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Le grand entretien

« La liberté conventionnelle est grande, pour ne pas dire pratiquement totale »

Le grand entretien | publié le : 03.09.2018 | Lucy Letellier

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« La liberté conventionnelle est grande, pour ne pas dire pratiquement totale »

Crédit photo Lucy Letellier

Spécialiste du droit du travail, Vincent Delage analyse les évolutions des modes de travail qui parfois se télescopent avec une législation et un droit qui ne s’adaptent pas assez vite à la réalité, aux attentes des salariés de la nouvelle génération et aux besoins de souplesse des entreprises.

Le travail connaît une évolution majeure avec de nouveaux modes de travail et une multiplicité des statuts outre de nouvelles attentes de la part des collaborateurs. Quelles sont les difficultés que rencontrent les entreprises notamment dans la gestion de cette multiplicité et de ces attentes ?

On peut considérer que l’évolution de la relation de travail se caractérise notamment par :

– la place très importante prise par le contrat à durée déterminée et les missions d’intérim à côté du contrat à durée indéterminée.

– le développement de formes de travail indépendant ou encore alternatif, notamment dans le cadre de plates-formes numériques de mise en relation. Si ce phénomène d’« ubérisation » de l’économie concentre l’attention, il convient d’en relativiser l’impact dans l’économie française puisqu’elle ne représente que 12 % des emplois.

Au-delà de ces évolutions, force est de constater que la relation de travail est en pleine mutation et les attentes des collaborateurs conduisent à devoir faire évoluer le cadre des relations contractuelles.

On peut considérer que dans nombre de secteurs d’activité, la notion de décompte du travail en heures selon un rythme relativement figé ne correspond plus à la réalité pratique. Le souhait de travailler de son domicile ou selon une alternance travail en entreprise, télétravail, voire dans le cadre d’espace dit de « coworking » tend à se développer considérablement, tout comme l’alternance de statut au cours d’une même vie professionnelle (de plus en plus longue, voire se prolongeant après un départ à la retraite) laquelle connaît un essor significatif ; supposant que la formation tout au long de la vie soit considérée comme un enjeu majeur et anticipé.

Force est de constater que si ces évolutions sociologiques impactent la relation de travail, les nouvelles technologies de l’information et de la communication, qui sont aussi des outils de travail, participent considérablement de cette évolution. A cet égard, celles-ci posent la question du droit à la déconnexion et, de manière induite, de l’équilibre vie professionnelle/vie personnelle.

Les difficultés, ou plutôt les challenges, auxquels les entreprises peuvent être confrontées dans ce cadre devraient correspondre à un nécessaire besoin d’adaptation et de plasticité tant des organisations que des normes de l’entreprise et de l’outil de travail tout en privilégiant la formation continue. On constate également que la multiplicité des statuts ou encore les modalités souples d’organisation du travail susceptibles d’être proposées par les entreprises peuvent s’avérer déterminantes lors du processus de recrutement, voire davantage que la rémunération elle-même.

S’agissant de la relation de travail la plus adaptée, les difficultés que peuvent rencontrer les entreprises pourront correspondre à la détermination de la relation de travail la plus adéquate à la mission à accomplir. Un point de vigilance particulier devra être relevé concernant les travailleurs indépendants dans la mesure où la frontière avec le salariat est parfois (souvent ?) ténue avec les risques de requalification en travail salarié susceptibles d’être pointés tant par l’administration du travail que les organismes de contrôle tels que les Urssaf.

S’il n’existe pas de « best practices » généralisables, il s’agira au cas par cas de qualifier au mieux la nature de la mission à accomplir pour lui appliquer le statut le plus approprié.

Le droit du travail est-il adapté à cette multiplicité et ces attentes ? Évolue-t-il assez rapidement pour offrir aux entreprises une boîte à outils satisfaisante ?

De par sa nature même, le droit du travail ne peut s’adapter rapidement à l’ensemble de ces évolutions dans la mesure où l’élaboration de la loi demande du temps, du recul, dans le cadre d’un processus normatif dense et très encadré. On notera néanmoins, dans certains cas, que la jurisprudence permet une évolution plus rapide du droit et peut-être plus adaptée à l’évolution de la Société.

Toutefois, on relèvera que le droit du travail français offre aujourd’hui aux entreprises une large palette d’outils, tout particulièrement dans le cadre des dernières évolutions législatives, qui peut répondre aux différents besoins en matière de flexibilité et d’innovation.

Le recours au travail temporaire ou au contrat de travail à durée déterminée reste largement possible et représente environ 13 % des emplois salariés en France avec un taux particulièrement important dans certains secteurs comme la construction (10,4 %) et l’industrie (9,4 %).

Le législateur et parfois les partenaires sociaux s’attachent à prendre acte des formes alternatives de travail collaboratif en développant des mécanismes de protection sociale. Le législateur a, par ailleurs, commencé à intervenir pour réglementer ces formes de travail : accident du travail, formation, notamment.

Les partenaires sociaux sont d’ailleurs régulièrement à l’origine de l’élaboration de nouveaux modes d’organisation de la relation de travail, souvent repris ensuite par la loi, comme le portage salarial ou le contrat à durée indéterminée intermittent.

Le cadre juridique est-il adapté aux intermittences de parcours ? Quels sont les enjeux en matière de protection sociale ? Comment ne pas pénaliser la discontinuité de carrière ?

Les principales difficultés en matière d’activité indépendante se rencontrent dans le domaine de la protection sociale en raison de l’existence de deux régimes de sécurité sociale distincts, l’un pour les salariés, l’autre pour les non-salariés.

Certains, proposent de régler ce problème par la création d’un régime commun à toutes les formes d’activité, dont les prestations pourraient dépendre du degré de subordination.

Les ordonnances ont sensiblement accru la place de la négociation collective dans la vie des entreprises. Que doit-on retenir (points de vigilances, points forts, pistes d’amélioration possibles…) ?

Les ordonnances ont parachevé l’évolution des règles de négociation collective et ont considérablement élargi les possibilités de négociation au niveau des entreprises en permettant à chacune d’elle d’adapter la plupart des dispositions du Code du travail à la spécificité de leur situation et besoins.

En effet, sur le fond, au-delà d’un corps de règles minimales auxquelles l’on ne peut déroger, les accords de branche ne s’imposant plus que dans un nombre limité de domaines (classifications, salaires minima, égalité professionnelle entre les femmes et les hommes), la liberté conventionnelle est grande pour ne pas dire pratiquement totale.

Sur le champ d’application, les ordonnances ont notamment étendu les possibilités de négociation collective dans les petites et moyennes entreprises permettant, en pratique, à n’importe quelle entreprise, quelles que soient sa taille et la structure de sa représentation du personnel, à définir sa propre norme collective.

Restera à accompagner ces outils déjà nombreux d’un encadrement et d’une protection accrue en matière de santé au travail et de prévention des risques professionnels et de permettre une évolution professionnelle tout au long de la vie dans le cadre d’un accompagnement en formation efficace et pragmatique.

En réalité, tout dépendra, de la capacité (et de la volonté ?) des acteurs de s’emparer de ces nouveaux outils et donc de la vitalité du dialogue social.

Parcours

Vincent Delage est avocat associé au sein du département de droit social de CMS Francis Lefebvre Avocats. Il intervient notamment en matière de gestion des relations individuelles et collectives de travail, d’épargne salariale, de détachement et d’expatriation et sur les aspects sociaux des restructurations d’entreprises. Il est membre du board du Practice Area Group Employment & Pension du réseau CMS.

1996 : obtient un Master II en droit du travail et de la sécurité sociale (Université Paris II – Panthéon Assas).

1997 : débute sa carrière d’avocat chez Landwell & Partners.

1999 : rejoint le département social de CMS Francis Lefebvre Avocats.

2010 : est coopté associé du cabinet.

Auteur

  • Lucy Letellier