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Le point sur…

« Les accords SUR L’ égalité professionnelle manquent d’ambition »

Le point sur… | publié le : 12.02.2018 | Lydie Colders

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« Les accords SUR L’ égalité professionnelle manquent d’ambition »

Crédit photo Lydie Colders

Malgré les accords sur l’égalité professionnelle, les mesures des entreprises restent insuffisantes face aux discriminations de carrière que subissent les femmes. Il faudrait y intégrer une politique ambitieuse d’équilibre des temps de vie entre hommes et femmes, et s’intéresser aux inégalités face à la santé au travail.

Dans votre livre, vous dressez un bilan nuancé des accords d’entreprise sur l’égalité professionnelle entre hommes et femmes. Vous en soulignez les avancées mais aussi les limites. Quels sont les freins qui demeurent ?

Depuis l’obligation de négocier des accords sur l’égalité professionnelle, notamment depuis la loi de 2014 sur l’égalité entre les femmes et les hommes, il y a un net progrès dans les entreprises, en particulier sur l’équité des rémunérations : les grands groupes ont pris des mesures pour corriger les inégalités salariales que subissaient les femmes à poste équivalent, via des enveloppes de rattrapage lors des NAO, ou en répercutant les augmentations et les primes au retour d’un congé parental. Cela dit, les entreprises concernées – de plus de 50 salariés – sont loin de s’être toutes emparées du sujet : en 2015, par exemple, 24 % d’entre elles ont négocié un accord sur l’égalité professionnelle, couvrant 20 % des salariés du privé. Dans les PME, le sujet de l’égalité homme-femme n’est pas une priorité du dialogue social. Quant aux grands groupes qui négocient leur troisième ou quatrième accord, je constate un essoufflement. Ils reconduisent les mêmes dispositions, sur les écarts de salaires ou la promotion de femmes dans l’encadrement. Mais l’égalité professionnelle, ce n’est pas que cela ! Les femmes restent prisonnières de stéréotypes qui les cantonnent à des métiers où la relation d’aide et d’écoute est importante. Les entreprises ont du mal à avancer sur ce chantier de la mixité des métiers et des recrutements, qui est pourtant fondamental. Rappelons que 81 % des temps partiels sont occupés par des femmes, ce qui constitue l’inégalité professionnelle la plus criante !

Dans ces accords, certaines entreprises ont pris des objectifs chiffrés pour remédier au déficit de femmes dans l’encadrement. Avec des programmes d’accompagnement spécifiques qui, selon vous, comportent des biais. Lesquels ?

Certains groupes font effectivement des efforts pour féminiser leur encadrement en encourageant leur promotion, via des réseaux de femmes cadres, du mentoring ou des formations au leadership. Mais je note que les objectifs ne sont pas si ambitieux que cela. Certains accords affirment vouloir atteindre 20 % à 30 % de femmes dans des postes cadres. Mais, selon les effectifs, cela peut concerner uniquement une vingtaine de salariées ! En outre, ces actions RH spécifiques comportent un risque : celui de trop faire peser sur les épaules des femmes leurs chances d’évoluer. Elles sont discriminées mais il leur revient de réparer ce problème, avec un coup de pouce du Comex ! Ces programmes leur demandent beaucoup d’efforts et de temps. Or, entre 30 et 40 ans, au moment où se décident ces promotions, c’est précisément la période où les salariées qui ont des enfants sont le moins disponibles. Est-ce vraiment cela, les aider à franchir ce fameux plafond de verre ? Il vaudrait mieux que les entreprises revoient leurs politiques de gestion de carrière, trop construites autour du management et de la mobilité géographique. Les DRH devraient diversifier leurs grilles, en introduisant d’autres échelles d’évolution, vers des postes d’experts ou de management d’expertise plus accessibles aux mères de famille. C’est un chantier de fond auquel peu d’entreprises s’attellent.

L’autre levier, selon vous, est d’agir sur la qualité de vie au travail. Dans quel sens ?

L’ANI de 2013 sur la qualité de vie au travail me semble en effet un excellent moyen de redonner du souffle à l’égalité professionnelle, puisqu’il incite les entreprises à travailler sur l’équité de l’exercice de la parentalité. La maternité et la garde des enfants restent très discriminantes pour les salariées. Si l’on veut lever les contraintes qui pèsent sur elles, les RH doivent s’occuper des hommes ! Il faut chercher à mieux articuler l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée entre les hommes et les femmes, encourager le télétravail, aménager les horaires ou créer des aides à la parentalité. Certaines entreprises commencent à financer des congés paternité plus longs. Ce sont des initiatives intéressantes. Pourquoi l’entreprise n’inciterait pas les hommes à prendre un congé parental, comme la loi le permet ? Ces mesures changeraient les mentalités, et les jeunes générations de salariés y sont d’ailleurs très favorables.

Vous dites que l’un des enjeux de l’égalité professionnelle, c’est la santé des femmes, en particulier non cadres. Quel est le lien avec les inégalités ?

Aujourd’hui, toute la fonction RH est focalisée sur la promotion des femmes cadres. Résultat : il y a une toute une zone invisible sur les employées qui représentent 40 % des emplois au niveau national. Dans cette catégorie de salariées, les écarts de salaires sont faibles, elles ne se projettent pas dans des carrières d’encadrement. C’est une population oubliée, et pourtant de plus en plus exposée à des problèmes de santé, de TMS ou de stress au travail, dans les métiers de l’accueil ou même de back-office. L’état de santé des femmes se dégrade : dans son rapport de 2017 sur les AT-MP, l’Anact a montré que, si les accidents du travail concernent presque deux fois plus d’hommes que de femmes, en quinze ans et en valeur absolue, ceux des hommes ont baissé de 29 %, tandis que ceux des femmes ont augmenté de 28 % ! Via la BDES, la loi Rebsamen a introduit l’idée d’une politique comparative de la sécurité et des conditions de travail selon le sexe. Il faudrait intégrer cet enjeu dans les accords sur l’égalité professionnelle.

En matière d’égalité, quel est votre avis sur la réforme des ordonnances du Code du travail ?

Ce qui est rassurant, c’est que l’égalité professionnelle demeure une prérogative de la négociation de branche, ce qui préserve la possibilité d’agir sur les inégalités hommes-femmes sur une base commune, selon le secteur d’activité. Mon inquiétude, c’est que les ordonnances permettent aujourd’hui de négocier par accord le contenu qui sera conservé dans la base de données économique et sociale. Les entreprises garderont sans soute les chiffres sur les salaires entre hommes et femmes, puisque l’égalité professionnelle demeure obligatoire lors des négociations annuelles. Mais, selon le contexte et l’attitude des syndicats, le risque est d’alléger les neuf domaines de la BDES, en supprimant des indicateurs jugés complexes, comme la situation comparée de la santé entre hommes et femmes, l’équilibre des temps de vie ou la formation. Si l’entreprise supprime ces données, ce serait alors un recul considérable pour agir sur l’égalité professionnelle.

Christophe Falcoz

• Responsable du master management des RH et organisations à l’IAE de Lyon, Christophe Falcoz est spécialisé dans le management de la diversité et les discriminations des minorités invisibles.

• Il a écrit plusieurs ouvrages et des études à ce sujet. Il vient de publier L’Égalité femmes-hommes, perspectives pour une égalité professionnelle (éditions EMS, janvier 2018).

Ses lectures

• L’Égalité sous conditions : genre, parité, diversité, de Réjane Sénac, Presses de Sciences Po, 2015.

• Un quart en moins, des femmes se battent pour en finir avec les inégalités de salaires, de Rachel Silvera, La Découverte, 2014.

• Hommes-femmes : leadership mode d’emploi, de Valérie Petit et Sarah Saint-Michel, Pearson, 2016.

Auteur

  • Lydie Colders