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Le point sur…

« Pour que le collaboratif fonctionne, les salariés doivent pouvoir s’exprimer librement, avec bienveillance »

Le point sur… | publié le : 20.11.2017 | Frédéric Brillet

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« Pour que le collaboratif fonctionne, les salariés doivent pouvoir s’exprimer librement, avec bienveillance »

Crédit photo Frédéric Brillet

En lien avec les transformations sociotechniques, le courant de l’entreprise libérée a ouvert la voie d’un nouveau management sans en préciser les modalités. Les entreprises conventionnelles ne sont pas favorables au collaboratif qui remet en cause le fonctionnement « commande-contrôle ». Les discours en entreprise prennent trop souvent la forme d’une langue de bois, alors que comprendre, échanger et délivrer sont trois clés de l’épanouissement au travail.

Vous avez collaboré à La Parole libérée en entreprise : les innovations managériales collaboratives de la FDJ. Comment est venue l’idée de cet ouvrage ?

La Française des Jeux (FDJ) est membre de la chaire Essec du changement que je dirige avec Jean-Marie Peretti. Dans le cadre des projets de recherche que nous réalisons en mode recherche-action avec nos partenaires, la FDJ a souhaité faire un bilan des démarches participatives qu’elle avait initiées depuis quatre ans environ et les communiquer dans une logique de partage du savoir sur le thème du collaboratif. Cette démarche marquait aussi la volonté de communiquer sur le comment du collaboratif et de mettre en exergue les pratiques envisageables de manière opérationnelle. Le courant de l’entreprise libérée a en effet ouvert la voie d’un autre management sans toutefois en préciser les modalités. De plus, nous souhaitions sortir d’une forme d’antagonisme entre le salarié et sa hiérarchie qui se perçoit de manière sous-jacente dans certaines acceptions de l’entreprise libérée.

Le livre fait le constat de l’essor du collaboratif alors même que, dans le monde du travail contemporain, les entreprises conventionnelles n’y sont pas favorables. Qu’est-ce qui, dans leur fonctionnement, résiste au collaboratif ?

Le collaboratif remet en cause le fonctionnement « commande-contrôle » et le pouvoir associé. Le collaboratif conteste la notion de norme et le pouvoir de ceux qui s’accaparent la norme. La résistance vient aussi de la difficulté pour les salariés de se convertir au collaboratif, qui requiert de s’exposer et de se mettre en mode « delivery ». Dans un précédent ouvrage, Agir en mode Delivery, coécrit avec d’autres auteurs, j’ai analysé ce concept qui consiste pour le salarié à privilégier l’action pour obtenir les meilleurs résultats du point de vue du client. Le mode « delivery » revient donc à agir pour fournir des produits et services qui satisfont le client. Pour ce faire, le salarié doit sans cesse expérimenter, s’adapter, apprendre et s’intéresser à ce que font les autres plutôt que se conformer passivement à des procédures et se focaliser sur le pré carré de son poste. Cette manière propre à l’Asie d’envisager le rapport à l’action explique en partie le dynamisme de la Chine ou de la Corée du Sud, pays dans lesquels cette approche permet notamment une plus grande facilité dans la mise en œuvre du changement.

Quels liens peut-on établir entre le collaboratif et la libération de la parole en entreprise ?

Le collaboratif correspond à une manière de penser – l’échange entre les personnes est plus important que – et des dispositifs opérants – focus groupes, codéveloppement, etc. Pour que le collaboratif fonctionne tant dans son idéal que dans ses dispositifs, les salariés doivent pouvoir s’exprimer librement, avec bienveillance. On sait que les discours en entreprise prennent trop souvent la forme d’une langue de bois d’évitement. C’est l’œuf et la poule. Il faut des dispositifs collaboratifs pour que la parole libérée s’exprime mais ces mêmes dispositifs ne réaliseront pas leurs objectifs si la parole n’est pas libérée. Mais ce sont quand même les dispositifs collaboratifs qui initient des démarches de libération de la parole.

L’ouvrage remarque : « L’entreprise vit un point de bascule entre des fonctionnements hérités du monde industriel et des fonctionnements collaboratifs en cours de construction, en lien avec la nouvelle donne sociotechnique ». Qu’entendez-vous par là ?

Les modes de fonctionnement des entreprises sont organisés autour de quelques principes clés issus de l’industrie des XIXe et XXe siècle qui deviennent obsolètes. Le premier renvoie à la nécessité de la présence sur le lieu de travail. Aujourd’hui, les technologies de télécommunication permettent de réaliser de nombreuses activités à distance. Autre principe mis à mal, le mode hiérarchique pyramidal : hérité des organisations militaires, ce fonctionnement, qui prévoit la diffusion de l’information descendante, est remis en cause par toutes les formes de réseaux sociaux qui développent les communications transversales. Idem pour le mode commande-contrôle. Dans l’entreprise classique, le manager est celui qui donne l’ordre et contrôle son exécution. Ce type de relation managériale ne tient plus au regard de la complexité des situations qui nécessitent l’association des parties prenantes à la décision, du niveau d’expertise de certains collaborateurs et de leurs besoins d’autonomie.

Quels bénéfices les entreprises conventionnelles et leurs salariés peuvent-ils tirer de la parole libérée ?

Parler a deux fonctions. La première est de nommer les choses pour les traiter. La deuxième est l’interaction qui enrichit les personnes dans une logique de regards croisés. Ces deux fonctions permettent un décodage du réel et une problématisation de celui-ci pour une réalisation collective. Comprendre, échanger, délivrer : et si ces trois ingrédients constituaient le nouveau cocktail de l’épanouissement au travail ?

Le mode collaboratif convient-il à toutes les firmes ou bien comporte-t-il des risques pour certaines ?

Je pense que le mode collaboratif peut s’appliquer à tous les types d’entreprises. En revanche, il faut se poser la question du dosage de la part du collaboratif et du management plus traditionnel en fonction de l’activité et de la maturité des personnes. Mal adapté, le collaboratif peut en effet apparaître comme de la démagogie et de la fausse participation.

Qu’est-ce qui a amené la FDJ à s’intéresser au collaboratif ?

L’impulsion de son directeur des relations humaines et de la transformation Pierre-Marie Argouarc’h et la croyance de personnes de son équipe comme Jean-Yves Guillain et Jean-Christophe Buvat. En réponse à la transformation digitale, la FDJ a souhaité développer le collaboratif et miser sur le développement de l’intelligence collective. Cette démarche a favorisé un foisonnement d’initiatives dans un premier temps car le collaboratif crée beaucoup d’envies et d’attentes. Après cette première vague d’initiatives, le travail de la direction des relations humaines a consisté à borner le collaboratif et à faire en sorte que celui-ci soit mobilisé pour les projets métier. Tous les managers ont utilisé les dispositifs collaboratifs et le collaboratif a été l’un des facteurs de la transformation digitale de l’entreprise.

Quelles conditions a-t-elle dû réunir pour réussir le passage à un mode collaboratif ?

Un des facteurs clés de succès du collaboratif à la FDJ a été l’incarnation dans des lieux – des salles dédiées avec une ergonomie spécifique –, des personnes – facilitateurs, animateurs – et des dispositifs – pour des projets et le management au quotidien. Si ces éléments d’incarnation disparaissent, le mode collaboratif pourrait s’essouffler.

David Autissier

• Maître de conférences HDR à l’IAE Eiffel depuis 1998, David Autissier dirige la chaire Essec du changement depuis 2011 et il est devenu directeur de la chaire Essec de l’innovation managériale et de l’excellence opérationnelle en 2017.

• Il a notamment publié en 2006 C’est n’importe quoi, dénonçant de manière humoristique les dérives bureaucratiques du management, et a contribué à un ouvrage collectif paru en France et en Corée du Sud, Agir en mode Delivery. Face à la crise, s’inspirer de l’Asie pour réussir, avec Philippe Li, Jean-Michel Moutot et la contribution de Jean-Pierre Raffarin (éditions Eyrolles, 2015).

• Sous la direction de David Autissier et de Jean-Yves Guillain, l’ouvrage collectif La Parole libérée en entreprise : les innovations managériales collaboratives de la FDJ est paru récemment chez Eyrolles.

Auteur

  • Frédéric Brillet