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Gestion RH : Expatriation : les nouvelles règles du jeu

Le point sur | publié le : 01.10.2018 | Lys Zohin

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Gestion RH : Expatriation : les nouvelles règles du jeu

Crédit photo Lys Zohin

Le profil des expatriés, ou plutôt, de ceux qui le sont encore, a changé. Ils sont plus jeunes et moins masculins. Du côté des DRH, l’heure est à la gestion de carrières mondiales, pour des talents venus des quatre coins de la planète. Explications.

« Comment justifier d’envoyer un Français du siège à Shanghai alors que les universités là-bas sont mieux cotées que les nôtres et que les talents locaux sont disponibles ? », se demandait Antoine Voisard, spécialiste des RH internationales pour le groupe Bolloré, à l’occasion d’une récente table ronde organisée par des anciens de HEC. En outre, ajoutait-il, « nos clients – des multinationales – qui ont eux-mêmes embauché un Chinois sur place, ne comprendraient pas que ce dernier ait un Français pour interlocuteur… » Autant dire que les tendances, en matière d’expatriation, ont changé ces dernières années.

Fini le temps où un professionnel, en l’occurrence un homme blanc de plus de 40 ans, allait « prêcher la bonne parole » et imposer les standards du siège dans les filiales à l’étranger. Si la crise économique de 2008 est passée par là, réduisant dans son sillage les packages très confortables – et très coûteux – des « expats », c’est, au-delà de cette pression, un changement d’état d’esprit qui s’est progressivement fait jour au sein des entreprises, sur fond de mondialisation.

L’ethnocentrisme, comme les spécialistes RH le surnommaient, consistant à systématiquement envoyer un salarié du siège dans un pays étranger pour un poste d’encadrement, a cédé la place à une volonté de profiter des talents locaux, puis, au moins dans certains grands groupes, à un souci d’offrir une mobilité et une carrière mondiales aux meilleurs talents – d’où qu’ils viennent.

« Ce n’est pas la nationalité qui compte, ce sont les compétences », confirme ainsi Latifa Taleb-Serre, head of international mobility chez L’Oréal. De fait, dans certains grands groupes, les expatriés, que l’on appelle parfois « global nomads » ou des « global talents », sont des talents repérés comme tels et que l’on forme à travers un parcours international construit pour qu’ils (ou elles) intègrent un jour l’équipe des hauts dirigeants, ou alors des experts, qui apportent une valeur ajoutée en aidant pendant un temps une filiale à l’étranger. Conséquence, si Bolloré, qui privilégiait – et privilégie encore en partie, de l’aveu même de son spécialiste RH internationales – les Français pour les envoyer en Afrique, berceau historique de son déploiement international, sa vision évolue, tandis que chez Schneider Electric, Marie Vezy, au poste de RH Global et vice-présidente de la communauté RH du groupe, travaille déjà activement à la gestion de carrière des professionnels venant de « pays tiers », pour leur offrir une évolution régionale, en Asie du Sud-Est, par exemple, voire mondiale, de même que Latifa Taleb-Serre chez L’Oréal.

Des « locaux plus »

Cela ne veut pas dire pour autant qu’aucun salarié français, chez Schneider Electric, ne part en expatriation « mais seuls les hauts potentiels identifiés se voient proposer un poste », précise Marie Vezy. Le discours est le même chez L’Oréal. D’aucuns, dans ces entreprises ou dans d’autres, veulent quand même tenter l’aventure, et partent pour prendre un poste assorti de conditions qui n’ont rien à voir avec celles d’un véritable expatrié. Non seulement ces « locaux » ne bénéficient pas d’avantages, telle la prise en charge de l’école française sur place pour leurs enfants, par exemple, mais en plus, ils doivent se contenter, aux États-Unis en particulier, de congés payés bien moindres qu’en France, et consentir un effort financier considérable pour une assurance maladie, sans parler de congés maternité, non payés et de 12 semaines seulement outre-Atlantique…

De quoi donner naissance à un autre phénomène, celui des « locaux plus » – autrement dit, des salariés français en contrat local, mais amélioré de plusieurs avantages négociés individuellement avec la DRH, au siège en France. Et de quoi, en conséquence, semer la zizanie entre « vrais » et « faux » locaux dans les équipes, entre Français et ressortissants du pays – ou d’autres – dans lequel se trouve la filiale… « Au nom de l’équité, nous avons décidé d’abandonner ce système », précise d’ailleurs la spécialiste de Schneider Electric, tandis que Bolloré y réfléchit, conscient du même problème d’équité, sans parler des problèmes de management qui vont avec…

On le voit, les entreprises ont opéré plusieurs virages en matière de politique d’expatriation ces dernières années, en fonction de l’évolution de l’économie mondiale et de leur stratégie. Et cela pourrait d’ailleurs continuer… Alors que les grands groupes français ont à peine eu le temps de s’appuyer sur des talents locaux voilà que ces professionnels préfèrent maintenant travailler pour des start-up ! Si ce phénomène commence, selon le constat de Marie Vezy, à poindre « en particulier en Chine », il pourrait s’étendre à l’avenir à l’Inde, voire à l’Afrique…

En parallèle, la technologie n’a cessé de favoriser « l’aplanissement » du monde, et de permettre de travailler en équipe, en mode projet, mais chacun « chez soi » – autrement dit, à Paris, Bangalore, New York ou Lisbonne – grâce à des plateformes d’échanges. Enfin, plus récemment, un autre développement, politique, cette fois, incite également les entreprises à une révision de leur politique de mobilité : le protectionnisme accru de la part de pays « receveurs » souhaitant préserver l’emploi pour les ressortissants locaux, à l’image des États-Unis, qui ne cessent, sous l’administration Trump, de restreindre l’accès au visa H1-B, devenu synonyme de spécialistes en provenance d’Inde dans la Silicon Valley.

Doubles carrières

Conséquence de toutes ces évolutions, les expatriés d’aujourd’hui ont peu en commun avec ceux d’hier.

Ainsi, alors que les femmes étaient généralement cantonnées aux rôles d’accompagnatrices, elles sont de plus en plus nombreuses à faire une partie de leur carrière à l’étranger. Si les chiffres sont peu fiables, on parle néanmoins d’une proportion qui serait passée, à l’échelle de la planète, de 5 % de professionnelles expatriées dans les années 1980 à environ 20 % à 25 % actuellement. Et les entreprises sont d’ailleurs de plus en plus nombreuses à aider les conjoints ou les conjointes – par le biais, notamment, d’accord avec d’autres groupes français sur place – à décrocher un job afin que les couples mènent réellement des doubles carrières (voir par ailleurs).

Autre évolution, liée au coût des packages d’expatriés, les entreprises envoient non seulement moins de personnel à l’étranger mais ceux qui partent sont en général plus jeunes (et moins chers, donc, aussi bien en termes de salaires que de frais liés à une famille : grande maison, école pour les enfants…). Il ne s’agit donc plus d’imposer, dans une filiale à l’étranger, la vision bien acquise d’un cadre aguerri, mais de permettre à un jeune d’apprendre des autres dans son métier tout en élargissant son horizon culturel. D’ailleurs, les jeunes, qui ont souvent fait une partie de leurs études à l’étranger, ne concevraient pas une carrière professionnelle sans au moins un séjour à l’extérieur de leur pays. À cet égard, selon le dernier rapport Talent Mobility 2020 du cabinet de conseil PWC, 85 % des jeunes Français voient les choses de cette façon.

« Ce qui ne veut pas dire non plus qu’ils veulent passer toute leur vie à l’étranger, prévient toutefois Marie Vezy, de Schneider Electric. Privilégiant avant tout leur qualité de vie et les relations avec leurs proches, ils nous demandent souvent des périodes plus courtes à l’étranger ou même des occasions de voyager mais en restant basés en France », poursuit-elle. Charge, une fois de plus, aux DRH de répondre à ces désirs, afin de fidéliser ces jeunes talents.

Profils multiculturels

Les DRH se concentrent également sur d’autres tâches, comme celle de construire des profils réellement multiculturels, en offrant la possibilité aux meilleurs de faire leurs armes dans plusieurs filiales à travers le monde, quel que soit, d’ailleurs, leur pays d’origine. Une stratégie qui découle parfois, comme dans le cas de Schneider Electric, d’acquisitions un peu partout dans le monde, et qui donnent lieu à la constitution d’un vivier de talents dont il serait dommage de se priver ! L’objectif est donc, pour les RH, d’offrir une mobilité « globale » à certains profils, identifiés comme des leaders de demain. Ils (ou elles) seront donc envoyés aussi bien au siège en France que dans de grosses filiales, aux États-Unis ou ailleurs, pour développer leurs atouts, peaufiner leur expertise et prendre un jour une place dans l’équipe de direction générale.

Et bien entendu, les RH ont à cœur de former les cadres au management à distance et au management interculturel. Chez L’Oréal, par exemple, cette formation est incluse dans l’accompagnement en amont pour ceux qui partent, mais aussi pour ceux qui accueillent, à Paris, des professionnels venus de l’étranger pour rejoindre les équipes. Des équipes qui, chez L’Oréal, Schneider Electric ou d’autres grands groupes français, sont d’ailleurs de plus en plus « diversifiées » en ce qui concerne l’origine géographique.

Enfin, dernier élément dans le paysage en évolution constante de la mobilité mondiale, la volonté de sortir des standards occidentaux pour adapter aussi bien la formation que les packages aux spécificités régionales. Pour des raisons parfois surprenantes : « La même formation prend moins de temps à être dispensée en Asie qu’en Amérique du Nord, le “rythme” des salariés n’étant pas le même », soulignent ainsi certains DRH. « En matière de formation, nous tentons de créer un socle commun mais aussi de prendre en compte le local et le culturel. Il s’agit d’un équilibre subtil entre l’aspect local et les enjeux du groupe, entre intégration et différenciation », confirme ainsi le spécialiste des RH internationales de Bolloré, Antoine Voisard. Qu’elles le veuillent ou non, d’ailleurs, les RH sont confrontées à ces différences culturelles… « Nous réfléchissons désormais à prendre en compte un élément notable en Asie, le fait que les talents locaux se déplacent avec leurs ascendants, les grands-parents s’occupant souvent des jeunes enfants du couple », explique la spécialiste de la mobilité chez L’Oréal. La question n’est pas encore tranchée, mais la réflexion en cours est la preuve que de grands groupes français ont non seulement troqué définitivement « l’ethnocentrisme » dans leur stratégie de mobilité des collaborateurs mais qu’en plus, au-delà de valeurs communes, les RH commencent à adopter une approche différenciée géographiquement.

Marie-Laure Charles
« Souvent la seule »

« J’ai longtemps été la première puis souvent la seule », déclare sobrement Marie-Laure Charles. Elle fait référence aux années 80, lorsqu’elle a monté une filiale pour le groupe Accor au Chili. Ou lorsqu’elle était, de 2006 à 2008, PDG de Thales, toujours au Chili, ou PDG d’ECA, une entreprise spécialisée dans la robotique sous-marine et les simulateurs de vols, au Brésil, de 2010 à 2013. Si elle se réjouit de l’arrivée, ces dernières années, de davantage d’expatriées, elle se demande encore s’il ne s’agit pas « d’une mode, comme la RSE ». Le constat est sévère, et sans doute prend-il sa source dans les difficultés qu’elle a connues à ses débuts. Personne, à la DRH, pour lui demander si son conjoint suivait ou non, par exemple, se souvient-elle… Si les choses ont évolué, avec de nombreuses initiatives de la part des DRH, qui font coacher la famille entière, pour s’assurer que petits et grands, conjoint et conjointe adhèrent au projet et s’évertuent à trouver des points de chute pour le « suiveur ». « Les entreprises sont encore à la traîne », s’insurge Marie-Laure Charles. Au point de prôner des quotas et des amendes, comme pour d’autres « minorités », comme les handicapés par exemple… L. Z.

Auteur

  • Lys Zohin