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Le grand entretien

« Dans l’environnement actuel, les salariés hésitent à investir leur potentiel humain dans l’entreprise »

Le grand entretien | publié le : 02.07.2018 | Frédéric Brillet

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« Dans l’environnement actuel, les salariés hésitent à investir leur potentiel humain dans l’entreprise »

Crédit photo Frédéric Brillet

Les acteurs du monde de l’entreprise prennent conscience que le facteur économique entre en contradiction avec une tendance plus humaniste fondée sur des méthodes de management innovantes, le développement durable appliqué aux salariés et aux organisations. Un ouvrage collectif publié récemment présente des solutions pour mieux satisfaire les attentes des salariés et réconcilier l’économique et l’humain.

Pour quelle raison avoir publié l’ouvrage collectif Réconcilier l’économique et l’humain en entreprise ?

C’est un long cheminement que nous avons eu au sein de l’Atelier du dirigeant durable (A3D). L’association, créée en 2004, est constituée de professionnels de l’entreprise formés au coaching majoritairement à HEC Paris, tous avec une spécificité ou un parcours atypique. Notre credo est de réconcilier l’humain et l’économique en entreprise et nous pensons que le coaching et une posture de coach peuvent y contribuer. Nous rencontrons dans les entreprises que nous côtoyons des hommes et des femmes un peu perdus. Nous avons donc décidé de créer un manuel pratique qui pourrait aider toute personne en lien avec les problématiques touchant l’humain en entreprise – DRH, dirigeants de PME, coachs, managers, employés, étudiants, professeurs, et pourquoi pas époux ou épouses de managers… La particularité de l’ouvrage est que nous sommes partis de 30 tranches de vie en entreprise, du concret que nous avons analysé en groupe pour en tirer des pistes afin de se sentir plus à l’aise avec la problématique évoquée. Les mots font écho aux tranches de vie. Le tout est accompagné d’exercices, de citations, de propositions de lecture pour aller plus loin.

Pourquoi cette ironie dans le sous-titre « Si, si je me sens bien au boulot » ?

Dans le genre ironique, le livre aurait pu s’intituler « Manuel de survie en entreprise ». Nous avons choisi une phrase entendue au cours de nos entretiens, presque comme pour s’excuser, alors que cela devrait être un des objectifs des entreprises. Acteurs du monde de l’entreprise, nous sommes conscients que l’économique est en contradiction avec une tendance plus humaniste qui se développe. Au milieu se trouvent des femmes et des hommes qui sont soumis à des pressions physiques et morales et des remises en cause profondes. Nous en avons rencontré beaucoup qui ont dû affronter des problématiques liées au monde du travail. Ce livre est là pour les aider à se sentir bien au boulot.

À quels risques s’exposent les entreprises qui se focalisent sur l’économique au détriment de l’humain ?

Il y a un siècle, des chercheurs et ingénieurs éminents comme Taylor Fayol et Weber forgeaient des concepts qui allaient déboucher sur le travail à la chaîne… et les problèmes qui vont avec, dont les troubles musculo-squelettiques. On s’est vite aperçu que, derrière le facteur travail, il y a le facteur humain. D’autres penseurs tels que Gregor et Maslow ont commencé à parler du capital humain et on a donc exploité ce celui-ci comme une ressource qui appartenait aux entreprises. Le top management définit les politiques pour définir le capital humain nécessaire, l’exploiter, le calculer, l’évaluer, à travers la GPEC. Les DRH ont pris le pouvoir, aidés par les contrôleurs de gestion. Nous avons vu alors apparaître les risques psychosociaux (RPS) : burn-out, bore out, harcèlement, manque de considération et de motivation, pertes de repères… toutes ces problématiques que les coachs doivent gérer curativement. Nous en avons sélectionné une trentaine.

Vous défendez avec vos coauteurs une vision de l’entreprise et de ses valeurs qui articule plaisir au travail, satisfaction de clients et performance.

Nous assistons à l’émergence d’un nouveau paradigme basé sur le potentiel humain – défini par Savall, en 1974 – qui est l’énergie en puissance et non en acte de chaque être humain. C’est donc l’anticipation des aspirations des acteurs en entreprise qui devient le moteur de la motivation et du développement. Dans le capital humain, tout vient du haut. Dans le potentiel humain, il faut susciter l’intérêt de tous. D’où la pyramide inversée. Les start-up et les sociétés du web fonctionnent déjà comme cela.

Comment réconcilier l’économique et l’humain ?

En associant le management par l’approche socio-économique (MASE) et le coaching, ce que j’ai fait en tant que cadre dirigeant. Le MASE considère l’organisation comme un ensemble complexe de structures en interaction avec des comportements humains individuels. Cette théorie est matérialisée par un ensemble de techniques de direction et de gestion et organisation comprenant des processus de communication interorganisationnels et des outils pragmatiques. Je l’ai utilisé avec succès pendant 30 ans en entreprise et aujourd’hui dans l’avancement de mes projets. Quant à la posture de coach, elle me permet de mettre en œuvre le potentiel humain des parties prenantes en observant les collaborateurs, les clients, les prestataires. Il s’agit de prendre en compte l’individu dans l’équipe, sentir quand on va trop loin dans les demandes, poser de bonnes questions, prendre de la distance, enfin d’être un homme parmi les hommes, et non seulement le boss. Les DRH commencent à prendre conscience de l’importance de cet enjeu d’autant que, dans l’environnement actuel de survie, les salariés hésitent à investir leur potentiel humain dans l’entreprise. Pour les inciter à le faire, les DRH peuvent développer le télétravail, les horaires flexibles, des crèches, des clubs de sport, miser sur l’entreprise libérée… Pour résumer, si on exploite du capital humain, le coaching est curatif. Il vise à anticiper et à guérir des RPS. Si on se tourne vers le potentiel humain, le coaching devient projectif : il permet à l’acteur d’exprimer ses besoins fondamentaux et de se sentir en osmose avec l’évolution de l’organisation.

Quel pourra être l’impact de l’intelligence artificielle sur le coaching ?

L’accompagnement par coaching n’y échappera pas. Autant s’y intéresser dès maintenant. Dans sa vision d’un coaching dynamique et sécurisé, l’A3D collabore avec PocketConfidant AI qui développe le self-coaching basé sur l’intelligence artificielle. Nous espérons ainsi contribuer à réunir plus de personnes autour des sujets que notre association promeut, intéresser davantage de personnes à l’accompagnement, préparer davantage de personnes à un coaching classique plus efficace.

Parcours

• Coach certifié à HEC Paris depuis 2002, Gérard Desmaison quitte la vie professionnelle en 2008 pour passer un master, puis une thèse (PhD) en science de gestion portant sur « la durabilité des méthodes de management en entreprise » à l’université Lyon 3 où il devient chercheur associé à l’ISEOR (Institut de socioéconomie des entreprises et des organisations), un centre de recherche et d’expertise en management.

• Depuis 2015, il est formateur des parrains de 60 000 Rebonds, une association accompagnant les entrepreneurs ayant subi une liquidation.

• En 2016, il prend la présidence du think tank l’Atelier du dirigeant durable, et publie un ouvrage collectif en collaboration avec ses membres en 2018 : Réconcilier l’économique et l’humain en entreprise (éditions EMS).

Auteur

  • Frédéric Brillet