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Le grand entretien

« Je n’entends plus les dirigeants de PME me parler de la peur d’embaucher »

Le grand entretien | publié le : 25.06.2018 | Benjamin d’Alguerre

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« Je n’entends plus les dirigeants de PME me parler de la peur d’embaucher »

Crédit photo Benjamin d’Alguerre

« Bien, mais peut encore mieux faire. » C’est en substance le bilan que tire François Asselin de la première année du quinquennat. Si les ordonnances, la réforme de la formation et l’adoucissement des seuils sociaux vont dans le sens souhaité par les patrons de PME, d’autres sujets d’inquiétude subsistent.

Quel bilan tirez-vous de la première année de la présidence Macron ?

Plutôt positive. Parmi les 89 propositions soumises par la CPME aux candidats à l’élection présidentielle en 2017, deux nous semblaient emblématiques : la sécurisation des ruptures de contrats de travail et l’autorisation pour les entreprises de moins de 50 salariés de signer des accords, même sans représentation syndicale. Sur ces deux points, nous avons été entendus, ce qui a permis d’installer une relation de confiance entre les chefs d’entreprise et le gouvernement. Preuve en est que, lors de mes déplacements auprès des dirigeants de PME, je n’entends plus parler de la « peur d’embaucher » comme c’était le cas auparavant. En revanche, la nouvelle crainte qu’ils expriment, c’est celle de ne pas disposer des compétences nécessaires pour faire face à leur développement ! D’où la nécessité que la réforme de la formation et de l’apprentissage engagée par Muriel Pénicaud réussisse.

Pour l’instant, les grandes orientations du projet de loi qui se dessine semblent-elles aller dans le sens souhaité par les PME ?

La bonne nouvelle, c’est que les entreprises ont été replacées au cœur des dispositifs. Mais il y a encore des points à régler, notamment pour instaurer une vraie sanctuarisation des fonds mutualisés de la formation continue et de l’apprentissage vers les PME afin d’être assurés que les investissements seront suffisants pour faire face à leurs besoins. De nombreuses entreprises ont besoin d’accomplir leur transformation digitale ou environnementale : elles ne pourront pas répondre à ces enjeux si les fonds mutualisés nécessaires à la formation de leurs salariés ne sont pas mis sur la table.

Sur la conduite des politiques d’apprentissage, la CPME ne semble pas disposée à voir les régions écartées de la prise de décision, même si le projet de loi confie le pilotage aux branches…

Au contraire, le rôle des régions est incontournable. Il est démontré que l’essentiel des recrutements d’apprentis pour les niveaux 4 et 5 (bac et infra) se font très majoritairement dans un rayon de 30 kilomètres autour du bassin d’emploi. Ici, on touche à une vraie problématique d’aménagement des territoires : certaines zones rurales abritent des CFA qui proposent des formations pour lesquelles des débouchés existent, même s’ils ne sont pas pléthoriques. On ne peut pas risquer la fermeture de ces établissements faute d’intérêt des grandes branches pour eux. Branches et régions doivent se parler en permanence. D’autres acteurs sont indispensables à la réussite de cette réforme de l’apprentissage : ce sont les futurs opérateurs de compétences (Opcom) qui succéderont aux Opca. Leur rôle de soutien sera essentiel en termes d’expertise, d’ingénierie pédagogique ou d’accompagnement des entreprises employeuses d’apprentis. Mais pour cela, il leur faudra s’organiser en fonction de logiques de filières plutôt que de métiers. L’Éducation nationale ne devra pas non plus être écartée du processus, puisque c’est elle qui chapeaute les lycées techniques et professionnels. Ajoutons à cela que les régions vont récupérer la compétence sur l’orientation. Bref, il est primordial d’assurer une discussion permanente entre tous ces acteurs, et les régions me paraissent les chefs d’orchestre les plus pertinents.

La loi Pacte constitue la deuxième grande réforme de cette première année de quinquennat. Comment jugez-vous ses deux mesures principales : la modification de la définition de l’entreprise dans le Code civil et la suppression de certains seuils sociaux, notamment celui de 20 salariés ?

La question de l’objet social de l’entreprise ouvre un débat intéressant. La CPME n’a pas attendu le rapport Notat-Sénard pour se soucier de RSE puisque le débat a été lancé chez nous dès 2008 et s’est, notamment, traduit par la signature d’un accord national avec les cinq organisations syndicales*. Pour autant, l’implication des entreprises en matière sociale ou environnementale ne devrait pas être rendue obligatoire. La RSE est une matière mouvante. Graver ce que doit être l’objet social de l’entreprise dans le marbre de la loi peut être source de risque juridique pour les PME.

Côté seuils, nous nous félicitons de la disparition de celui de 20 salariés. Cependant, nous aurions aimé voir l’assouplissement de celui de 50, également problématique. Son dépassement entraîne encore des procédures fiscales et sociales extrêmement lourdes. Une réflexion pourrait d’ailleurs être entamée avec les partenaires sociaux sur un vrai toilettage des obligations liées aux seuils.

Le prélèvement à la source constitue également un dossier sensible pour les organisations d’employeurs…

C’est surtout une responsabilité que nous n’avons jamais demandée ! L’idée initiale d’instaurer une responsabilité pénale pour l’employeur en cas de fuites des informations relevant des rémunérations des salariés nous a fait bondir ! Heureusement, Gérald Darmanin nous a entendus et cette aberration a été retirée des textes. Cela dit, au 1er janvier prochain, le boulot devra être fait et les PME, déjà éreintées par les obligations liées à la RGPD, risquent de se retrouver face à des situations compliquées.

Le bonus-malus sur les cotisations patronales doit s’appliquer l’an prochain dans les branches qui n’auront pas négocié de solutions pour réduire l’usage des contrats courts. Cela vous inquiète-t-il ?

Ce qui nous inquiète, c’est que la spécificité de l’usage des contrats courts due à la saisonnalité du travail dans certaines branches (hôtellerie-restauration, bâtiment…) n’ait pas été prise en compte. On s’attend même à des absurdités comme sur les CDD de remplacement dans certains secteurs. Il serait sans doute plus pertinent de faire d’abord une étude sur le travail permittent afin de connaître les réalités des secteurs et des entreprises avant d’engager les négociations.

Le gouvernement semble vouloir réduire le champ du paritarisme de gestion et de la négociation interprofessionnelle. Le prochain président du Medef, quel qu’il soit, pourrait bien lui emboîter le pas, voire le doubler sur ce thème ! Quelle place voyez-vous pour les partenaires sociaux dans un avenir proche ?

Je pense qu’il est toujours préférable de discuter que de s’ignorer. La période que nous vivons est cependant intéressante : c’est à nous, partenaires sociaux, de convaincre l’État que les corps intermédiaires ont leur place dans le paysage démocratique. La récente réforme des retraites a démontré que le paritarisme pouvait être efficace. Maintenant, il faut réfléchir à notre place dans les instances paritaires. Les Opca ? Ils sont alimentés par l’argent des entreprises et il est naturel d’y siéger. L’Unédic ? Si demain, nous n’y sommes présents que pour adouber des décisions dont nous ne sommes que partiellement responsables, il faudra repenser à notre rôle. Ce qui ne signifie pas forcément claquer la porte…

Parcours

• François Asselin est président d’Asselin SAS depuis 1993 (charpente, menuiserie, ébénisterie, ferronnerie d’art), entreprise de 140 salariés basée dans les Deux-Sèvres. Asselin SAS est notamment le constructeur de la réplique de la frégate L’Hermione, inaugurée en 2014.

• François Asselin a été président de la CGPME des Deux-Sèvres de 2009 à 2011 et président de la CGPME Poitou-Charentes de 2011 à 2015. En 2011, il intègre la commission exécutive nationale de l’organisation patronale avant d’en prendre la tête en 2015. Le 1er janvier 2017, la CGPME devient la CPME.

* Lire le Fait de la semaine.

Auteur

  • Benjamin d’Alguerre