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Le fait de la semaine

Évolution managériale : Entre ruptures et longue marche

Le fait de la semaine | publié le : 12.11.2018 | Lys Zohin

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Évolution managériale : Entre ruptures et longue marche

Crédit photo Lys Zohin

Professeur à l’université Paris-Dauphine, Sébastien Damart est aussi chercheur aux Dauphine Recherches en management (UMR CNRS). Au Salon du management, qui se tient du 13 au 14 novembre à Paris, il explorera les nouvelles tendances en matière de gestion humaine, impactées aussi bien par l’IA que par l’arrivée des Millennials sur le marché du travail.

Sébastien Damart prévient tout de suite : « Certaines méthodes de management que l’on dit nouvelles, voire révolutionnaires ou de rupture, ont été élaborées dès les années… 30 ! » C’est vrai notamment pour le décloisonnement horizontal dans les organisations et de la notion selon laquelle le management doit « servir la communauté », au même titre que la responsabilité sociétale et environnementale des entreprises. Et si, effectivement, les méthodes de management évoluent – ne serait-ce que sous l’effet de l’intelligence artificielle et des outils prédictifs – ce professeur à l’université Dauphine, spécialiste de management, qui intervient sur les innovations en la matière au Salon du management (les 13 et 14 novembre prochains à Paris), note que la révolution est loin d’être terminée. Les méthodes traditionnelles, verticales, hiérarchiques, ont encore la vie dure… Et puis, attention aux nouvelles modes.

À cet égard se pose avec toujours plus acuité la question de l’utilisation des données des salariés – par qui et à quelles fins, et même le danger d’éventuelles manipulations des collaborateurs, que l’on enjoint à « s’engager » ou à « être heureux »…

Injonction au bonheur

En évoquant ces derniers éléments, Sébastien Damart en profite pour tordre le cou à certaines « légendes urbaines », comme il le dit. Parmi les mythes : l’entreprise dite libérée, « qui peut aliéner d’autres façons, dit-il, ne serait-ce qu’en raison de l’exigence sociale qu’elle induit et du regard des autres sur les comportements de chacun ». Autre danger, cette « injonction au bonheur » devenue omniprésente. « Le risque, avec l’arrivée dans certaines organisations d’un chief happiness officer, est de voir refluer d’autres fonctions, en particulier dans le domaine RH, avance ce spécialiste. Or la direction des ressources humaines ne peut faire l’économie d’une vraie politique, aussi bien en ce qui concerne la formation, l’évolution de carrière, le bien-être… ». Toutes ces mises en garde étant faites, Sébastien Damart pointe néanmoins des tendances intéressantes dans les organisations d’aujourd’hui. « Les logiques transverses se développent et incluent l’intrapreneuriat, note-t-il ainsi. Les salariés ont, d’une manière générale, davantage de possibilités de développer des projets ou de rejoindre une start-up pour une période d’immersion. Dans tous les cas, davantage d’autonomie est laissée aux collaborateurs. » La suite logique de cette transversalité et de cette autonomie accrues, c’est un décloisonnement qui, lui-même, revisite le concept de leadership. « Puisque la position verticale et hiérarchique est moins fréquente, le leadership devient en conséquence plus collégial, certains disent même plus liquide », explique le professeur de Dauphine.

Autre tendance lourde, l’impact, qui va s’accentuer, de l’évolution générationnelle liée à l’arrivée des Millennials dans l’emploi. « Une génération de slashers, de pivoteurs, de zappeurs », comme la décrit Sébastien Damart, et qui, en travaillant sous divers statuts, pour plusieurs entreprises, ou à différents métiers, a pris l’habitude de changer en permanence. Or cette capacité d’aller d’une situation à une autre, y compris, d’ailleurs, dans l’acte entrepreneurial, est de nature à apporter de grands bouleversements dans les organisations. Au-delà des questions de management (logiquement plus fragmenté face à ces slashers, mais qui doit quand même cultiver l’intégration, notamment pour des raisons d’agilité), une autre interrogation doit tarauder les organisations : Quid de l’engagement des collaborateurs habitués à « zapper » d’un job à un autre ? Quid de leur loyauté ? S’il semble que certaines entreprises se soient faites à l’idée qu’il est impossible de retenir les Millennials – quitte, parfois, à les laisser partir se faire la main ailleurs et mieux les réembaucher ensuite – la question du taux de rétention et du coût du turn-over ne peut laisser les managers indifférents…

Transformation de la valeur

Quant à la transformation numérique, si elle a été chantée sur tous les tons par les observateurs, Sébastien Damart estime que sa composante majeure, l’intelligence artificielle, a été essentiellement perçue jusqu’à présent comme une opportunité de développer la relation client. « Son utilisation en ce qui concerne le management est encore balbutiante », dit-il. Une émergence qui ne laisse pas de poser des questions, d’ailleurs. S’il existe bien un arsenal de protection des données, notamment au sein des entreprises, cet universitaire se demande quand même ce que l’on doit faire avec des logiciels pouvant, en « moulinant » des données, prédire le taux d’absentéisme à un certain moment de l’année – ou le taux de réussite à une formation… À propos de formation, d’ailleurs, Sébastien Damart note que la transformation numérique est déjà passée par là, permettant aux collaborateurs de se former, seuls, gratuitement, et sur ce qu’ils veulent, qui plus est… « Autant dire que le plan de formation traditionnel doit être revu », dit-il. En outre, un plan réactualisé inclura peut-être des nouveautés telles que la formation immersive, à base de réalité virtuelle…

Enfin, le professeur Damart entrevoit une nouvelle dimension au management, qui s’inscrit, cette fois-ci, dans la notion de « valeur ». Au même titre que l’entreprise elle-même est de plus en plus soumise à des responsabilités sociétales et environnementales, « on peut penser que les systèmes de management devront prendre ces éléments en compte. L’impact social et environnemental pourra ainsi être l’un des critères d’appréciation du travail des managers, un indicateur clé de sa performance ». Une façon de redonner vie à la notion de « service à la communauté » – et de donner une nouvelle valeur au management.

Réhabiliter les managers

Selon l’enquête d’OpinionWay du début octobre sur 1 000 salariés (managers et non-managers), 62 % des sondés (dans ce cas, les seuls non-managers) déclarent qu’ils « ne souhaiteraient pas devenir managers s’ils en avaient la possibilité ». Les inconvénients (pression, horaires à rallonge…) l’emportent sur les avantages (rémunération…). En outre, 38 % des non-managers (et 41 % des managers) jugent la fonction inutile ! En tout cas, « elle n’est plus statutaire, précise Anca Jomain, directrice du département management d’OpinionWay. Et le manager doit être un catalyseur, un coach ». D’où un malentendu : les critères objectifs sur les soft skills manquent et les directions notent toujours leurs managers sur leurs résultats opérationnels, tandis que les équipes attendent surtout ces compétences relationnelles. Reste donc, pour réhabiliter la fonction, à trouver un équilibre…

Auteur

  • Lys Zohin