – or je constate qu’y compris dans de grands cabinets de conseil du quartier de La Défense, il existe encore de telles horloges… Il faut aussi éviter les brainstormings, desquels rien, jamais rien d’intéressant ne sort et supprimer les activités ludiques dans les séminaires d’entreprise : arrêtons avec l’accrobranche et les escape games ! J’ai une amie psychologue qui reçoit dans son cabinet des cadres qui sont très malheureux et veulent s’extraire à tout prix de ces activités.

Par ailleurs, il faut faire la part belle au télétravail, aussi bien pour la confiance (à condition de ne pas envoyer un message de défiance inouï aux salariés en instaurant des jours qui ne sont pas collés aux week-ends, de peur que les télétravailleurs se la coulent douce ou refuser le mercredi, qui a pour effet de s’en prendre aux femmes) que pour la concentration. À cet égard, mieux vaut des espaces tranquilles où les collaborateurs peuvent réellement se concentrer et travailler plutôt que des open spaces. Enfin, de manière plus générale, il faut revisiter les intitulés de postes pour qu’ils correspondent à quelque chose de clair, et non pas « chargé de mission », et que l’organigramme fasse sens pour tous les collaborateurs, de même qu’il faut cesser de promouvoir aux postes de management des techniciens, sous prétexte qu’en France, on ne valorise que les diplômes et les intellectuels et qu’on n’aime pas les techniciens. Du coup, il faut vite leur donner une autre fonction ! Mais c’est comme si, à Air France, on mettait à la tête de l’entreprise le meilleur pilote. Je suis sérieux, cela a été envisagé à une époque ! Mieux vaut avoir, comme c’est enfin le cas, un vrai chef d’entreprise… Tout ceci implique évidemment d’établir également une nouvelle politique de gestion du personnel et des augmentations. Dernière chose : il faut perdre cette habitude de nommer des dizaines de personnes à des postes de middle management. Il y en a beaucoup trop dans les entreprises françaises.

Quel devrait être le rôle des DRH dans ces nouveaux fonctionnements que vous appelez de vos vœux ?

Il faut en effet revaloriser la fonction de DRH. Le spectre s’est quasiment réduit au respect du droit du travail et à la gestion de la paie, d’où une crise d’identité chez les DRH. Or leur vrai rôle est de faire venir les meilleurs dans l’entreprise et les garder. Les spécialistes RH doivent donc être des numéros 2, aux côtés des hauts dirigeants, de la même façon que l’est la fonction financière. Par ailleurs, nous en appelons au retour du vrai leader charismatique. Il y en a très peu dans les entreprises françaises, et beaucoup trop de techniciens qui créent de la mauvaise autorité.

Pensez-vous malgré tous les malentendus évoqués que la France va réussir à pivoter ?

Oui, je suis très optimiste. Nombreux sont les cadres et les dirigeants qui nous ont dit à propos de ce dernier livre que nous mettions en mots ce qu’ils ressentaient, un vrai #Me.too pour eux ! La parole étant libérée, il faut que chacun, dirigeant, cadre, collaborateur, ait le courage de changer les choses, de mettre en application les choses simples dont nous parlons. Il en va de l’innovation à venir, une nécessité pour l’économie.

Parcours

Économiste et essayiste libéral, Nicolas Bouzou est diplômé de l’université Paris-Dauphine et a un master de finance de l’IEP de Paris.

2006 : après avoir été analyste en chef de l’institut de prévisions Xerfi, il fonde son cabinet de conseil et d’analyse économique, Asterès.

2010-2012 : Il siège au Conseil d’analyse de la société auprès du Premier ministre François Fillon.

2017 : Parmi les nombreux ouvrages qu’il a écrits, dans Le travail est l’avenir de l’homme (Éditions de l’Observatoire), Nicolas Bouzou estime que le développement de l’intelligence artificielle ne va pas conduire à la fin du travail.

2018 : La comédie (in)humaine (Éditions de l’Observatoire), avec Julia de Funès. Alors qu’entre réunions interminables et escape games, l’entreprise s’est vidée de son sens, les deux auteurs proposent des solutions concrètes pour redonner une finalité aux organisations.

Auteur

  • Lys Zohin