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Le grand entretien

« Les LGBT doivent pouvoir se rendre visibles dans les entreprises »

Le grand entretien | publié le : 27.08.2018 | Lys Zohin

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« Les LGBT doivent pouvoir se rendre visibles dans les entreprises »

Crédit photo Lys Zohin

Dans le cadre de leurs politiques diversité, ainsi que des évolutions sociales et législatives, certaines entreprises s’intéressent aux salariés LGBT, qui jusqu’à récemment étaient invisibles dans le monde du travail. Toutefois, les salariés concernés craignent encore les représailles. La formation des dirigeants, des RH et des managers est essentielle pour lutter contre les discriminations.

Y a-t-il un « avant » et un « après » mariage pour tous pour les collaborateurs LGBT dans les entreprises ?

Oui, alors qu’on n’en était qu’aux prémices de la diversité, il y a vingt ans, on ne parlait pas d’orientation sexuelle – et encore moins d’identité de genre, ni de personnes transgenres ! En termes de diversité, on ne parlait que de ce qui était soumis à pénalités financières et accords : le handicap, puis l’âge, puis l’égalité femmes-hommes. Ensuite est arrivée la question de l’égalité des chances, associée à celle de l’origine – réelle ou supposée – dans le sillage des émeutes de novembre 2005 dans les banlieues. Restaient donc deux questions, celle des convictions religieuses qui, jusqu’à une période récente, n’était pas visible, et celle de l’orientation sexuelle qui, elle, était d’autant moins visible que les LGBT faisaient tout pour rester dans l’ombre… Dans ce dernier domaine, une première étape est venue avec le Pacs, qui a donné une légitimité fiscale et juridique aux couples de même sexe. Mais, souvenez-vous, cela avait suscité des débordements, notamment de la part d’élus. Puis est venue l’évolution du droit, dont l’extension du mariage – expression que nous préférons à celle de mariage pour tous – aux couples de même sexe. Une fois de plus, le débat a connu des débordements violents, et s’est déplacé dans la sphère professionnelle. Certains salariés se sont sentis autorisés à tenir des propos de même nature que ce que l’on entendait dans la rue ou dans les médias. Dans ces conditions, difficile pour les LGBT de vouloir être visibles au travail ! À cet égard, il y a un argument qui m’agace de la part des DRH ou des dirigeants, selon lequel ces propos, même déplacés, même violents, sont d’ordre « privé » alors qu’il y a aujourd’hui, et pas uniquement en raison de la technologie, porosité totale entre vie privée et vie professionnelle ! Cela dit, en parallèle, nous assistons à une conjonction d’éléments, avec une société qui évolue et une représentation des LGBT de plus en plus juste et non plus caricaturale, de même qu’un intérêt, de la part des entreprises, à traiter ces sujets, ne serait-ce que parce que des règles européennes s’appliquent et que certains salariés LGBT ne veulent plus être invisibles. Enfin, les jeunes générations veulent travailler dans des entreprises qui sont inclusives et non discriminantes. Les entreprises sont à cet égard des acteurs sociaux essentiels : si l’on y fait évoluer le regard des collaborateurs, cela change aussi leur regard dans la vie en général. De même, si les entreprises, dans le cadre de leur RSE, font essaimer leurs engagements en faveur de l’inclusivité auprès des partenaires sociaux, de leurs clients, leurs fournisseurs, leurs pairs, une chaîne vertueuse peut se mettre en place.

Mais si l’on se réfère à certaines enquêtes, des progrès restent encore à faire…

Absolument ! Un certain nombre d’études sont faites régulièrement depuis 2005, et elles vont encore toutes dans le même sens aujourd’hui : près d’un tiers des LGBT ne sont pas visibles au travail. Pourquoi ? Par crainte de « représailles », à tort ou à raison. En conséquence, ce que l’on demande aujourd’hui, c’est que les LGBT puissent se rendre visibles dans l’entreprise si elles et ils le souhaitent et vivent dans un environnement professionnel bienveillant. C’est l’engagement de la charte*. Un engagement moral, visant à créer les conditions d’être visible si l’on en a besoin. Et l’on note que, plus la charte est ancienne dans l’entreprise, plus les LGBT veulent bien devenir visibles.

Comment mettre en place, au quotidien, un environnement bienveillant pour les LGBT ?

Si l’on part des dispositifs légaux et réglementaires sur la conjugalité et la parentalité, qui doivent être appliqués par les entreprises, ce qui importe, c’est que, pour en bénéficier en tant que LGBT, il faut se déclarer. Se rendre visible, donc. Or, même si la confidentialité est de rigueur chez les RH, certains LGBT préfèrent encore se priver de ces droits, leur environnement professionnel ne leur inspirant pas confiance : ils ont entendu des plaisanteries, craignent des représailles ou qu’une promotion leur soit refusée pour d’autres motifs. Nous mettons donc l’accent sur la direction des entreprises, les RH et le management. Au-delà des process RH qui doivent être rigoureux dans les embauches, par exemple, j’interviens souvent devant des Comex ou des instances exécutives, et je n’hésite pas à dire qu’autour de la table, il y a probablement des gens qui sont « un petit peu racistes », « un petit peu antisémites », « un petit peu sexistes »… Pour autant, certains mots insultants ne sont jamais prononcés. Il doit donc en être de même pour les LGBT. N’oublions pas, par exemple, que dans les enquêtes de l’Éducation nationale, le premier mot d’insulte prononcé dans les établissements scolaires, c’est « pédé ». Les mots ont donc leur importance. Dire homo, oui, pédé, non ! En outre, il faut bannir du discours de l’entreprise le mot « afficher », de même que « différence ». On doit simplement, en confiance, pouvoir parler de sa vie privée. Et il n’y a pas de « différence » entre un hétéro et une personne LGBT : nous sommes tous, individuellement, différents !

Et pour le management ?

Nous avons une méthodologie visant à enclencher une mécanique vertueuse et responsable dans les entreprises. Comme dans n’importe quel type de gestion de conflit, nous formons les dirigeants et les manageurs à rebondir de façon intelligente face à des propos ou des comportements inappropriés. Ainsi, tout propos ou comportement discriminant doit être sanctionné, de même que tout propos déplacé doit être immédiatement soulevé. Il s’agit, pour le manageur, par exemple, de dire à la personne responsable, dans la foulée des faits si l’environnement s’y prête, ou plus tard en privé : « Ces propos ne sont pas acceptables, c’est la première et la dernière fois que je les entends. En cas contraire, ce sera un avertissement. » Chacun reste libre de penser ce qu’il veut, mais il s’agit, dans la vie professionnelle, d’adopter un comportement approprié.

Parcours

Engagée en politique dès son adolescence, Catherine Tripon a fait une école de commerce et exercé ses talents dans l’entreprise (marketing, vente…). Elle a également été très vite active dans la vie associative en militant pour l’égalité des droits et contre les discriminations. En 2007, déjà porte-parole de L’Autre Cercle, elle est nommée au conseil consultatif de la Halde (dissoute en 2011).

De 2008 à 2010, elle est directrice générale adjointe de l’ANDRH, s’occupant principalement du dossier Label diversité pour les entreprises.

En 2011, elle rejoint la fondation Agir contre l’exclusion (FACE), où elle est actuellement directrice des relations aux parties prenantes, développement social durable et des partenariats. Elle est également active au sein du Laboratoire de l’égalité.

En janvier 2013, en présence de plusieurs ministres, elle fait signer à une dizaine de grands patrons les premières chartes contre les discriminations faites aux homosexuels dans le cadre de son travail pour l’Autre Cercle.

* Charte d’engagement LGBT et de l’Autre Cercle, lancée le 7 janvier 2013 et soutenue aujourd’hui par 94 entreprises privées et organisations publiques, dont 16 collectivités et quatre ministères, incluant des établissements d’enseignement supérieur, des grands groupes et quelques entreprises plus petites.

Auteur

  • Lys Zohin