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Le fait de la semaine

Interview : « La codétermination est la réforme la plus susceptible de débloquer la société française »

Le fait de la semaine | publié le : 05.02.2018 | H. L

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Interview : « La codétermination est la réforme la plus susceptible de débloquer la société française »

Crédit photo H. L

Olivier Favereau, professeur d’économie émérite à Paris Nanterre, codirecteur du département économie et société du Collège des Bernardins, auteur notamment de Penser l’entreprise : nouvel horizon du politique, cosigné avec Beaudouin Roger.

Pourquoi jugez-vous si important de faire progresser la participation des salariés dans les conseils d’administration d’entreprises ?

Ce n’est pas important, c’est très important. C’est peut-être même la réforme la plus importante que l’on puisse faire actuellement pour débloquer la société et l’économie françaises. Mais il faut commencer par faire une distinction aussi simple que fondamentale : entre la réalité juridique de la société, qui est quelque chose de très précis et très étroit, puisque n’en sont membres que ceux qui détiennent une action. Et la réalité économique de l’entreprise, dont les actionnaires font bien sûr partie, mais seulement comme une des parties prenantes, avec la direction, les salariés, les sous-traitants, les clients, les créanciers, l’État, les collectivités territoriales, etc. Or cet énorme ensemble est piloté par un tout petit sous-ensemble, avec ses membres strictement définis, qui sont les gens qui détiennent une action. Qui élisent les membres du conseil d’administration, et qui vont décider de la stratégie. C’est la partie qui gouverne le tout, sans contrôle ni contre-pouvoir. Il y a là une absurdité politique, au sens le plus général du terme. Dès lors que l’entreprise n’est pas la propriété des actionnaires, il n’y a aucune raison qu’ils aient le monopole de la désignation des représentants au conseil d’administration.

Qu’en est-il de nos voisins européens ?

Deux tiers des pays d’Europe ont un système de codétermination, plus ou moins fort. On l’a oublié parce que la suprématie des actionnaires est la règle dans le monde anglo-saxon, et que celui-ci, depuis les années 1980, exerce une sorte de domination idéologique. Mais sur le continent européen, ce n’est pas du tout majoritaire. La codétermination concerne tous les pays germaniques, les pays scandinaves, et une bonne partie des pays de l’Est entrés dans l’Union européenne. L’Europe a inventé un mode de gouvernement des entreprises très supérieur au mode anglo-saxon, dominé par les actionnaires, et beaucoup plus conflictuel. C’est un mode coopératif entre le capital et le travail, avec deux modalités : l’une scandinave avec un tiers du conseil d’administration ou de surveillance, composé de salariés, un seuil d’effectifs très bas : 25 salariés en Suède, 35 salariés au Danemark. L’autre modalité est la voie allemande, où le seuil de démarrage est plus élevé, à partir de 500 salariés, avec un tiers du conseil, mais la moitié, à partir de 2 000 salariés – il est vrai qu’en ce cas le président est un représentant du capital et a une voix double.

Concrètement que préconisez-vous, aller à parité ?

Dans un premier temps, il faudrait au moins rattraper le standard européen : le tiers du conseil. Et encore une fois, je pense que cela transformerait le climat politique et social en France. Les salariés regarderaient leur entreprise de façon différente, sachant qu’ils ont choisi leurs administrateurs salariés, que ceux-ci participent à la discussion stratégique et rendent compte des grandes orientations de l’entreprise. Cela ferait évoluer le patronat, et aussi le syndicalisme. Quand on regarde la situation en Europe, le verdict est assez clair : là où il y a codétermination, les syndicats sont forts. Et c’est l’inverse, là où il n’y a pas (ou peu) de codétermination. Au total, on voit que l’adoption du standard européen de codétermination, serait la réforme structurelle la plus efficace pour lever ou contourner ou dépasser certains des blocages les plus profonds de la société française. Les effets positifs seraient immenses sur le rapport à l’entreprise, au travail, à la gestion des conflits, à la recherche du consensus, à la vitalité démocratique, sans parler du rapport à l’Europe – pour une fois source de protection, vis-à-vis des salariés. Le tout ne coûtant pratiquement rien. Rapport qualité/prix imbattable !

Auteur

  • H. L