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Négociation collective : Référendums d’entreprise : à vos risques et périls !

L’enquête | publié le : 26.09.2017 | Emmanuel Franck

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Négociation collective : Référendums d’entreprise : à vos risques et périls !

Crédit photo Emmanuel Franck

Initialement conçu pour un usage exceptionnel, le référendum de validation des accords d’entreprise est banalisé par les ordonnances réformant le Code du travail. L’expérience de ceux qui ont déjà eu recours à cet outil montre qu’il est d’un usage délicat. La question du périmètre du référendum est toujours en suspens.

Entre autres nouveautés, la loi Travail d’août 2016 a institué les référendums de validation des accords d’entreprise. C’est un changement notable de philosophie de la négociation collective, jusqu’ici presque exclusivement organisée autour de la signature des représentants du personnel, et qui va s’accentuer avec les ordonnances du mois de septembre. Soutenu par les syndicats patronaux, rejeté par la plupart des syndicats, le référendum de validation a été très peu utilisé depuis le 1er janvier 2017, date de son entrée en application. Selon notre décompte, trois entreprises ont soumis un projet d’accord à l’approbation de leurs salariés. Novo Nordisk et Merck ont ainsi validé deux accords, mais RTE a vu le sien rejeté (lire p. 19 à p. 22). Seuls deux accords ont donc été, à notre connaissance, validés selon les nouvelles règles issues de la loi de 2016.

Le législateur a en effet souhaité améliorer la légitimité des accords d’entreprise et, pour cela, il a décidé qu’ils devraient être signés par des syndicats représentant plus de 50 % des salariés (contre 30 % auparavant). Plus exigeante, la nouvelle règle complique la signature d’accords. Aussi la loi Travail a-t-elle institué un référendum de validation, à l’initiative des syndicats signataires, pour les accords recueillant entre 30 % et 49 % des suffrages.

« C’est une soupape face aux difficultés que pose l’accord majoritaire, mais le référendum ne peut pas être un moyen de fonctionnement normal », commente Jean-Paul Charlez, président de l’ANDRH et DRH d’Etam. Le législateur l’a d’ailleurs conçu pour faire face à des « situations exceptionnelles de blocage ». De fait, les praticiens du dialogue social en entreprise l’ont peu utilisé jusqu’à présent.

Un référendum perçu comme risqué

Les DRH et les syndicats d’entreprise perçoivent en effet cet outil comme risqué. Pour les adhérents de l’ANDRH, sondés au mois d’août 2016, la consultation des salariés doit être « considérée comme une exception en cas de blocage », car, « les salariés risquent de l’utiliser comme canal d’expression d’un mécontentement » sans rapport avec son objet.

À Air France, le syndicat Unac (CFE-CGC) a même renoncé à demander la convocation d’un référendum par peur d’un contentieux et pour ne pas froisser les syndicats majoritaires (lire p. XX). Bernard Vivier, directeur de l’Institut supérieur du travail, estime que le référendum est un exercice dangereux pour les syndicalistes, qui sont ainsi court-circuités, mais aussi pour les directions d’entreprises, qui se retrouvent dans une situation intenable si les salariés rejettent un projet que les actionnaires veulent néanmoins maintenir (lire son interview p. 23). Il souligne que, fondamentalement, l’entreprise n’est pas une démocratie et que la consultation des salariés n’a pas de sens.

Périmètre de consultation

Par ailleurs, les expériences montrent que la consultation des salariés, censée légitimer les accords, peut aussi être source de contestations et de tensions internes. La question centrale est de savoir quels salariés doivent être consultés. Le syndicat FO de Novo Nordisk pointe que si on avait demandé leur avis aux seuls salariés concernés par l’augmentation du temps de travail, ils auraient répondu non. Tout s’est donc passé comme si une majorité (65 %) de salariés de Novo Nordisk avaient voté pour qu’une minorité de leurs collègues travaillent davantage. Tensions assurées. La CGT de RTE estime, de son côté, que seuls les techniciens de maintenance et les opérateurs concernés par les chantiers à délais contraints auraient dû être consultés. Le débat s’est arrêté là car le texte a finalement été largement rejeté.

La question du périmètre de consultation n’est pas nouvelle. Elle s’est posée dès avant la loi Travail, lorsque les référendums n’avaient encore qu’une valeur consultative. Ainsi à Caterpillar en 2009, où les salariés ont voté à 64 % pour un durcissement des conditions de travail, y compris des salariés licenciés, qui donc n’étaient pas concernés. Mais aussi à Goodyear en 2008, lorsque 73 % de la totalité des salariés ont voté en faveur d’un passage aux 4x8 quand 75 % des salariés concernés par ce changement d’organisation ont voté contre. Une commission parlementaire s’était même déplacée dans les usines d’Amiens du fabricant de pneumatiques et avait conclu que seuls les salariés concernés devraient voter.

Ces députés n’ont pas été entendus. La loi d’août 2016 et son décret d’application ne règlent pas la question du périmètre et même se contredisent. Un premier contentieux a été introduit auprès du tribunal d’instance de Puteaux à ce sujet à l’occasion du référendum de RTE. Aux termes de son jugement rendu en juin 2017, tous les salariés de l’établissement couverts par l’accord sont appelés à se prononcer, qu’ils soient directement concernés ou non. Nul doute que les juges auront à se prononcer de nouveau sur la question.

À l’initiative de l’employeur

D’autant que les projets d’ordonnances présentés fin août, qui n’apportent aucune précision sur le périmètre du référendum, élargissent son usage. Il devient possible de consulter les salariés sur tous les sujets à compter du 1er mai 2018 (et non plus uniquement sur le temps de travail), et l’employeur pourra lui aussi en être à l’initiative de la consultation (alors que c’était une prérogative des syndicats signataires). Une nouveauté qui ne suscite guère l’intérêt des DRH. « J’imagine mal une direction d’entreprise consulter les salariés sur un accord non majoritaire sans que le ou les syndicats signataires s’associent à la démarche », commente Gilles Gateau, DRH d’Air France. « Au titre du parallélisme des formes, il ne me choque pas que la direction puisse aussi avoir l’initiative du référendum, déclare Jean-Paul Charlez, mais ce n’est pas un bon mode de fonctionnement. »

Enfin, les ordonnances autorisent les dirigeants de PME employant moins de 20 salariés et dépourvues de représentants du personnel à faire valider des accords par référendum. Il n’est pas certain que ce soit une bonne affaire pour eux.

Auteur

  • Emmanuel Franck