logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Le grand entretien

« Le mode de calcul de la prime de participation a exclu d’emblée une majorité des PME »

Le grand entretien | publié le : 12.03.2018 | Agnès Klarsfeld

Image

« Le mode de calcul de la prime de participation a exclu d’emblée une majorité des PME »

Crédit photo Agnès Klarsfeld

Faire davantage participer les salariés aux résultats des entreprises, c’est un des objectifs du projet de loi Pacte, présenté en Conseil des ministres à la mi-mars. Encore faut-il bien comprendre les réticences et difficultés des PME.

Vous consacrez une grande partie de vos recherches aux méthodes de rémunération et à leur impact sur le management. Quelle est aujourd’hui la part dévolue en France à la participation financière aux résultats ?

La participation est née d’une utopie portée par le Général de Gaulle au lendemain de la Libération. L’objectif était de rapprocher les intérêts du patronat et du salariat en introduisant dans les rémunérations une part variable liée aux résultats de l’entreprise. À partir de cette idée, la France s’est dotée d’une palette d’outils originaux, uniques au monde. Ils sont aujourd’hui massivement utilisés dans les grandes entreprises : participation financière, intéressement, plan d’épargne d’entreprise (PEE), plan d’épargne retraite collectif (PERCO), fonds commun de placement d’entreprise (FCPE)…

Environ un tiers des salariés du privé, soit 7 millions de personnes sur un total de 19 millions, bénéficient aujourd’hui d’un ou plusieurs de ces dispositifs. Dit autrement, 12 millions en sont finalement exclus.

Pourquoi les PME ne mettent-elles que rarement en œuvre des dispositifs de participation aux résultats ?

On peut évoquer la loi. La participation est obligatoire aujourd’hui pour les entreprises de plus de 50 salariés. Elle ne l’est pas pour les plus petites PME. Le projet de loi Pacte va probablement modifier cette règle, en élargissant aux entreprises de plus de 10 salariés l’obligation d’y recourir. Mais on voit bien que seule une petite minorité des PME, entre 50 et 500 salariés, ont mis réellement en place un dispositif de participation. Étendre l’obligation sans modifier les règles du jeu risque de ne rien changer.

Pour inciter les PME à adhérer, le gouvernement envisage aussi de baisser les prélèvements sociaux sur les sommes distribuées au titre de la participation. Le « forfait social » serait fixé à hauteur de seulement 8 % dans les PME contre 20 % actuellement dans les entreprises de plus de 50 salariés (à l’exception des coopératives ouvrières qui étaient déjà favorisées sur ce plan). Mais encore une fois, cela nous semble une mauvaise piste. La fiscalité sur la participation a été absente pendant une longue période, ce qui n’a en rien incité les PME à mettre en place des dispositifs en ce sens. Les évolutions successives de la fiscalité n’ont rien changé par la suite. Les problèmes se situent ailleurs.

Quels sont donc les véritables freins ?

Le premier est assez simple à lever. Il est lié au mode de calcul de la participation. En 1967, les parlementaires avaient besoin des voix centristes pour faire accepter leur projet. Un jeu de négociation s’est engagé aboutissant à proposer que le versement d’une prime de participation ne soit autorisé que pour les entreprises dont le bénéfice net est supérieur à 5 % de leurs capitaux propres. De facto, ce calcul a exclu d’emblée une majorité des PME. Si l’on veut que la participation aux résultats concerne plus d’entreprises, cette règle doit donc être levée.

Le second point de blocage relève d’un constat cruel de la vie des petites PME (moins de 100 salariés). Elles n’ont pas les moyens de disposer d’un responsable de ressources humaines apte à monter et gérer ce type de projet. Les ressources humaines sont souvent confiées à un assistant administratif et/ou un expert-comptable. Manque de temps, manque de compétence, peur de l’inconnu, crainte d’associer les salariés à une négociation sur un accord de participation, autant de raisons qui se cumulent.

Il est indispensable d’accompagner les PME pour qu’elles se lancent. Les banques sont les mieux placées pour le faire. Elles détiennent un véritable savoir-faire depuis plus de 50 ans, avec des experts régionaux qui maîtrisent l’ensemble des dispositifs. Le gouvernement peut les mobiliser sur ce thème. Les branches professionnelles peuvent également intervenir et apporter du conseil à titre gracieux.

Les salariés des PME expriment-ils vraiment une demande en la matière ?

Les dispositifs sont très complexes et mal connus du grand public. Par ailleurs, pour que les salariés, au sein de l’entreprise, soient vraiment motivés par une participation aux résultats, il faut qu’ils fassent vraiment le lien entre leur effort collectif et les montants qu’ils toucheront. Or, ce n’est pas toujours évident aujourd’hui. Si les montants versés dépendaient du résultat courant avant impôt de l’entreprise, directement lié à l’activité et à la performance des salariés, ils y verraient plus d’intérêt que dans le contexte actuel, où ces montants dépendent du bénéfice net qui peut facilement être minoré par le dirigeant grâce à des artifices comptables.

Une bonne solution serait d’imposer aux entreprises de 11 à 50 salariés de distribuer par exemple 5 % de leur résultat courant, en permettant de relever ce pourcentage en accord avec les partenaires sociaux. Un tel système aurait l’intérêt de développer à la fois la participation et le management participatif.

Comment comprenez-vous la démarche du gouvernement, qui cherche à étendre la participation ? Est-ce une appropriation d’un certain héritage gaulliste ?

En cherchant ainsi à transformer les PME, le gouvernement actuel s’inscrit dans la continuité du projet gaulliste. Mais son but est aussi très pragmatique. Doubler le nombre de salariés touchant chaque année une participation aux résultats permettrait d’accroître très significativement les montants collectés dans les plans d’épargne entreprise qui alimentent l’actionnariat salarié et l’épargne retraite collective. C’est une manière habile de préparer l’avenir au moment où l’on rabote les systèmes de retraite par répartition.

Patrice Roussel

• Professeur à l’Université Toulouse Capitole, il dirige le centre de recherche TSM Research (CNRS) depuis 2009.

• Il consacre ses recherches aux questions de motivation, d’engagement, de satisfaction et de performance au travail, aux politiques de ressources humaines et de rémunérations depuis 1990. Il publie régulièrement dans les revues internationales et dans des ouvrages de recherche en GRH.

• Il enseigne la politique et la gestion des rémunérations, ainsi que le comportement organisationnel dans le MBA MRH de Paris-Dauphine depuis 2005.

Auteur

  • Agnès Klarsfeld