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Sur le terrain

Organisation du travail : Scarabée Biocoop ou le développement par l’holacratie

Sur le terrain | publié le : 03.09.2018 | Lys Zohin

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Organisation du travail : Scarabée Biocoop ou le développement par l’holacratie

Crédit photo Lys Zohin

La coopérative de produits d’alimentation bio, basée à Rennes, a opté il y a près de quatre ans pour une forme d’organisation décentralisée et horizontale, l’holacratie. Les premiers résultats sont déjà palpables.

« Mon titre ? Cela dépend !, s’amuse Hugo Mouraret. Je suis tour à tour référent sur l’holacratie, chargé de développement et d’innovation, ou spécialisé dans le web marketing et le community management. Il pourrait y avoir tout cela sur ma carte de visite, puisque ce sont mes rôles principaux. Mais je m’occupe également du recrutement des stagiaires et de l’organisation d’événements dans l’entreprise… » Au total, près de 50 fonctions différentes lui sont dévolues ! Les « rôles » dans le jargon de l’holacratie, que la société qui l’emploie, la coopérative de produits alimentaires bio Scarabée Biocoop, basée à Rennes, a adopté en 2014, signifient qu’une personne est experte dans un domaine et fait donc autorité.

Méthode d’organisation d’entreprise popularisée il y a une dizaine d’années d’abord aux États-Unis, l’holacratie a pour but de distribuer l’autorité et le leadership, généralement concentrés dans les mains de quelques-uns seulement, afin d’accroître l’impact de tous dans la poursuite des objectifs de l’organisation. Pas de hiérarchie, donc. Et pas de managers ni de managés. L’holacratie repose sur une « constitution », qui définit l’entreprise et son organisation, et, en ce qui concerne l’organisation, sur un système de cercles, dans lesquels figurent des experts, réunis autour de grands thèmes tels que les RH, la communication, le marketing, la production… Les cercles peuvent évoluer, de même que fonctionner ponctuellement de façon transversale.

Au quotidien, le dispositif prévoit des réunions de « triage » visant à partager de l’information sur les projets et « synchroniser » les différents cercles, et des réunions de gouvernance, plus centrées sur les questions stratégiques. Et si l’on croit qu’horizontalité et flexibilité riment avec anarchie, ce n’est pas le cas ! Au contraire, même, les règles générales de fonctionnement (qui s’appuient sur la fameuse constitution), de même que les contraintes de base des réunions (présence d’un facilitateur, prise de parole formelle, expression des besoins…) sont parfaitement codifiées.

« Et cela ne plaît pas à tout le monde ! », s’exclame Hugo Mouraret. L’absence de hiérarchie est en effet assortie d’une forte responsabilité individuelle… « Certains collaborateurs qui réclamaient de l’autonomie à cor et à cri se sont retrouvés perdus, voire en insécurité lorsqu’ils l’ont obtenue », se souvient le référent holacratie. Scarabée n’a toutefois pas eu à déplorer des départs en raison d’une allergie, de la part de collaborateurs, à l’holacratie.

Agilité

Au contraire, précise de son côté Isabelle Baur, présidente du directoire de Scarabée Biocoop : « Nous avons, avec ce système, acquis une agilité telle que nous avons pu ouvrir un nouveau magasin pour en remplacer un autre, endommagé, en moins d’un an. Auparavant, nous mettions plus de deux ans pour ouvrir un magasin. » Et si la coopérative bretonne a gagné en souplesse, elle a aussi renforcé ses activités, passant de quatre magasins et 130 salariés en 2014 à huit magasins, trois restaurants, un snack, un labo traiteur et un camion de vrac aujourd’hui. Quant au chiffre d’affaires, il a, à 38 millions d’euros, quasiment doublé, de même que le nombre de sociétaires ! Sans oublier l’effectif, passé à 250 salariés… Tout n’est pas imputable à l’holacratie, bien sûr, mais Isabelle Baur, qui l’avait initiée en 2014 avec l’aide du cabinet de conseil iGi Partners, parce qu’elle constatait des « jeux de pouvoir » au sein de l’organisation et une application aléatoire des décisions, rendant l’attelage difficile à conduire, est persuadée que la technique a fait ses preuves.

Recrutements collégiaux

« Mais on dit qu’il faut au moins cinq ans pour vraiment constater les bienfaits de l’holacratie, tempère Hugo Mouraret. Et c’est une discipline de tous les instants. » L’humain revient en effet souvent au galop, que ce soit sous forme d’invectives dans des réunions, de manque de volonté à assumer une responsabilité ou de difficultés à partager de l’information… Les nouveaux venus, dans une organisation qui recrute régulièrement, formeront sans doute une masse critique, clé pour faire définitivement triompher les principes de l’holacratie dans la société, afin qu’elle devienne véritablement une seconde nature chez tous les collaborateurs. D’autant que l’holacratie s’est également invitée dans le processus de recrutement et les RH en général. Chez Scarabée, les décisions sont prises de façon collégiale. Un expert interne désigné vérifie d’abord s’il y a bien adéquation entre le profil du candidat et les valeurs de l’entreprise, un autre testera ses compétences, etc. Puis chacun défendra son point de vue. Même chose pour les augmentations, par exemple. Chaque expert doit pouvoir justifier sa décision devant ses pairs du collège. « Je ne dis pas que nous ne ferons jamais d’erreurs de casting à l’avenir, déclare le référent holacratie, mais ces méthodes participatives offrent de plus grandes garanties. Quant à la reconnaissance de la performance et la gestion des augmentations, impartiales et équitables, elles accroissent la confiance des collaborateurs et les engagent à fond dans l’organisation. »

On est donc loin des tiraillements qui avaient poussé Isabelle Baur à opter pour l’holacracie il y a près de quatre ans. Et rien n’empêche la coopérative bretonne d’affiner encore ses process en matière d’holacratie, puisque, et c’est la beauté de la méthode, elle n’est pas, malgré ses exigences, figée – au contraire. Quant à la France, elle pourrait bien en profiter. « En 2014, il n’y avait que 10 entreprises dans le monde qui pratiquaient l’holacratie, relève Hugo Mouraret, et aujourd’hui, on constate que le plus fort taux de progression se situe dans l’Hexagone. » Signe que les entreprises françaises prennent conscience que verticalité et travail en silo ne riment pas avec performance, agilité et bien-être…

Auteur

  • Lys Zohin