logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Le fait de la semaine

Enquête : Le spleen des cadres

Le fait de la semaine | publié le : 24.09.2018 | Benjamin d’Alguerre

Image

Enquête : Le spleen des cadres

Crédit photo Benjamin d’Alguerre

Plusieurs enquêtes menées dans le courant de l’année 2018 traduisent un vrai malaise chez les cadres. Mal rémunérés par rapport à leurs responsabilités et compétences, ils voient en outre leurs conditions de travail se dégrader. Et ils s’interrogent sur leur identité alors que la négociation sur leur statut persiste à patiner…

Chez les cols blancs, l’ambiance est au vague à l’âme. Quatre baromètres, publiés entre les mois de mars et de septembre 2018 (respectivement Ifop-Cadremploi, Apec, Viavoice-Secafi-Ugict-CGT et CFDT cadres), confirment le blues de l’encadrement, conséquence d’une dégradation de leurs conditions de travail et de l’absence de reconnaissance de la part de leur hiérarchie. Bref, les cadres, ces salariés d’un genre particulier dont le statut conjugue théoriquement autonomie, responsabilité et association aux décisions de l’entreprise, traversent une profonde crise identitaire. « Aujourd’hui, on ne peut plus raisonner sur l’identité du cadre à partir de la seule notion de hiérarchie comme en 1947, lorsque ce statut a été défini pour la première fois », explique Jean-Luc Molins, secrétaire national de l’Ugict-CGT. Motif ? Avec le développement des qualifications et des professions éligibles à ce statut, la notion même d’encadrement a perdu de son sens. Selon les calculs cégétistes, 60 % des salariés en CDI peuvent y être assimilés, au lieu des 40 % recensés par l’Apec. Ce qui explique peut-être la réticence des employeurs à les rémunérer selon les grilles attachées à ce statut : selon l’étude de l’Ugict-CGT, parue le 13 septembre dernier, un nombre croissant de cadres (53 %) jugent que leur rémunération est en décalage avec leur implication dans l’entreprise. 59 % estiment qu’elle ne correspond pas à la réalité de leurs heures de travail. Et que dire des jeunes cadres et ingénieurs fraîchement diplômés et parfois recrutés pour des salaires n’excédant pas 25 000 euros par an ?

« Infantilisés »

Ce sentiment de déclassement, pas uniquement financier, est confirmé par l’étude CFDT cadres dévoilée le 18 septembre : « Le temps consacré par les cadres au management s’est considérablement réduit. En outre, ils sont de moins en moins impliqués dans les stratégies des entreprises puisque seuls 25 % des sondés indiquent l’être encore. On constate une dichotomie de plus en plus croissante entre les Codir et les managers, faute de temps et d’espace dédiés aux échanges entre directions et encadrement », estime Laurent Mahieu, secrétaire général de la CFDT cadres. Conséquence : les cadres se contentent le plus souvent d’exécuter des ordres venus d’en haut de façon mécanique. « Les cadres se sentent infantilisés. Lorsqu’ils demandent à être associés aux décisions, on leur répond qu’ils ne sont pas en mesure de comprendre les stratégies de l’entreprise ! », poursuit le cédétiste. Ce que traduit le baromètre de la centrale de Belleville. Selon les données collectées, 51 % des cadres se plaignent du manque de soutien de leur hiérarchie, notamment des services RH (69 %). 64 % déplorent l’absence de lieux et de temps de partage avec leurs pairs ou leurs supérieurs (notamment au travers des entretiens professionnels). Soit une dégradation très nette par rapport à la précédente enquête de 2013 menée par le syndicat. Détail notable : ce constat est largement partagé par les cadres du privé et ceux de la fonction publique. Dans cette dernière, d’ailleurs, la perte de sens du travail peut parfois être à ce point mal acceptée qu’elle se traduit par des démissions et des départs vers le privé, jugé moins étouffant. « On pensait que la logique numérique déployée dans le secteur public apporterait plus de transversalité. C’est le contraire : elle renforce la hiérarchie ! », note Catherine Blanc, de la CFDT cadres. Effet immédiat : certains secteurs, comme la pénitentiaire, manquent cruellement de personnel d’encadrement.

Alors, les cadres, des salariés comme les autres ? À la CFE-CGC, leur syndicat de référence, on tempère cette « normalisation » du rôle de l’encadrement, tout en reconnaissant cependant qu’une transformation sociale s’opère… vers le bas. « Dans la petite entreprise, marquée par la polyvalence des missions, le cadre est encore souvent associé aux décisions de la direction. Dans les grandes, en revanche, on est passé d’une relation gagnant-gagnant entre encadrement et direction à une simple gestion des ETP. L’évolution des systèmes de reporting a entraîné l’idée que les comités de direction pouvaient tout piloter, ce qui est très démotivant pour les cadres. Mais c’est une mauvaise idée car elle oublie que les bonnes décisions se prennent à tous les échelons », analyse Gérard Mardiné, secrétaire national à l’industrie et à l’économie au sein de la confédération de la rue du Rocher.

De 27 000 à 30 000 euros par an

Nés avec l’entreprise industrielle hiérarchique et verticalisée, les cadres seraient-ils en train de disparaître avec elle, poussés vers le cimetière des éléphants par le développement des structures « agiles », « souples » et horizontales ? Gérard Mardiné en doute : « Le développement du travail en mode projet qui voit les salariés en charge d’importantes responsabilités sur des sujets transversaux renforce au contraire le rôle clé des cadres dans les entreprises », estime-t-il. Faut-il encore que ces compétences soient reconnues à leur juste valeur. Manifestement, ce n’est pas le cas… sauf à en croire l’enquête de l’Apec qui note une légère augmentation (+ 2 %) de leur rémunération brute médiane, soit 49 100 euros par an. Encore l’Association reconnaît-elle que ces salaires en hausse sont davantage la conséquence de l’amélioration de la conjoncture économique générale que d’une volonté des directions de remettre leurs cadres dans la course. Toutefois, selon ce baromètre, la progression des rémunérations devrait se poursuivre « soutenue par un optimisme croissant des cadres quant à leurs perspectives salariales ». Certains, cependant, ne croient pas vraiment à ces lendemains qui chantent. « L’Apec est une association paritaire où siègent patrons et syndicats de salariés… les questions de leurs enquêtes sont parfois posées de manière à ne fâcher personne », sourit Jean-Luc Molins, administrateur et trésorier de l’Association. Quant à l’augmentation des rémunérations, elle n’est pas remise en doute, mais replacée dans son contexte. « Seuls 10 % des cadres disposent de salaires supérieurs au revenu médian », assure Laurent Mahieu. La moyenne se situe plutôt autour de 27 000 et 30 000 euros annuels.

Dans ces conditions, la plupart des organisations syndicales comptent beaucoup sur la négociation sur le statut des cadres ouverte en février 2017 pour ripoliner ce statut qui n’avait pas connu d’évolutions depuis… 1983. Problème : celle-ci – qui n’avait jamais réellement débuté faute d’une réelle implication patronale – s’est brutalement arrêtée avec le départ surprise de Serge Vo-Dinh, le chef de file du Medef. Depuis, l’organisation de Geoffroy Roux de Bézieux promet qu’un successeur lui sera trouvé et que la négociation redémarrera. Mais le temps file et rien ne semble venir du côté de l’avenue Bosquet…

Auteur

  • Benjamin d’Alguerre