logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Le pont sur

3 questions à Maurice Thévenet : « Les entreprises doivent d’abord se demander si elles ont besoin de l’engagement »

Le pont sur | publié le : 22.10.2018 | Sophie Massieu

Image

3 questions à Maurice Thévenet : « Les entreprises doivent d’abord se demander si elles ont besoin de l’engagement »

Crédit photo Sophie Massieu

Pour Maurice Thévenet, professeur à l’Essec et directeur de la Fondation nationale pour l’enseignement de la gestion des entreprises, l’engagement est plus ou moins nécessaire et il doit être interprété au-delà des indicateurs quantitatifs.

Entreprise & Carrières : Que pensez-vous de l’idée selon laquelle on s’engage de moins en moins pour son travail et dans son entreprise ?

Maurice Thévenet : Il est difficile d’avoir des chiffres précis. Mais, à force de tenir ce discours, on va en faire une prophétie auto-réalisatrice. Plutôt que répéter « Les collaborateurs s’engagent moins », ce qui repose sur des réponses déclaratives, mieux vaudrait se demander comment interpréter ce constat. Est-ce parce que les institutions sont considérées comme anciennes et dépassées ? Est-ce que la capacité d’engagement, toujours élevée, ne s’investit pas plutôt ailleurs ? Dans la création d’activités nouvelles, par exemple, avec la forte progression de l’entrepreneuriat ou des préoccupations autour de la transition écologique. L’engouement pour l’entrepreneuriat me semble expliquer que l’engagement se manifeste dans de nouveaux domaines, davantage que la conciliation entre vie professionnelle et vie privée, qui n’est pas nouvelle. Par ailleurs, il ne faut pas négliger que le travail devient une dimension secondaire de nos vies : nous vivons plus longtemps, commençons plus tard, avons beaucoup de vacances… Aujourd’hui, les décisions liées au travail sont de plus en plus la conséquence de ce qui se vit en dehors, à l’inverse de ce qui se passait il y a 50 ans. Bien souvent, on ne décide plus d’autres choses à faire dans sa vie en fonction de ce qu’impose le travail, une fermeture d’usine en août, par exemple, qui obligeait à poser ses vacances à ce moment et pas à un autre.

E. C. : Que peuvent faire les employeurs face à ces phénomènes qui conduisent peut-être malgré tout à un engagement moindre de leurs collaborateurs ?

M. T. : Les entreprises doivent d’abord se demander si elles ont besoin de l’engagement. Qu’un manager rêve d’avoir des collaborateurs engagés, c’est normal. Mais de manière concrète, est-ce réellement nécessaire pour le business ? Cela dépend des situations. Par exemple, lorsque l’expérience que vit le client fait la performance, là, l’engagement n’est pas seulement un objectif, c’est une contrainte. Mais que dire des activités que les entreprises sous-traitent ? Donc les entreprises doivent commencer par être claires sur ce qu’elles attendent et pourquoi elles veulent de l’engagement.

E. C. : Peuvent-elles le mesurer de façon pertinente ?

M. T. : Il existe trois types d’instruments principaux pour le quantifier. D’abord des questionnaires purement déclaratifs. Deuxième outil : des enquêtes plus subtiles qui vont aborder la question de façon détournée en demandant par exemple aux gens s’ils se sentent concernés par ce qui se passe dans l’entreprise ou s’ils veulent rester. Dernier instrument, encore peu mis en œuvre mais qui pourrait se développer : il s’agirait d’étudier un certain nombre de comportements révélateurs de l’engagement. Par exemple, combien de fois un commercial a-t-il rappelé un client ou quel est son niveau d’absentéisme. Chaque instrument a ses défauts et l’important est de savoir ce que l’on en fait : il faut dépasser la présentation des résultats bruts qui n’apportent pas grand-chose pour proposer une approche différentielle, comparative, d’une année à l’autre, ou sur différents sites ; d’autre part, il faut que ces enquêtes servent à faire de l’engagement un sujet de discussion au sein des équipes. Il faut comprendre ce que ces indicateurs révèlent. À défaut, le risque serait de travailler sur l’indicateur pour obtenir de meilleurs résultats plutôt que sur le fond de ce qu’il pointe.

Auteur

  • Sophie Massieu