« Le référendum d’entreprise : sans utilité et sans légitimité »
La loi travail d’août 2016 permettait déjà aux syndicats signataires d’un accord minoritaire de demander une consultation des salariés. Il était inévitable que les directions disposent du même droit. Les ordonnances donnent également la possibilité aux directions d’entreprises employant moins de 20 salariés de solliciter directement ces derniers pour valider un accord. Le référendum d’entreprise est un serpent de mer des discours politiques, qui figurait d’ailleurs au programme du candidat Emmanuel Macron, mais c’est une erreur.
C’est un exercice dangereux pour les organisations syndicales car il les court-circuite. Mais également pour la direction car elle se trouve alors en prise directe avec les salariés. Si ces derniers répondent non lors du référendum, la direction est ligotée : désavouée directement par les salariés, elle ne peut invoquer le refus des syndicats et doit assumer elle-même le résultat puis l’expliquer aux actionnaires. Et si les actionnaires veulent néanmoins imposer le projet prévu, la direction n’a plus qu’à partir.
Le présupposé du référendum est que l’entreprise est un lieu de démocratie de même nature que les lieux de la démocratie politique (commune, arrondissement, nation), dans lesquels les citoyens – égaux en droits – décident ensemble de l’avenir commun, à travers le vote. Ce n’est pas le cas d’une entreprise, où existe un lien de subordination entre l’employeur et les salariés. En outre, si dans une société politique, le citoyen est le point de départ et le but de la vie politique, il n’en est pas de même pour une entreprise. Celle-ci est organisée pour satisfaire aux attentes d’un personnage qui lui est extérieur : le client, qui conditionne son organisation. Dans l’entreprise, le pouvoir se diffuse ; il ne se fractionne pas. Il n’y a donc pas de démocratie possible en entreprise, ce qui, pour autant, n’exclut pas la concertation et même la participation aux orientations générales ou aux décisions.
Il y a, en effet, des cas où un référendum peut être efficace. En 1994, Christian Blanc, Pdg d’Air France, alors en quasi-faillite, a fait adopter un plan de sauvetage par référendum interne, avec l’assentiment tacite des syndicats, qui n’auraient pas pu assumer un tel plan. A contrario, en 2003, le référendum pour réformer les retraites d’EDF, soutenu par la CGT et par la direction de l’électricien, a été un échec. Le référendum qui s’est déroulé à Smart en 2015 pour un retour aux 39 heures a été un demi-échec : les salariés ont globalement répondu positivement, mais si les cadres, les employés et les techniciens étaient très favorables (74 %) à un retour au 39 heures, ce n’était pas le cas pour les ouvriers (39 %). D’où des tensions au sein des équipes. Le référendum est un outil délicat à utiliser.
Non. Les exemples de Renault et de PSA, dont les syndicats ont signé des accords réduisant les acquis sociaux en attendant un retour à meilleure fortune, prouvent que les syndicats peuvent s’engager sur ces dossiers difficiles. Qui, mieux que les syndicats, est doté de la capacité à analyser des dossiers ? Au contraire, les référendums empêchent la maturation et la réflexion.
Pas les syndicats. Certainement pas les DRH non plus. D’ailleurs, très peu de référendums de validation ont été organisés depuis la loi d’août 2016. Un certain courant du patronat, qui souhaite contourner les syndicats, est favorable aux référendums. Mais il s’agit surtout d’une idée reçue qui traverse la sphère politique. Ce qui est nécessaire en politique ne l’est pas dans la sphère de l’économie.