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Le fait de la semaine

Assurance chômage : Contrats courts : un scénario contraignant pour le patronat

Le fait de la semaine | publié le : 22.10.2018 | Benjamin D’Alguerre

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Assurance chômage : Contrats courts : un scénario contraignant pour le patronat

Crédit photo Benjamin D’Alguerre

Un système de bonus-malus qui ferait varier les cotisations patronales annuelles des entreprises de 0,75 % à 7 % de leur masse salariale en fonction de leur usage des CDD, c’est la menace qu’agite le gouvernement en cas d’échec de la prochaine négociation sur l’assurance chômage. Au grand dam des employeurs.

Patrice Boulard va-t-il voir le montant de ses cotisations patronales passer de 4,05 % de sa masse salariale (taux actuel) jusqu’à 7 % ? Pour ce patron de PME charentais, qui dirige Retour de plage, un atelier de création et de vente de bijoux fantaisie dont 50 % de l’activité est réalisée pendant la période estivale, c’est un risque. La raison ? Sa société, qui emploie 50 salariés à l’année, voit cet effectif quasiment doubler pendant les trois mois d’été pour renforcer ses équipes commerciales et satisfaire les besoins des touristes. Or, ce recours régulier à des CDD de courte durée pourrait lui coûter cher à l’avenir. Du moins, si le scénario de bonus-malus sur les contrats courts, exposé aux organisations syndicales et patronales par le ministère du Travail quelques jours après l’envoi de la lettre de cadrage sur la future négociation d’assurance chômage, venait à prendre corps.

CDD, intérimaires, saisonniers et alternants

Car l’épée de Damoclès du bonus-malus pèse toujours sur les employeurs de contrats de courte durée. Si le sujet ne figure qu’en filigrane dans la lettre de cadrage, il est cependant bien inscrit dans la loi « pour la liberté de choisir son avenir professionnel ».

Et le gouvernement ne semble pas vouloir enterrer cette promesse de campagne d’Emmanuel Macron. Début octobre, les organisations patronales ont été briefées sur les hypothèses du ministère du Travail concernant la mise en place de cette taxation des contrats courts. En premier lieu, le bonus-malus ne s’appliquerait pas seulement aux CDD de moins d’un mois (dont il avait été question lors de l’ANI assurance chômage du 22 février 2018), mais à toutes les fins de contrat donnant lieu à une inscription à Pôle emploi, « c’est-à-dire les CDD, l’intérim, les saisonniers ou même les alternants », détaille-t-on au Medef.

En outre, la variation des cotisations patronales se verrait étalée dans une fourchette allant de 0,75 % de la masse salariale pour les entreprises les plus vertueuses à 7 % pour celles dont les pratiques donnent lieu à de fréquentes ruptures de contrats. Seuls les employeurs de moins de onze salariés ne seraient pas concernés. « Si ce projet va jusqu’au bout, c’est un coup de canif donné à la confiance que les entreprises accordent à ce gouvernement. Cette mesure serait à ce quinquennat ce que la pénibilité a été pour le précédent ! », indique un patron de fédération professionnelle. Selon les calculs du ministère, si ce barème devait se voir appliqué, 40 % des entreprises se verraient appliquer le bonus maximum (0,75 %), 30 % le malus maximum (7 %), le reste oscillant entre ces deux extrêmes. « 30 % des entreprises taxées à 7 % de leur masse salariale ? C’est quasiment l’équivalent du CICE ! », s’agace un proche de Geoffroy Roux de Bézieux. « On connaîtrait des variations du taux de cotisations sociales de plus ou moins 80 % », calcule pour sa part Jean-Michel Pottier, numéro deux de la CPME en charge des affaires sociales. Avec, à la clé, une injustice de traitement entre entreprises pouvant donner lieu à une forme de dumping sur les tarifs pratiqués. « Si mon entreprise compte neuf salariés, je ne suis pas assujetti à ces variations. J’en emploie onze ou douze ? J’y ai droit ! Cela pourrait créer une énorme distorsion de concurrence entre entreprises sur les mêmes territoires », poursuit-il.

Selon le dernier diagnostic partagé de l’Unédic sur le développement des contrats courts (septembre 2018), 9 % des embauches seraient réalisées en CDD et 2 % en intérim. Pour autant, notent les experts à l’origine de l’étude, il existe une forte augmentation des contrats courts dans les embauches depuis quinze ans. Certains secteurs professionnels en sont particulièrement friands comme l’hôtellerie-restauration, les « activités de services administratifs et de soutien » (notamment dans le domaine des sondages et études de marché), le spectacle ou l’hébergement social et médico-social (particulièrement les Ehpad).

Et à en croire les chiffres du fichier national des allocataires de Pôle emploi, presque un tiers de ces contrats seraient signés pour une durée de moins d’un jour.

« Le gouvernement agite sa main gauche »

Aux yeux du patronat, le dispositif de sanction prévu par le ministère du Travail ignore la réalité de l’emploi, notamment temporaire. « Les employeurs voient leur activité économique de plus en plus détériorée. Aujourd’hui, il arrive qu’une affaire tombe un vendredi soir et que le chantier doive débuter le lundi suivant, nécessitant le recours à des renforts de main-d’œuvre. Si ce système venait à être instauré, de nombreux employeurs préféreraient refuser certains contrats plutôt que de devoir recourir à des intérimaires ou à des CDD », observe François Asselin, président de la CPME et dirigeant d’une entreprise de menuiserie d’art. « Il faut arrêter de faire rimer contrats courts et précarité : pour certains, alterner périodes d’emploi et de chômage rémunéré est un choix de vie ! », s’indigne Hubert Primas, DG du groupe Butard, spécialisé dans le service traiteur et l’organisation de réceptions dont l’effectif de 180 salariés peut occasionnellement être renforcé considérablement (jusqu’à 3 500 cuisiniers et 13 000 maîtres d’hôtel) à l’occasion de grands évènements.

Pour la CPME, qui préférerait que la réduction de la permittence passe par des sanctions sur les salariés qui refusent un CDI à l’issue d’un CDD, par une réduction des droits rechargeables qui permettent de cumuler emploi et chômage ou même par une refonte du régime des intermittents du spectacle coûteux pour l’Unédic, le bonus-malus prévu par le gouvernement aurait une conséquence : celle de pousser les employeurs à recourir au travail indépendant, à l’emploi détaché, voire au travail clandestin. « Le problème, c’est que, sur ce dossier, on sent que le gouvernement agite sa main gauche pour satisfaire les syndicats », soupire François Asselin, avertissant cependant que, dans la négociation à venir, sa confédération « négociera sur tout, sauf sur le bonus-malus ». Alors que, côté Medef, on s’interroge encore sur la stratégie à adopter.

La réduction de la précarité et de la permittence faisait déjà partie des objectifs fixés dans les feuilles de route des négociations Unédic de 2017 et assurance chômage de 2018. Les partenaires sociaux, sous la pression patronale, avaient choisi de renvoyer le sujet à des négociations dans les branches… lesquelles, à de très rares exceptions (métallurgie, industries du médicament) se sont empressées de ne rien faire. La menace du bonus-malus brandie par le gouvernement serait-elle un coup de bluff adressé aux organisations patronales pour qu’elles poussent les branches à s’impliquer concrètement ? « Ce n’est pas impossible », répond une figure patronale.

Auteur

  • Benjamin D’Alguerre