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Société : La religion détonne dans les entreprises

L’actualité | publié le : 12.02.2018 | Hugo Lattard

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Société : La religion détonne dans les entreprises

Crédit photo Hugo Lattard

Confrontés au fait religieux en entreprise, les managers ne savent pas toujours à quel saint se vouer. Que faire quand un salarié affiche ostensiblement sa religion, demande des aménagements pour la prière, ou refuse d’exécuter une partie de sa mission ?

La foi et l’entreprise font-elles bon ménage ? Dans quelle mesure les managers sont-ils confrontés à l’expression de la religion ? Comment y répondre ? Quelle place lui accorder ? Le fait religieux dans les entreprises, autrement dit l’expression de croyances religieuses par des paroles, des demandes ou des pratiques, n’a rien d’une nouveauté. Mais, ces dernières années, la question rencontre sans doute une sensibilité particulière, en résonance avec le débat sur la place de l’islam dans la société. Une enquête récente s’est penchée sur le phénomène. L’Institut Supérieur du Travail, le Crif et Le Figaro se sont associés à l’institut Harris Interactive pour interroger dirigeants d’entreprise et représentants du personnel à ce sujet. De ce sondage, réalisé en janvier auprès de 300 dirigeants et 103 représentants du personnel, dans des entreprises de plus de 100 salariés, il ressort d’abord que les perceptions et les réactions des partenaires sociaux sont sensiblement les mêmes en la matière. Quant à l’importance du phénomène, pour commencer. 18 % des dirigeants affirment avoir eu connaissance de faits avérés dans leurs entreprises. De même que 17 % des représentants des salariés. Dans les entreprises, l’expression manifeste de la foi est donc somme toute peu fréquente. Et plutôt stable, seuls 9 % des sondés voyant une augmentation des faits. Elle suscite cependant « des interrogations croissantes, tant de la part des employeurs, que des salariés, ou des représentants du personnel, auxquelles il est nécessaire d’apporter des réponses », a observé déjà le ministère du Travail, dans le Guide pratique du fait religieux dans les entreprises privées, édité l’an dernier.

Une tolérance variable

Même isolée, l’expression de la foi fait beaucoup de bruit dans une entreprise. « On a des légendes », constate à ce sujet Jean-Baptiste Obeniche, chez EDF. « On a des histoires, qui se sont réellement passées dans un lieu, mais qui sont racontées dans d’autres lieux. Il y a beaucoup de résonances », a témoigné le responsable du pôle Innovation, diversité et performance au travail d’EDF, lors d’un colloque organisé au Sénat le 3 février. Selon ce sondage Harris Interactive, l’expression de la religion dans une entreprise prend le plus souvent la forme de demandes de congés liés à une fête religieuse, hors jour férié. Viennent ensuite la prière et le port de signes ostentatoires, croix, kippa, voile ou la barbe, qui peut être considérée comme tel. Parmi les cas avérés, Jean-Baptiste Obeniche cite l’exemple d’une salariée qui ne voulait pas se dévoiler pour les contrôles imposés à l’accès sur les sites des centrales nucléaires. Pour dénouer la situation, « on a organisé la possibilité de se découvrir de manière privée », a expliqué le responsable de la diversité chez EDF. L’électricien, dès 2007, a produit son propre guide de bonnes pratiques à ce sujet.

La direction voit remonter « des questions très concrètes de nos managers quant à ce qu’ils peuvent faire face au fait religieux. Or ces questions sont les plus difficiles qu’un manager peut avoir à traiter », assure Line Pelissier, directrice de la diversité d’Orange, présente également à ce colloque. « Il faut reconnaître cette complexité, car cela touche à l’intime », développe-t-elle. Entrent en jeu les convictions profondes, celles du collaborateur qui formule la demande, et celles du manager à qui elle est formulée. A priori, les réactions sont peu favorables à l’expression des croyances. Dirigeants et représentants du personnel sont très majoritairement d’accord pour penser que la religion n’a pas beaucoup sa place en entreprise. Ou alors, de façon discrète. Le sondage Harris enseigne que plus la demande d’expression des croyances est formelle, comme l’aménagement d’un lieu de prière, plus le refus des sondés est fort. Et quand c’est non, la demande rencontre une conviction ferme. Tandis que les réponses oui sont très rarement très favorables. Avec une tolérance variable, toutefois, en fonction des faits religieux. Les moins compris ou tolérés étant ceux, en dernier ressort, qui touchent au lien social dans l’entreprise. Lorsqu’un salarié refuse de serrer la main à un collègue de l’autre sexe, par exemple. Voilà pour les postures de principe. Car en pratique, il est bien difficile de trouver une réponse appropriée.

Liberté de conscience

Il y a en tout cas des erreurs à ne pas commettre. Gare à ne pas « entrer dans le jeu, en faisant de la théologie », met en garde à ce sujet Thibault Lanxade, le vice-président du Medef, invité lui aussi à ce colloque. C’est en pure perte que l’on tenterait de réfuter la croyance. Tandis qu’une autre erreur consiste à « se référer à l’actualité, à un fait médiatisé », observe Thibault Lanxade. Rappelant enfin aux employeurs qu’il ne sert à rien de « mettre en avant le principe de laïcité, qui ne vaut pas pour les entreprises privées ». « De toute façon, ce n’est pas à nous de juger du port du voile ou de la kippa », affirme Jean-Baptiste Obeniche. « Le salarié reste libre de conscience, la loi française encadre cette liberté », rappelle le responsable chez EDF. Hervé Adam, directeur de la diversité chez Vinci, va dans le même sens : « Pour l’entreprise, la pratique religieuse relève du domaine personnel. Ce qui nous concerne, c’est son impact, si un comportement met à mal la cohésion de nos équipes. Ou contrevient aux exigences de santé ou de sécurité. Auquel cas ce n’est pas acceptable », a-t-il complété à ce colloque. Mais ce n’est qu’à certaines conditions que l’employeur est fondé en droit à s’y opposer. Notamment depuis la loi El Khomri de 2016, qui permet aux entreprises d’insérer dans leur règlement intérieur un principe de neutralisation des convictions religieuses (lire l’encadré).

Pour sa part, Orange s’est seulement doté d’une charte de neutralité. Qui n’est pas opposable juridiquement. Mais qui « s’applique à tous les champs d’expression. Pas seulement religieux, mais aussi philosophique, politique », explique Line Pelissier. « Pour ce qui est du religieux, on a beaucoup dialogué en interne, avec les organisations syndicales, les IRP. Parce que, pour les syndicats aussi, c’est compliqué », a observé la responsable de la diversité chez Orange à ce colloque. Philippe Louis, vice-président de la CFTC, reconnaît l’importance des questions. Et plus encore « le besoin de formation, d’informations » à ce sujet. Mais le responsable syndical – « un syndicat laïc, qui se réfère à la morale chrétienne », précise-t-il – invite aussi à relativiser : « Dans les entreprises, que des collaborateurs demandent des salles de méditation, c’est normal. Mais des salles de prière… » Cela semble à peine croyable désormais.

Auteur

  • Hugo Lattard