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Le point sur…

« L’engagement des managers Intermédiaires est un facteur majeur de performance »

Le point sur… | publié le : 05.02.2018 | Frédéric Brillet

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« L’engagement des managers Intermédiaires est un facteur majeur de performance »

Crédit photo Frédéric Brillet

Les managers intermédiaires sont des contributeurs majeurs à la stratégie, à la régulation et à la performance des organisations pour peu que ces dernières s’attachent à développer leur engagement.

Dans quel contexte s’inscrit le rôle des managers intermédiaires (MI) ?

Tout le monde sent bien que notre époque voit un changement de paradigme majeur. D’une part, les crises financières ont souligné les limites d’un pilotage excessivement financier des organisations et la nécessité de retrouver un fonctionnement plus équilibré, prenant mieux en compte le facteur humain. D’autre part, sous l’impulsion du progrès technique comme la digitalisation, les individus et les organisations changent. Les vieilles recettes du contrôle organisationnel, l’autonomie et la nature de l’engagement des acteurs de l’organisation se trouvent ainsi questionnés.

Quel rôle joue l’engagement des MI dans la performance des entreprises ?

Il faut d’abord définir ce que l’on entend par engagement des MI. La littérature récente se focalise sur l’engagement affectif qui renvoie à la volonté d’identification de l’individu aux buts et aux valeurs de l’organisation. Dans cette acception, l’engagement des managers intermédiaires est considéré comme un facteur majeur d’une meilleure performance des entreprises pour au moins deux raisons. Premièrement, les MI sont vus comme des acteurs de la stratégie. Leur rôle est primordial compte tenu des enjeux : transformation numérique, changements organisationnels, culturels et générationnels, concurrence exacerbée par l’arrivée de l’économie collaborative… Concrètement, les MI contribuent à la stratégie en percevant les signaux faibles, en initiant et en formulant une ambition stratégique à leur niveau et en la faisant partager à leurs équipes. Deuxièmement, les managers intermédiaires sont des contributeurs majeurs à la régulation des organisations. Leur capacité à gérer des situations managériales complexes et à composer avec les divers acteurs internes et externes à l’organisation dépasse leur rôle hiérarchique.

Malgré leur importance, les MI éprouvent de la frustration…

Leur rôle est ingrat car les MI se trouvent régulièrement coincés entre les injonctions hiérarchiques du sommet, parfois formulées de façon globalisante, incantatoire et simplificatrice et, d’autre part, la complexité de la réalité opérationnelle. On a souvent cherché à limiter leur latitude managériale, voire à les évincer pour éviter toute distorsion des signaux émis par le top management. Cette approche disciplinaire de la gouvernance ne nous semble pas de nature à susciter un véritable engagement, c’est-à-dire une identification aux buts et aux valeurs d’une organisation.

Y a-t-il aujourd’hui un retour en grâce des MI ?

Depuis quelques années, la contribution du MI à la création de valeur pour l’actionnaire est mieux reconnue. La vision cognitive de la gouvernance valorise sa connaissance des processus opérationnels créateurs de valeur. Par ailleurs, sa capacité à évoluer dans des environnements ambigus, à composer avec des contradictions et des parties prenantes aux agendas divers constitue un capital social important pour les organisations.

Quelles modalités de gouvernance permettent le mieux d’obtenir l’engagement des MI ?

La gouvernance de type disciplinaire vise à éviter les conflits en faisant des MI de simples transmetteurs des impulsions hiérarchiques. La gouvernance cognitive permet d’organiser des espaces d’échange afin de favoriser le compromis entre différentes visions mais requiert un engagement des MI. Il s’agit ici d’affronter les conflits cognitifs afin de favoriser l’apprentissage et l’innovation. La gouvernance ainsi entendue s’éloigne de l’approche purement contractuelle visant à discipliner les comportements, et s’oriente vers un nouveau mode de régulation qui favorise l’adhésion des porteurs de ressources critiques aux objectifs stratégiques de l’entreprise. Les modalités de gouvernance de notre étude sont connues sous le nom de pratiques mobilisatrices des ressources humaines. Il existe toute une panoplie de pratiques mobilisatrices mais nous avons sélectionné celles qui sont les plus pertinentes pour l’engagement des MI. Nous avons opté pour des pratiques basées sur les incitatifs – intéressement et participation –, la participation à la prise de décision et le partage de l’information.

Comment avez-vous testé l’impact des différentes modalités de gouvernance ?

Nous avons pris comme base un large échantillon de 2 239 managers travaillant dans des établissements de plus de 10 employés, du secteur privé et semi-public français, hors agriculture et administration. Cet échantillon est issu de la dernière enquête Reponse – Relations professionnelles et négociations d’entreprise – de 2010-2011, commanditée par la Dares – Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques. Les enseignements de Reponse sont très intéressants par rapport à l’engagement des MI. Nous constatons qu’en plus des incitatifs, c’est-à-dire des mécanismes de valorisation individuels et collectifs – participation, intéressement –, l’engagement des MI est sensible, en particulier, à leurs modes d’intégration dans les processus de décision et de diffusion de l’information sur la stratégie de l’entreprise et sur sa situation économique. Ces derniers leviers sont extrêmement précieux dans le processus de création de valeur par l’adhésion des MI aux objectifs stratégiques des entreprises.

À la lumière de vos travaux, que faut-il changer dans la relation qu’ont les actionnaires et les dirigeants avec les MI ?

Porteur, à la fois, des préoccupations du terrain et de celles de la direction, le MI est un connecteur capable d’impulser des signaux, tant vers la hiérarchie que vers les opérationnels. Restreindre son action à l’exécution en évitant toute velléité d’initiative n’est pas de nature à favoriser l’innovation. Il ne s’agit pas de renoncer à la discipline organisationnelle mais davantage de reconnaître que la discipline seule recèle des risques pour l’organisation contemporaine dont la capacité d’innovation – y compris managériale – est si importante. S’il faut de la discipline dans une organisation, il convient également d’aménager des espaces d’échange, des respirations organisationnelles où sont reconnues les capacités des différents acteurs pour la conception de la stratégie et la régulation de l’organisation.

Les auteurs

• Abdelwahab Aït Razouk est enseignant-chercheur en management stratégique des ressources humaines, il est responsable de la spécialisation ressources humaines à la Brest Business School depuis 2009.

• Yann Quemener est enseignant-chercheur en contrôle de gestion, il est responsable du MS contrôle de gestion et pilotage de la performance à la Brest Business School depuis 2003.

• En 2017, ils cosignent un article intitulé « Engagement des managers intermédiaires dans une approche cognitive de la gouvernance » dans la revue Question(s) de Management (EMS Éditions).

Leurs lectures

• Se transformer ou mourir : Les grands groupes face aux start-up, de Jean-Louis Beffa (Seuil).

• Performance de la R&D et de l’innovation. Du contrôle de gestion à la gestion contrôlée, de Roland Stasia et Sophie Hooge (Presse des Mines).

Auteur

  • Frédéric Brillet