logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

L’actualité

Insertion : Les entreprises à but d’emploi parées à décoller

L’actualité | publié le : 05.02.2018 | Lou-Ève Popper

Image

Insertion : Les entreprises à but d’emploi parées à décoller

Crédit photo Lou-Ève Popper

Un an après le coup d’envoi de l’expérimentation nationale « Zéro chômeurs de longue durée », les dix territoires expérimentaux montrent des résultats encourageants.

Il est presque 9 heures du matin lorsque les premiers curieux arrivent au 26, rue du Chevaleret, dans le sud-est du 13e arrondissement de Paris. Là, une petite entreprise organise une journée portes ouvertes dans ses locaux : il s’agit de 13 Avenir, l’une des dix entreprises à but d’emploi (EBE) créées en 2017 dans le cadre d’une expérimentation nationale pour lutter contre le chômage de longue durée (lire l’encadré). Depuis qu’elle s’est lancée le 25 avril 2017, 13 Avenir a développé une quinzaine de « services utiles de proximité » jusqu’alors inexistants dans le quartier, parmi lesquels une conciergerie d’entreprise, du petit bricolage à domicile ou encore un jardin partagé. Des activités sociales et solidaires qui ont permis d’embaucher 17 personnes en CDI, rémunérées au smic et travaillant entre 24 et 35 heures par semaine. Et le projet n’en est qu’à ses débuts. « Nous prévoyons de recruter 70 personnes d’ici à la fin de l’année », assure Elisa Lewis, directrice de l’EBE. Ce jeudi 25 février, plusieurs territoires d’Ile-de-France sont venus pour en savoir davantage, de même que certains habitants du quartier, animés par l’espoir de trouver du travail.

Comme Sofiane, 29 ans, dont le frère a été embauché au sein de 13 Avenir il y a deux mois. Lui-même est au chômage depuis trois ans, après avoir été manutentionnaire en CDD. Le projet de 13 Avenir lui plaît beaucoup : « J’aime l’idée de pouvoir embellir le quartier. J’aimerais beaucoup faire du jardinage », confie-t-il. Sissoko, 28 ans, est lui aussi en recherche d’emploi depuis plusieurs années. Il a entendu parler de 13 Avenir par le bouche-à-oreille et espère pouvoir être embauché au sein de la conciergerie ou à l’atelier « bois et récup », situé de l’autre côté de la rue. Là-bas, une petite pièce accueille du matériel de menuiserie et des palettes récupérées dans la rue ou chez Leroy-Merlin et destinées à être transformées en bancs pour le jardin partagé. Ramzi, 39 ans, est l’un des quatre salariés de l’atelier. Après avoir été chômeur pendant longtemps, il a finalement trouvé cet emploi pour lequel il s’enthousiasme : « C’est la première fois que je me sens bien dans mon travail. Ici, il n’y a pas de pression, pas de chiffres, chacun est à son rythme », assure-t-il.

Direction ensuite la « disco soupe », où, quelques rues plus loin, dans une salle située au rez-de-chaussée d’une tour, une quinzaine de femmes s’affaire à couper et éplucher des légumes et des fruits initialement prévus pour finir dans les poubelles. Le tout en musique ! Dans cette ambiance survoltée, où le brouhaha des conversations se mêle au bruit des appareils de cuisine, des habitantes du quartier venues donner un coup de main bénévolement discutent avec les femmes hébergées à la Cité du Refuge, ravies de pouvoir égayer leur journée. En chefs d’orchestre de ce festin solidaire, deux salariées de l’EBE, dont Armelle, 43 ans. Il y a quelques années, cette ancienne commerciale a fait une dépression à cause de son travail. « C’était une ambiance trop agressive. Ici, je me sens bien », confie-t-elle, avant de humer le fumet qui s’échappe d’une des marmites.

Parmi les commis de cuisine se trouve également Magalie, qui habite le quartier depuis qu’elle est née, soit trente-six ans plus tôt. Elle n’a pas encore été embauchée mais son contrat pour un poste de secrétaire est sur le point d’être signé. Comme la jeune femme est au chômage depuis 2012, elle n’ose pas encore y croire : « Pour le moment, j’attends d’en savoir plus », murmure-t-elle. Nicolas, son conseiller à Pôle emploi, présent lui aussi lors de la journée porte ouverte, a travaillé longtemps en amont pour lui obtenir le poste : « Il a fallu la remettre à niveau en lui faisant suivre une formation. Mais maintenant, c’est bon ! », assure-t-il. Pour lui, 13 Avenir représente une chance pour les chômeurs de longue durée : « En n’ayant pas travaillé depuis si longtemps, aucun employeur n’aurait engagé Magalie. L’EBE peut être un tremplin pour elle. » C’est aussi Nicolas qui a permis de créer un poste sur mesure de gardiennage d’animaux pour une demandeuse d’emploi. « C’était son idée. Il a simplement fallu s’assurer avec 13 Avenir que cette activité n’était pas concurrentielle et nous l’avons lancée ! », sourit-il.

Des activités non concurrentielles

Mais la chose n’est pas toujours aussi simple. Pour s’assurer que les EBE ne marchent pas sur les plates-bandes d’autres entreprises, chaque nouvelle activité doit être validée par un « comité local de l’emploi », composé de représentants d’habitants du quartier, d’institutionnels et des acteurs économiques locaux. Mais Michel Darvy de Virville, vice-président de l’association Territoire zéro chômeur de longue durée, qui pilote l’expérimentation au niveau national, le reconnaît : « Nous n’avons aucun moyen d’être sûrs à 100 % de ne pas détruire des emplois. Il faut toujours être vigilant. »

Dans les territoires ruraux, où des pans entiers de l’activité économique ne sont pas exploités, la situation est cependant moins délicate qu’à Paris. C’est le cas notamment dans le territoire de Loire, Nièvre et Bertranges. Depuis son ouverture en février 2017, l’EBE, située dans le petit village de Prémery, a développé de multiples activités, sans aucune difficulté. Accompagner les personnes âgées dans leurs déplacements, couper du bois dans les forêts alentour, changer une ampoule à domicile… Les besoins ne manquent pas dans cette campagne où 40 % de la population a plus de 60 ans. Résultat : près de 70 personnes ont été embauchées et près de 30 chômeurs supplémentaires doivent l’être dans les mois à venir. Le principal acquis de l’expérience ? « Les gens arrêtent de raser les murs », assure Marie-Laure Brunet, directrice du comité local de l’emploi du territoire.

Même son de cloche du côté de Thierry Pain, directeur de l’EBE de Mauléon, dans les Deux-Sèvres. « Les gens embauchés retrouvent une certaine forme de dignité », confie-t-il. Depuis janvier 2017, 52 salariés ont été recrutés, soit 42 équivalents temps plein. D’après le directeur, le projet a rencontré un fort enthousiasme du côté des demandeurs d’emploi. Sur les 200 personnes contactées, près de 100 ont voulu participer à l’aventure. L’autre moitié a décliné l’offre pour de multiples raisons. « Quand vous êtes mécanicien automobile, vous n’avez pas vraiment d’intérêt à accepter un CDI à l’EBE. Pour les autres, ils sont trop éloignés de l’emploi. Ils auraient besoin d’un accompagnement, ce que nous ne proposons pas », reconnait-il. Une piste pour l’avenir ?

Dix territoires zéro chômeur de longue durée

La genèse de l’expérimentation remonte au milieu des années 1990. À l’époque, Patrick Valentin, l’homme à l’origine du projet, imagine un système qui permettrait d’utiliser l’argent des allocations pour développer des activités utiles et non concurrentielles et répondre aux besoins du territoire. Les chômeurs seraient embauchés en CDI sans condition et à temps choisi, selon leurs envies et leurs compétences. Vingt ans après cette première tentative, une loi d’habilitation est votée à l’Assemblée nationale le 20 février 2016 pour lancer l’expérimentation sur dix territoires. En décembre 2017, les dix entreprises à but d’emploi employaient 420 personnes en CDI. Soit moitié moins que ce qui était prévu. « Il y a 40 % des demandeurs d’emploi qui ont refusé d’aller travailler dans les EBE. Ceux-là sont dans des situations complexes et bénéficient de revenus de différentes natures », explique Patrick Valentin. La faute aussi, selon lui, au manque de financement de la part de l’État et de l’impréparation de certaines EBE. Pour autant, 50 territoires se sont déjà déclarés intéressés pour se lancer eux aussi dans l’expérience.

Auteur

  • Lou-Ève Popper