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Le point sur…

« Ce sont les salaries qui font la culture d’entreprise, pas seulement les dirigeants »

Le point sur… | publié le : 11.12.2017 | Frédéric brillet

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« Ce sont les salaries qui font la culture d’entreprise, pas seulement les dirigeants »

Crédit photo Frédéric brillet

Chaque entreprise se distingue par des pratiques permanentes qui constituent sa culture et participent à sa réussite. Au niveau européen, le modèle social de l’entreprise est caractérisé par l’importance donnée à la dimension humaine. C’est un atout pour aborder l’internationalisation et les enjeux d’avenir, sociétaux et environnementaux.

Comment avez-vous été amené à explorer le thème des cultures d’entreprise européennes ?

J’ai fondé en 2010 le Cercle des DRH européens, un think tank qui vise à partager les bonnes pratiques et les innovations d’entreprise. Ce cercle s’attache à préserver l’humain dans l’entreprise, à faire naître des normes et des standards sociaux européens et à être la voix de la communauté RH européenne dans les débats publics. Après avoir tenté de définir le modèle social européen, nous avions débattu, il y a trois ans, de la constitution du capital humain et de la façon dont l’entreprise se maintient comme corps constitué de compétences, de symboles et de pratiques. Nous avions ainsi travaillé sur ce qui est permanent dans l’entreprise : à travers la succession des salariés, dirigeants, évolutions du marché à laquelle toute entreprise qui dure est confrontée dans son histoire, il se conserve malgré tout quelque chose qui fait qu’elle demeure elle-même. La capacité d’une entreprise à mobiliser sa culture pour relever de nouveaux défis est un élément clé de sa réussite. Dans cet ouvrage, nous analysons justement les atouts spécifiques des cultures d’entreprise européennes.

Y a-t-il des points communs dans les cultures des grandes entreprises européennes ? Dans quelle mesure ces spécificités sont-elles liées au modèle social européen ?

Un modèle social se fonde d’abord sur une conception de l’entreprise. Le modèle social de l’Europe continentale peut se caractériser par plusieurs points distinctifs liés entre eux : de fortes cultures d’entreprise, un pacte social implicite pour l’emploi, une distribution des revenus plus resserrée qu’ailleurs, une volonté d’équilibrer vie professionnelle et vie personnelle, une recherche du dialogue social avec des modes d’information et de consultation originaux, une législation du travail protectrice des salariés et un État providence. Seuls les deux derniers points sont en général cités alors que les premiers sont fondamentaux : ils renvoient en effet à une conception de l’entreprise qui ne soit pas d’abord une entreprise « Wall Street » réduite à son cours de bourse, mais une communauté humaine soudée autour d’un projet. De cette conception découlent des dynamiques économiques et sociales, des régulations, nationales ou communautaires, du marché du travail. Notre modèle européen continental est bien sûr perturbé par la mondialisation, par la concurrence des autres continents. Mais il n’en demeure pas moins original avec une capacité particulière à penser le long terme.

Comment s’articulent la culture d’entreprise et la RSE ?

La RSE (Responsabilité sociétale des entreprises) n’a pas, à ce jour, tenu toutes ses promesses. Les référentiels couvrent bien les domaines clés, du social à l’environnement en passant par la gouvernance. Des actions d’amélioration sont menées dans de multiples entreprises, les fonds ISR (Investissements socialement responsables) se développent. Mais la RSE n’a pas encore un impact déterminant sur les comportements des entreprises. Ou peut-être les changements sont-ils trop lents pour être observables par les acteurs impatients que nous sommes ? Dans tous les cas, l’entreprise peut et doit désormais revendiquer une responsabilité sur son écosystème. Les cultures d’entreprise doivent maintenant intégrer les externalités que l’entreprise génère, qu’il s’agisse du chômage ou du réchauffement climatique, et pour cela écouter toutes les parties prenantes.

Comment évoluent les cultures d’entreprise qui se mondialisent à l’heure de la montée des nationalismes ?

Chaque entreprise doit trouver un équilibre entre quelques invariants qui fondent une culture commune à toutes les filiales et le respect de spécificités nationales. Mais cet équilibre diffère selon les secteurs. Le poids donné à chaque culture nationale est plus important dans les activités où il faut adapter le produit à la demande locale. C’est pourquoi les entreprises qui opèrent sur des marchés éclatés, comme l’agroalimentaire ou le BTP, laissent généralement plus de place à l’expression des cultures locales que celles qui interviennent sur des marchés mondiaux comme la pharmacie ou l’aéronautique. Malheureusement, ce facteur humain local est trop souvent vécu comme une contrainte par les entreprises. Celles-ci devraient au contraire le considérer comme une ressource à activer pour résoudre les nouveaux défis. Les entreprises cherchent naturellement à élargir leur champ, du national à l’Europe puis au monde. Elles sont les vecteurs naturels pour faire émerger des réponses communes aux questions nouvelles en s’enrichissant des bonnes pratiques d’où qu’elles viennent. Ainsi, le fait national n’est pas gommé par la mondialisation et, même s’il génère les pires excès nationalistes, il est porteur de différences qui enrichissent l’ensemble.

Dans quelle mesure l’impératif du développement durable change-t-il les cultures d’entreprise ?

Le réchauffement climatique nous met tous dans le même bateau. Il faudra bien réinternaliser les coûts qui étaient auparavant rejetés à l’extérieur de l’entreprise, par exemple en donnant un prix au carbone qui puisse conduire les entreprises à des choix plus rationnels. Des technologies pourront ainsi devenir obsolètes et d’autres apparaître. Cela suppose une évolution des cultures d’entreprise pour privilégier le long terme. Dans les sociétés cotées, ces nouvelles cultures d’entreprise peuvent contribuer à dépasser les enjeux financiers de court terme dictés par la Bourse.

Dans quelle mesure l’arrivée des jeunes, la féminisation de l’encadrement transforment-elles les cultures d’entreprise ?

Ce sont les salariés qui, au fil du temps, font la culture d’entreprise et pas seulement les dirigeants. Chaque génération apporte des questions nouvelles, la recherche d’une plus grande autonomie dans le travail, par exemple dans les dernières années. Chaque culture nationale conçoit l’autorité ou le travail en équipe de façon différente. Le management uniforme, importé des États-Unis sur le mode prêt-à-porter et renforcé par les grands systèmes d’information RH, est ainsi obligé d’évoluer. Mais la question la plus centrale, celle qui au XXIe siècle bouleversera les cultures d’entreprise, est celle de la place des femmes. Car les comportements ne se conjuguent pas de la même manière au masculin et au féminin. C’est un nouveau mode de leadership qui pourrait apparaître progressivement avec moins de statuts, moins de privilèges. Le management traditionnel au masculin, très individualiste, a trop souvent permis à des dirigeants de donner la priorité à leur carrière et à leur bonus au détriment de l’intérêt de l’entreprise. Il faut en sortir. Les femmes pourraient bien être les gagnantes de cette nouvelle donne par des comportements différents et des valeurs plus collectives. Aux entreprises de pratiquer dès aujourd’hui le bilinguisme hommes-femmes pour bénéficier de cet élan. Sur toutes ces questions et parce qu’elle doit se construire dans la diversité, l’Europe peut trouver le second souffle dont elle a besoin !

Yves Barou

• Directeur adjoint du cabinet de Martine Aubry en charge des 35 heures de 1998 à 2000, Yves Barou a ensuite été directeur adjoint du groupe Thales jusqu’en 2010. Il est président de l’Afpa depuis 2012.

• Il est l’auteur du Modèle social européen (préface de Jacques Delors, Cercle des DRH européens, éditions des Ilots de Résistance, 2013) et de Apprendre pour demain (éditions des Ilots de Résistance, 2017).

• Il a dirigé l’ouvrage collectif Les Cultures d’entreprises européennes au défi d’un nouveau monde (éditions des Ilots de Résistance, 2017).

Ses Lectures

• Homo Deus, une brève histoire du futur, de Yuval Noah Harari (éditions Albin Michel, 2017).

• Lettre à G. André Gorz en héritage, de Christophe Fourel (éditions Le Bord de l’Eau, 2017).

Auteur

  • Frédéric brillet