Si les fusions acquisitions sont de plus en plus nombreuses, certaines échouent dans leur objectif de création de valeur. En cause, la difficulté de surmonter les différences culturelles des organisations. Le transfert de connaissances est un processus long, qui doit s’appuyer sur l’aide d’anciens top managers et une complète réorganisation, les RH ayant pour rôle d’identifier les personnes pivots.
Le transfert de connaissances est un processus long et difficile car il implique de transférer les connaissances explicites mais aussi tacites entre la société absorbée et celle absorbante. Par exemple, le « savoir-faire » relève d’une connaissance dite tacite, et son appropriation par les deux sociétés ne peut se résumer à une communication écrite ou verbale. Le transfert de connaissances est un des objectifs majeurs de l’intégration post-fusion. Il est déterminant pour assurer le succès d’une fusion entre deux entreprises car, selon de nombreux auteurs travaillant sur ce champ de recherche, la création de valeur post-acquisition dépend de la capacité de l’organisation absorbée à partager ses informations avec la société absorbante, et inversement(1). En ce sens, une possible création de valeur lors de l’intégration émane tout d’abord d’un transfert de connaissances réussi.
Les échecs des fusions peuvent être bien sûr liés à ce facteur, mais ce n’est pas le seul : la phase d’intégration de ces opérations engendre une confrontation directe entre deux entreprises distinctes avec leur culture, leurs processus et les normes propres à chacun. L’intégration confronte ces structures et systèmes, peut-être compatibles, mais avant tout différents. Au niveau organisationnel, une partie de la littérature en ressources humaines s’est intéressée aux dynamiques psychosociologiques engendrées par les fusions acquisitions en mettant notamment en lumière les différences culturelles des organisations. Au niveau individuel, des chercheurs ont souligné d’importants impacts sur les ressources humaines : l’augmentation du stress des employés, un sentiment d’insécurité ou encore de perte et d’incertitude pour les parties prenantes des organisations. Des études ont démontré que ces impacts peuvent entraîner de l’absentéisme, une baisse de productivité et un fort turnover, également freins dans l’intégration de la fusion acquisition. Une étude académique publiée en 2014 soulignait que 40 % à 60 % des fusions acquisitions échouent dans leur objectif de création de valeur(2). Le nombre de fusions acquisitions ne cesse pourtant de croître, comme le titrait récemment le journal Les Échos : « Plus de 215 milliards de dollars de transactions ont été signés en janvier 2018. Un record depuis la crise financière ».
J’ai choisi, dans le cadre de ma thèse de doctorat, d’investir un terrain d’étude d’une fusion entre deux sociétés en m’intéressant plus particulièrement à la période d’intégration post-fusion de la nouvelle organisation pendant deux ans, dès la signature de l’opération. Le fait d’investir le terrain sur une longue période m’a permis de considérer la complexité du processus de fusion et d’analyser les évolutions lors de ses différentes phases. L’étude de cas concerne deux sociétés françaises immobilières d’investissement cotées. Ma présence sur le terrain a été encadrée par un contrat de confidentialité, aussi je ne peux divulguer les noms des protagonistes. Une des sociétés est filiale d’un groupe appartenant à l’État, l’autre, de taille plus petite, est filiale d’un groupe européen privé. L’objectif de l’opération était de répondre à la réalisation d’un projet d’expansion territoriale nationale. Néanmoins, cette étude de cas et ses résultats ne sont pas généralisables à l’ensemble des fusions acquisitions. Je souligne d’ailleurs dans l’article la spécificité de l’étude en mentionnant notamment l’environnement public-privé dans lequel évoluent les entités, les rapports de pouvoir et d’influence étant présents dans les rapports entre les deux organisations.
Dans l’étude de cas, le transfert de connaissances était unilatéral en début d’intégration post-fusion. Dans l’analyse, deux éléments dits « facilitateurs » du transfert de connaissances ont été identifiés. En d’autres termes, deux étapes sont à franchir pour assurer un transfert de connaissances réussi. Premièrement, solliciter l’aide d’anciens top managers de la société absorbée pour dresser un état des lieux et des axes de progression peu de temps après la signature de l’opération. Les top managers de la société absorbante se sont appuyés sur l’expertise de deux anciens top managers pour engendrer une compréhension globale de l’organisation et des enjeux de celle-ci. Dès lors, le transfert de connaissances a été en partie assuré via l’expérience des autres. Deuxièmement, j’ai identifié une « nécessité de déconstruire l’existant pour construire l’avenir » à travers une complète réorganisation – redistribution des postes, évolution du slogan et logo, etc. – de l’entité trois mois après le début de la phase d’intégration. Dans le cas d’étude, des connaissances ont été identifiées comme existantes en interne mais sous-exploitées et non valorisées. La revalorisation de la compétence clé de la société absorbée – la plus petite – au sein de la nouvelle entité a participé à la réussite de l’intégration. Les connaissances internes aux deux entreprises sont devenues de plus en plus interdépendantes pendant l’intégration.
Les RH peuvent jouer le rôle d’identification des personnes pivots en amont de l’intégration et dès le début de l’opération. D’une part, des personnes qui détiennent une connaissance ou une compétence spécifique ou difficilement remplaçable, que ce soit dans la société absorbante ou celle absorbée. D’autre part, des personnes qui ont une vision globale de l’organisation et de compétences ou connaissances qui caractérisent son avantage concurrentiel. Ces personnes pourront analyser si les compétences ou connaissances nécessaires à la capitalisation de cet avantage concurrentiel sont transmises ou non, et pourront proposer des axes d’amélioration. Cette étude souligne plus globalement la nécessité de réajuster les situations sans attendre : les top managers ont été aptes à intégrer dans leur mode de pensée le besoin de détruire le passé pour construire l’avenir. En mettant en place la nouvelle organisation, ils ont su traduire cet enjeu dans la prise de décision au niveau organisationnel.
JANVIER 2018 : publie dans la revue Strategic Change une analyse de l’évolution des dynamiques institutionnelles dans le cadre d’intégration post-fusion, coécrit avec les professeurs Mickaël Géraudel (université du Luxembourg) et Audrey Missonier (Montpellier Business School).
OCTOBRE 2017 : publie « Le transfert de connaissances en intégration post-fusion : enseignements d’un cas » dans la revue Management & Avenir.
DEPUIS SEPTEMBRE 2017 : enseignant-chercheur contractuel à Toulouse School of Management (université Toulouse 1 Capitole).
JUIN 2017 : titulaire d’un doctorat en stratégie d’Aix-Marseille Université. Ses travaux portent sur la phase d’intégration des fusions acquisitions et plus généralement sur les dynamiques interorganisationnelles.
• The Routledge Companion to Mergers and Acquisitions, sous la direction de Risberg, Annette, David R. King et Olimpia Meglio (éditions Routledge, 2015).
• Fusions, acquisitions : stratégie, finance, management, sous la direction d’Olivier Meier et de Guillaume Schier (éditions Dunod, 2016).
(1) Voir les travaux de Greenberg et Guinan, 2004 ; Pablo et Javidan, 2004.
(2) Voir Bauer et Matzler, 2014.