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Le fait de la semaine

Prélèvement à la source : Les affres des entreprises

Le fait de la semaine | publié le : 17.09.2018 | Gilmar Sequeira Martins

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Prélèvement à la source : Les affres des entreprises

Crédit photo Gilmar Sequeira Martins

Déjà pratiqué dans une majorité de pays européens, le prélèvement à la source va enfin être lancé le 1er janvier 2019. Outre les coûts de préparation et de mise en œuvre, les entreprises redoutent surtout une série de répercussions qui vont impacter les services RH, puis, à plus long terme, leur politique de rémunération individuelle et collective.

Après une dernière valse-hésitation, le prélèvement à la source (PAS) sera bien mis sur orbite le 1er janvier, au grand dam de François Asselin, président de la CPME : « C’est la troisième fois en un an que nous sommes contraints de modifier les logiciels de paie. Il y a d’abord eu la modification relative à la simplification, puis, en mai, celle qui devait faire ressortir le gain de pouvoir d’achat du salarié, et maintenant le prélèvement à la source. » Quant aux maigres avantages vantés par le ministère des Finances, ils ont produit l’effet inverse de celui escompté : « Bercy nous a servi l’avantage de la trésorerie mais les entreprises ne vont pas placer pour une semaine ou quinze jours l’argent des impôts de leurs salariés », soupire François Asselin.

Le dispositif, en dépit de toutes les précautions et tests déjà réalisés, reste d’une redoutable complexité. Le calcul de l’assiette peut en effet être affecté par différents paramètres. Arnaud Sainte-Marie, directeur associé du cabinet Fidal, responsable du pôle paie, estime que le versement des indemnités journalières de sécurité sociale par les entreprises subrogées aura tout du dossier « épineux » : « En cas de maladie non professionnelle, l’entreprise est tenue d’effectuer la retenue à la source pendant 60 jours mais cette limite n’existe pas dans le cas d’un accident du travail. L’assiette de calcul varie aussi en fonction des mêmes paramètres : dans le cas d’une maladie non professionnelle, 100 % des indemnités sont imposables et donc soumises à la retenue à la source mais seulement 50 % en cas d’accident du travail. Le cas des apprentis et des contrats courts (durée inférieure ou égale à deux mois) présente lui aussi des règles particulières. Les services RH peuvent se tromper dans ces calculs compliqués, ce qui peut susciter des demandes de la part des salariés. »

Un comportement « pas évident »

Une telle complexité laisse nombre d’entrepreneurs dubitatifs sur la suite des événements, à l’instar de Fabienne Nazaraly. Elle dirige Orea Hotels Management, une société qui gère 22 hôtels et édite chaque mois 450 bulletins de paie. Une partie des salariés sont à temps partiel, ou en « contrat d’extras ». « S’ils ont plusieurs employeurs et sont en même temps indemnisés par Pôle emploi, eux seuls connaissent leur revenu global qui va varier mensuellement, constate Fabienne Nazaraly.

Il y a aussi le cas de personnes qui ont d’autres revenus, locatifs par exemple, susceptibles d’évoluer selon qu’ils ont des locataires en place ou pas. Auront-ils le réflexe d’aller sur le site internet de la DGFiP pour modifier leur taux ? Je ne suis vraiment pas sûr qu’ils le fassent tous. Ce n’est pas un comportement si évident. »

Benoît Serre, DGA RH du groupe Macif, s’inquiète de la fiabilité des informations qui seront transmises par l’administration et des réactions des salariés : « J’ai une crainte concernant les éléments que nous allons recevoir. S’il y a une erreur de taux, le salarié va peut-être estimer que c’est à l’entreprise de lui rendre le trop-perçu ou à l’entreprise de lui rembourser une différence injustifiée de prélèvement. » Déjà préoccupant pour une grande entreprise, un tel cas de figure peut prendre une tournure dramatique s’il atteint une structure de taille réduite.

Même sans erreurs de calculs, Jean-Claude Charlez, président de l’ANDRH, anticipe déjà une surcharge de travail pour les services RH : « Le PAS va avoir plusieurs effets car le montant du salaire net sera affecté et parfois de façon significative. Il y aura inévitablement des salariés qui vont aller voir les services RH car nous sommes responsables de l’édition des bulletins de paie, mais nous ne serons pas en mesure de fournir une explication sur le taux ou quelque autre élément que ce soit. Il faut inviter les salariés à s’adresser à l’administration fiscale. »

Le PAS peut aussi avoir des répercussions durables sur le comportement des salariés, note Benoît Serre : « Il peut aussi pousser un nombre plus important de salariés à demander des avances sur salaire car ils vont se retrouver avec un revenu net mensuel réduit alors qu’ils peuvent avoir des engagements importants par ailleurs. »

Impact sur les NAO

Faute de connaître la situation financière personnelle de leurs collaborateurs, les entreprises se trouvent ainsi exposées à un risque dont l’ampleur leur échappe. Autre hypothèse à prendre en compte : pour compenser la réduction de leur salaire net mensuel, les salariés voudront peut-être modifier la périodicité du paiement de certaines primes afin d’atténuer cette baisse. Même si leur accumulation aura une portée globale, toutes ces répercussions potentielles restent le produit de demandes particulières. Or le PAS peut aussi faire évoluer les paramètres de négociation individuelle et collective, estime Jean-Claude Charlez : « Le PAS va sans doute affecter les NAO de 2019, d’autant plus que l’inflation redémarre. En outre, en modifiant les salaires nets de façon différente selon les taux de prélèvement, le PAS peut conduire certains salariés, à partir de janvier, à constater que leur salaire n’est plus identique, à poste équivalent, au salaire de certains de leurs collègues, comme il l’était jusqu’en décembre. Cela risque d’impacter la politique d’augmentations individuelles des entreprises. »

Les entreprises vont aussi devoir gérer l’enjeu de la confidentialité. « La fuite de données représente un risque important, note Arnaud Sainte-Marie. Si la rupture de confidentialité est la conséquence d’un vol de données ou d’une attaque informatique, la responsabilité de l’entreprise pourra être engagée et une demande de dédommagement est possible. » Comment limiter ce risque ? « Nous préconisons un renforcement des clauses relatives à la confidentialité pour les gestionnaires de paie et plus globalement les équipes RH. Ce type de clause peut par exemple lister les principaux points qui doivent être couverts par l’obligation de confidentialité, parmi lesquels les informations relatives à la retenue à la source. » Reste la part d’inconnue d’un dispositif prévu pour fonctionner toutes choses étant égales par ailleurs. La vie des entreprises connaît cependant des aléas. François Asselin se fait l’écho de l’inquiétude des entreprises : « Il reste beaucoup de questions sans réponses. Que va-t-il se passer en cas de défaillance de l’entreprise si ses comptes sont bloqués ? Qui sera responsable : la personne morale, le dirigeant ? » Premières réponses à partir de janvier.

Auteur

  • Gilmar Sequeira Martins