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Le fait de la semaine

Réforme de la formation : En route vers le « big bang » annoncé

Le fait de la semaine | publié le : 12.03.2018 | Laurence Estival

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Réforme de la formation : En route vers le « big bang » annoncé

Crédit photo Laurence Estival

Compte personnel de formation libellé en euros, simplification et transformation de la gouvernance. S’il s’inspire de l’accord conclu entre les partenaires sociaux, le gouvernement entend aller plus loin sur ces aspects-là, quitte à se mettre certains acteurs à dos…

« La formation doit devenir un droit réel individuel garanti collectivement », a souligné la ministre du Travail, Muriel Pénicaud, lors de la présentation le 5 mars 2018 de 12 mesures concrètes pour transformer le système et renforcer son efficacité. Après avoir « salué » l’accord auquel sont parvenus les partenaires sociaux pour renforcer les droits des salariés et demandeurs d’emploi, elle a souhaité aller plus loin. Chacun, qu’il soit à temps plein ou à temps partiel, verra son compte formation crédité de 500 euros par an (plafonné à 5 000 euros), un montant porté à 800 euros (plafonné à 8 000 euros) pour les moins qualifiés. Et pour rendre cette cagnotte facilement mobilisable, une application mobile sera créée pour connaître ses droits et choisir sa formation en toute transparence grâce aux données transmises par les organismes sur le taux d’insertion professionnelle, le salaire prévisionnel, une comparaison des coûts entre prestataires et les appréciations laissées par les anciens stagiaires. De plus, tout individu pourra, depuis cette application, s’inscrire directement sans faire appel à un intermédiaire et sans validation administrative.

La simplification annoncée par la ministre ne concerne pas que les salariés : les Urssaf seront désormais chargées de la collecte de la cotisation versée par les entreprises au titre de la mutualisation et non plus les Opca transformés en « Opérateurs de compétences ». Rattachés à une ou plusieurs branches professionnelles selon des logiques économiques cohérentes, ils seront chargés d’effectuer une gestion prévisionnelle des compétences, de conseiller les entreprises dans leur politique, de financer les plans de formation des TPE et PME et des CFA, grâce au reversement par les Urssaf de la partie des fonds correspondant à ces activités. Leur échappera la partie réservée au financement du CPF, directement réglé aux organismes de formation par la Caisse des dépôts et la partie dédiée aux demandeurs d’emploi. Enfin, la ministre a annoncé la création d’une agence nationale, France compétences, composée de trois collèges (État, partenaires sociaux, régions) qui remplacera les trois instances de gouvernance actuelles (FNSPP, Cnefop et Copanef). Elle devra assurer la régulation des prix et certifier les organismes pour garantir des standards de qualité car seuls ceux accrédités par la Cofrac pourront bénéficier des fonds mutualisés.

Une monétisation du CPF diversement appréciée

Les partenaires sociaux ont critiqué ces arbitrages. « La monétisation du CIF va inciter les salariés à s’intéresser davantage au coût de la formation retenue qu’à son contenu », explique Florence Poivey, négociatrice du Medef. « Pour éviter les dérapages, le ménage devra être fait parmi les formations éligibles au CPF, reconnaît Guillaume Huot, membre du comité de direction de Cegos et en charge du suivi de la réforme. Il y a actuellement dans le RNCP et l’inventaire, des formations obsolètes alors que les formations orientées vers de nouvelles compétences ont toutes les peines du monde à y être enregistrées en raison des lourdeurs administratives. » « Pour que la réforme atteigne sa cible, il faudra aussi trouver le moyen de certifier des microcompétences dans une logique de formation tout au long de la vie permettant à chacun d’utiliser régulièrement son CPF au lieu d’attendre dix ans avant de libérer les fonds pour suivre une formation longue et diplômante », ajoute Cyril Parlant, directeur associé du cabinet Fidal et responsable du pôle Économie de la connaissance. Selon l’expert, le passage « d’une économie assistée avec un tiers payant en B to B à une déréglementation où l’individu est en prise directe avec le marché », redouté par les employeurs, pourrait être au contraire un moyen de redynamiser le dialogue social : « Les salariés auront en effet la possibilité de discuter avec eux pour coconstruire leur projet professionnel en mettant dans la balance leurs droits pouvant alors être abondés par les entreprises. »

Les interrogations portent aussi sur la capacité des individus à juger de la pertinence d’une formation à partir d’une seule application… « On ne choisit pas de construire son projet professionnel comme on choisit une destination pour passer un week-end ! », lance Cyril Parlant. La réforme prévoit certes de renforcer le CEP (Conseil en évolution professionnelle) mais le ministère est resté dans le flou sur les moyens qui pourraient lui être attribués comme sur les opérateurs chargés d’épauler salariés et demandeurs d’emploi. Un appel d’offres sera lancé au niveau des régions pour choisir un prestataire. « Va-t-on aussi ouvrir la possibilité de concourir à des acteurs privés ou créer des réseaux où chacun pourrait apporter ces compétences en fonction de publics cibles ? », demande Guillaume Huot.

Des retombées différée

Le nouveau rôle des Opca et la question de la gouvernance font également débat. « En quoi le recours aux Urssaf pour percevoir la taxe est-il plus simple ? Le gouvernement rajoute en réalité une strate car une partie de fonds sera rétrocédée aux Opca », note Florence Poivey, qui comme l’ensemble des partenaires sociaux craint une « nationalisation de la formation professionnelle. » Face à leur transformation esquissée par le ministre, les Opca gardent le silence… « Mais comment vont-ils remplir leurs nouvelles missions sans bénéficier d’une part des fonds de la collecte ? », pointe Christophe Parmentier, fondateur de Clava, un cabinet de conseil sur la formation professionnelle. La répartition de la collecte entre le financement du CEP, du CPF ou en faveur des TPE et PME doit elle aussi être précisée.

Face aux questions posées par les annonces de Muriel Pénicaud, les partenaires sociaux demandent une nouvelle concertation, d’ici la rédaction du projet de loi qui doit être présenté en avril au Parlement. Et même si le vote de la loi intervenait avant l’été, le chemin à parcourir serait encore long avant son application effective. La transformation des Opca est attendue pour début 2019, la refonte du RNCP pour plus loin encore. Quant aux retombées, personne ne se hasarde à faire des pronostics… « C’est plus une nouvelle étape dans l’adaptation de notre dispositif que le big bang annoncé », tranche Olivier Faron, administrateur général du Cnam. Un point de vue diamétralement opposé à celui de Jean Wemaëre, le président de la FFP…

Auteur

  • Laurence Estival