Les partenaires sociaux en sont convaincus : l’Europe doit être plus protectrice envers les salariés si elle veut sortir de la crise politique qu’elle traverse.
« L’espace social européen se construira à partir des entreprises, a assuré Pierre Steff, le président d’Humanis, en conclusion de la conférence sur l’avenir du dialogue social en Europe, organisée le 6 mars par ce groupe spécialisé dans la protection sociale et le site européen d’information Euractiv. Les législateurs doivent s’emparer des expériences dans les entreprises européennes. » Si l’Europe s’est d’abord construite sur le commerce, puis sur une monnaie commune, à défaut de prendre en compte les aspects budgétaires ou sociaux, les parlementaires européens peuvent d’ores et déjà s’appuyer sur les initiatives prises par le monde des affaires. En effet, nombreuses sont les grandes entreprises qui ont mis sur pied, depuis plusieurs années pour certaines, des comités d’entreprise européens. Selon les derniers pointages, il en existerait ainsi 1 113, contre 800 il y a dix ans. Lancé en son temps par Jean-François Pilliard, aujourd’hui délégué général de l’UIMM-Fédération de la métallurgie, le comité d’entreprise européen de Schneider Electric « permet de partager culture, expériences et bonnes pratiques, bref, de s’ouvrir l’esprit », dit-il. Leur utilité, pour l’information et la consultation, ne fait aucun doute pour François Hommeril, président confédéral de la CFE-CGC. « Sinon, rien, sur les entités qui se trouvent en Europe, ne remonte jamais jusqu’au siège. Un comité d’entreprise européen instaure un devoir d’information, que ce soit sur les salaires, le temps de travail ou autre. » Mais attention, poursuit le représentant de la CFE-CGC, « ces instances ne sont pas faites pour produire des normes. »
Plusieurs intervenants se sont montrés réticents à l’idée d’une harmonisation, à moins que certaines conditions soient réunies. « Nous préférons parler d’éléments de convergence, a ainsi rappelé Yvon Ricordeau, secrétaire national en charge de l’Europe et de l’International à la CFDT. Autrement dit, un mouvement vers le haut, plutôt qu’une harmonisation, qui va souvent vers le bas. » Les syndicats présents à la conférence sont ainsi favorables à un salaire minimum européen – mais cela ne veut pas dire qu’il aurait le même niveau partout… En prenant en compte les spécificités de chaque économie européenne, un plancher existerait donc, mais le montant pourrait varier en fonction du pays.
Au-delà d’une éventuelle décision sur un salaire minimum européen, les représentants syndicaux se sont surtout inquiétés de menaces qu’ils jugent beaucoup plus pressantes. Et qu’ils décrivent sous la forme d’un paradoxe. D’une part, disent-ils, on appelle à un dialogue social à l’échelle européenne, et dans ce domaine, le niveau sectoriel serait sans doute le bon pour faire converger des normes sociales, tandis que de l’autre, les dispositifs mis en place par les ordonnances sur le Code du travail équivalent à favoriser les négociations au niveau des entreprises mêmes. Autant dire qu’en France, en tout cas, on organise la divergence !
Quoi qu’il en soit, les problèmes, que ce soit en matière de convergence économique et sociale, de mobilité équitable ou d’investissement dans les compétences, devront être pris à bras-le-corps, aussi bien par les autorités européennes que par chaque pays membre de l’Union. La raison ? L’actuelle crise politique que traverse l’Europe, illustrée par de récents scrutins qui se sont soldés par une nette percée des partis populistes ou de la droite extrême. Or si l’on veut lutter contre ces sinistres tendances, il faut protéger les salariés qui se sentent « relégués », relève Yvon Ricordeau. Plans sociaux, salaires en berne, flexibilité à outrance et précarisation, la crise économique et financière de 2008 a laissé des traces, « d’autant qu’entre monnaie unique et manque d’harmonisation fiscale, le seul levier pour lutter contre la crise a été cette dévaluation compétitive interne », précise le représentant de la CFDT. Ce mal-être existe dans de nombreux pays, dont la France. À cet égard, le rapport Humanis sur l’état du dialogue social en France, rendu public à l’occasion de la conférence, fait état d’une perception mitigée des salariés, 53 % estimant que le dialogue social va en se dégradant dans leur entreprise (contre 52 % en 2016), et 61 % le considérant comme bon (contre 64 % en 2015 par exemple).