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Le grand entretien

« Les accords de Grenelle ont installé une nouvelle représentation institutionnelle grâce au libre exercice du droit syndical dans les entreprises »

Le grand entretien | publié le : 28.05.2018 | Irène Lopez

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« Les accords de Grenelle ont installé une nouvelle représentation institutionnelle grâce au libre exercice du droit syndical dans les entreprises »

Crédit photo Irène Lopez

Les accords de Grenelle ont été signés le 27 mai 1968 après deux jours de négociation en plein mouvement contestataire de mai 68. Ces accords ont longtemps fait figure de référence, ouvrant la voie à une véritable révolution dans les relations sociales dans les entreprises. Aujourd’hui, quel est leur héritage ? Et comment la négociation d’entreprise est-elle en train de prendre le pas sur la négociation nationale ?

Revenons sur le contexte de mai 68. Que sont les accords de Grenelle ?

Les années qui précèdent mai 68 voient monter le mécontentement des salariés. Les augmentations salariales ralentissent, les conventions collectives sont très inégales. Les syndicats dénoncent un blocage de négociations à tous les niveaux. Le chômage commence à monter, de 300 000 en début 1967, il passe à 450 000 en avril 68. Ajoutons à cela des mutations technologiques qui transforment le travail et des conflits du travail qui se multiplient – grèves dures et longues. La grève générale débute le 13 mai, et au fil des jours atteint 7 à 8 millions de grévistes, soit plus de la moitié des salariés. La France est en panne. Alors que le gouvernement n’avait rien fait jusqu’alors pour nouer un dialogue, le Premier ministre Georges Pompidou accepte de discuter avec les syndicats et convoque le 25 mai une réunion tripartite entre gouvernement, patronat et syndicats. Les négociations durent plus de 25 heures, sur deux jours, et aboutissent le 27 mai au matin à un accord sur des points essentiels.

Qu’ont apporté les accords de Grenelle ?

Parmi les nouveaux acquis, on peut notamment citer le relèvement du SMIG de 2,22 à 3 francs de l’heure – un peu moins de 0,50 euro – ou la réduction de la durée du travail pour aboutir à la semaine de 40 heures effectives. Et aussi, voire surtout, l’institution d’un nouveau droit syndical avec la création de la section syndicale d’entreprise (SSE). L’entrée des syndicats dans l’entreprise transforme en profondeur, et sur la durée, les rapports entre les représentants du personnel et les employeurs.

Quelle a été la suite immédiate de ces accords ?

À la suite des accords de Grenelle, on constate une vigueur nouvelle des négociations de branche dont le développement est important, et de nombreuses révisions des conventions collectives. C’est une relance généralisée de la négociation qui se maintient jusqu’au retournement économique de 1976-1977 et l’avènement d’un chômage massif. Dans l’après-Grenelle, il faut aussi rappeler la signature d’un accord interprofessionnel qui marque, plus que d’autres, l’histoire de la négociation sociale, à savoir l’accord du 9 juillet 1970. Signé par tous les syndicats, CGT comprise, il portait sur la généralisation de la formation professionnelle continue.

En 2016, les accords interprofessionnels ont fortement diminué et les accords de branche ont sensiblement baissé au profit de ceux conclus en entreprise. La négociation nationale va-t-elle disparaître au profit de la négociation en entreprise ?

Les ordonnances Macron n’ont pas renié le pouvoir contractuel des branches. La branche demeure et joue un rôle important. Mais il est vrai qu’avec la loi El Khomri, elles ont contribué à renforcer la négociation d’entreprise. Ces réformes juridiques et récentes n’ont fait qu’avaliser un mouvement en cours, commencé avec la loi Larcher qui donne davantage d’autonomie aux partenaires sociaux par rapport au législateur : « Tout projet gouvernemental impliquant des réformes dans les domaines des relations du travail, de l’emploi ou de la formation professionnelle doit d’abord comporter une phase de concertation avec les partenaires sociaux – organisations syndicales de salariés et d’employeurs interprofessionnelles reconnues représentatives au niveau national – dans le but de permettre l’ouverture d’une négociation. »*

Les accords interprofessionnels seront-ils à terme affaiblis ? Cela pourrait surtout dépendre de l’emprise de l’État dans des domaines comme l’emploi, le chômage, voire la formation professionnelle et son financement. Quant au développement des accords d’entreprise souhaité par le patronat et certains syndicats comme la CFDT, il était de mise depuis de longues années. Dès le milieu des années 1980, le chômage persistant va faire de l’emploi un thème crucial des négociations. Pour le préserver, dans les entreprises, les négociations impliqueront souvent des concessions mutuelles entre l’employeur et les syndicats. Ici, la négociation jouera sur l’évolution du pouvoir d’achat. Ailleurs, sur un aménagement du temps de travail. Ainsi, la négociation repose sur des compromis et des contreparties qui ne prennent vraiment sens qu’au stade local.

En outre, l’accord national interprofessionnel de 2013 lie l’emploi à la compétitivité de l’entreprise. La performance est devenue un enjeu fréquent et important de la négociation. Le dialogue social et la compétitivité sont de plus en plus souvent liés. Or, à l’évidence, la performance d’une entreprise ne peut pas être traitée à un niveau global.

Enfin, l’essor de la négociation locale répond à une forte attente des salariés par rapport aux syndicats qui leur semblent souvent éloignés de leurs préoccupations immédiates. De plus, ils souhaitent souvent exercer plus d’influence sur les décisions qui les concernent directement. D’où l’appétence pour la négociation locale qui peut donner aux salariés le sentiment d’une plus grande proximité comparée aux négociations nationales. En fait, l’évolution de la négociation d’entreprise relève de processus et d’attentes qui s’inscrivent dans le temps et expliquent l’importance désormais prise par les accords locaux.

* Loi publiée au Journal officiel le 1er février 2007.

Parcours

1985 : Expert scientifique à la Fondation européenne de Dublin.

1990 : Intègre le CEVIPOF, Sciences Po, Paris.

1987 : Enseignant à l’ESCP-Paris, Mastère (MS) « Management des Ressources humaines et des organisations ».

2002 : Membre nommé du comité national du CNRS.

2004 : Administrateur de l’association Dialogues.

2016 : Directeur de l’executive master « Dialogue social et stratégie d’entreprise », Sciences Po, Paris.

2018 : Prépare la parution d’un ouvrage sur le dialogue social.

Auteur

  • Irène Lopez