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L’interview

Benoît Meyronin : « Les séries TV illustrent les modèles de leadership qui prévalent dans les organisations »

L’interview | publié le : 10.10.2017 | <b>Frédéric Brillet</b>

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Benoît Meyronin : « Les séries TV illustrent les modèles de leadership qui prévalent dans les organisations »

Crédit photo <b>Frédéric Brillet</b>

Le management peut être autre chose qu’un sujet austère sans renier pour autant une exigence de rigueur. C’est ce que les auteurs du livre De MacGyver à Mad Men : quand les séries TV nous enseignent le management ont voulu montrer.

E & C : Comment est venue l’idée de ce livre collectif(1) ?

B. M. : D’une envie commune, avec Benoît Aubert, directeur de l’ICD International Business School (Paris) de parler du management autrement, en fédérant un lectorat plus large que celui des ouvrages de ce type. La “bonne vieille” méthode des cas pédagogiques, sans être obsolète, demeure pour l’essentiel déconnectée du quotidien de nos étudiants et donc peu énergisante. Les métaphores du coach sportif ou du chef d’orchestre pour parler du management ont été usées jusqu’à la corde. Nous voulions montrer que le management peut être autre chose qu’un sujet austère, un sujet “d’expert à expert”, sans renier pour autant une exigence de rigueur. Pour ce faire, nous avons sollicité des enseignants-chercheurs et des praticiens issus du monde l’entreprise afin de pouvoir traiter le monde de l’entreprise dans sa globalité.

Sur quels critères avez-vous sélectionné les séries traitées dans votre livre ?

Nous voulions couvrir le plus de champ possible – quatre aujourd’hui : le management des Hommes, le leadership, la relation au marché et l’innovation. Pour chaque sujet, nos contributeurs ont retenu une série qui leur permettait d’en parler avec le décalage voulu. Tous les show évoqués prennent pour contexte une organisation donnée dont les rouages sont mis en avant, depuis l’entreprise mafieuse (Les Soprano, Narcos ou Breaking Bad) jusqu’à l’entreprise de pompes funèbres (Six Feet Under), en passant par l’État du Vatican (The Young Pope) ou l’univers de la santé (Dr House). Le management ne concerne pas que le champ entrepreneurial, il est présent dans toutes les formes d’organisation. Il était essentiel pour nous de le souligner.

En quoi les séries sont-elles pertinentes pour parler de management ?

Le management relève des sciences humaines et sociales et, à ce titre, il est possible et même souhaitable d’en parler à travers la littérature ou les séries qui constituent de formidables leviers pour réfléchir à de grandes questions concernant cette discipline : comment prendre des décisions ? Comment concilier éthique et business ? Comment gérer ses émotions ? Le grand sociologue Howard S. Becker nous invite à parler des faits sociaux par tous les moyens pertinents (arts plastiques, littérature, cinéma…), il est pour nous une source d’inspiration.

Quelles leçons spécifiques tire-t-on de l’observation des séries pour le management des hommes et des organisations ?

D’abord, les bonnes séries mettent en scène des personnages riches et toute la complexité des relations humaines qui se tissent entre eux. Elles illustrent différents modèles de management des groupes et organisations : de Borgen aux Soprano en passant par The Walking Dead, elles illustrent autant de façons d’incarner une forme de leadership crédible. Les personnages sont amenés à prendre des décisions lourdes de conséquences sous contrainte : c’est évidemment le quotidien des dirigeants. Finalement, les séries proposent un détour intéressant pour réfléchir sur le management. Elles nous rappellent que la “variable humaine” demeure le principal moteur de toute entreprise, quelle que soit sa forme et sa vocation – économique, politique, spirituelle, criminelle…

En quoi Dr House et The Young Pope ont-ils attiré l’attention de vos contributeurs ?

Dr House pose la question des qualités humaines du manager. Comme l’explique l’enseignante-chercheuse Monika Siejka, on le voit souvent excellent technicien, mais piètre meneur d’hommes. Avec The Young Pope, Éric Le Deley souligne justement que jeunesse ne rime pas nécessairement avec modernité. À l’heure des transformations digitales et des “comités exécutifs Jeunes” penser que les générations connectées seront par nature plus à même d’accélérer ce changement peut être un leurre… Mais il insiste aussi sur l’idée de visibilité/invisibilité des managers, sur la bonne distance à observer entre trop et pas assez de présence. À l’heure de la responsabilisation ou de la “libération” des entreprises, c’est une vraie question !

À l’inverse, Tony Soprano dans votre livre fait figure de repoussoir…

Ce qui fascine chez Tony Soprano, c’est un mélange de puissance et de fragilité avec, évidemment, une réelle incapacité à assumer la seconde part… alors même qu’il peut être extrêmement émotif et que son incapacité à gérer ses émotions dans certaines situations lui joue des tours pendables. Pour un manager, savoir gérer ses émotions est naturellement un prérequis.

Quel enseignement tirer de Mad Men ?

La série s’impose parce que Don Draper, le directeur de création – héros de la série – est avant tout un visionnaire qui pousse ses équipes dans leurs retranchements créatifs et illustre le management de l’innovation, avec au fil des épisodes, des réflexions sur de nouvelles campagnes de création. Don par exemple met en scène l’art de la nostalgie qui fait plus vendre qu’un discours sur des “plus produit” basiques.

Et Six Feet Under ?

Cette petite entreprise familiale de pompes funèbres offre un condensé d’enjeux émotionnels (comment garder la bonne distance face à des clients déboussolés voire désespérés ? Comment rester sincère dans ce que l’on fait ? Etc.) que l’on retrouve dans tous les métiers de service qui traitent des personnes – et cela est vrai dans un commerce, dans les transports publics, à l’hôpital ou dans un bureau de poste ! Apprendre à gérer ses émotions, et plus globalement ce qu’Arlie Hochschild nomme le « travail émotionnel », est une nécessité de tous les jours à laquelle nous sommes finalement assez peu, voire pas du tout, préparés. Or c’est bien ce qui arrive aux protagonistes de la série, notamment au personnage principal pour qui ce métier n’est pas une vocation mais un poids lourd qu’il supporte de moins en moins.

Pour le management d’une start-up, pourquoi avoir pris comme exemple Breaking Bad ?

Certes, comme le précise Xavier Perret, auteur du chapitre, Breaking Bad traite du montage d’une activité de trafic de drogue qui n’est pas des plus recommandables. Mais la série présente les étapes-clés de développement d’une start-up et c’est en cela qu’elle nous a intéressés.

(1) Lire également notre présentation en p. 36.

Benoît Meyronin professeur de marketing

Parcours

> Depuis 2002, Benoît Meyronin est professeur de marketing à Grenoble École de Management, titulaire de la chaire BNP Paribas Cardif ingénierie & culture de service.

> Depuis 2011 : associé fondateur de l’Académie du Service.

> 2008 : directeur R & D de l’Académie du Service, alors filiale du groupe Accor.

> 2007 : habilitation à diriger des recherches, IAE de Nice.

> 2001 : doctorat en sciences économiques, Université de Nice-Sophia Antipolis.

Lectures

Le Prix des sentiments, Arlie Hochschild, éditions La Découverte, 2017 pour la traduction française.

Comment parler de la société, Howard S. Becker, La Découverte, 2009 pour la traduction française.

Auteur

  • <b>Frédéric Brillet</b>