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Sophie Binder : La chronique juridique d’avosial

Tendance | publié le : 25.09.2017 | Sophie Binder

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Sophie Binder : La chronique juridique d’avosial

Crédit photo Sophie Binder

Surveillance des communications et respect de la vie privée : la CEDH donne le “la”

La Cour européenne des droits de l’homme s’est récemment prononcée sur le respect de la vie privée au travail, dans une affaire impliquant un salarié roumain, licencié pour motif disciplinaire après avoir fait une utilisation personnelle d’internet.

Son employeur avait pris connaissance de ses correspondances privées sur sa messagerie professionnelle, justifiant son licenciement du fait de la violation du règlement établi au sein de l’entreprise concernant l’utilisation de la messagerie électronique professionnelle. Le salarié, après avoir été débouté devant les juridictions nationales, a porté plainte devant la juridiction européenne sur le fondement de l’article 8 de la CEDH (droit au respect de la vie privée et familiale, du domicile et de la correspondance).

Dans un premier temps, la Cour avait conclu à la non-violation de l’article 8 par les juridictions nationales, qui avaient ménagé un « juste équilibre » entre le droit du salarié et les intérêts de son employeur. Elle estimait que la surveillance de ses communications par l’employeur avait été raisonnable dans le cadre de l’exercice de son pouvoir disciplinaire et les enjeux liés à la vie privée du salarié pris en considération.

Le salarié a porté l’affaire devant la Grande Chambre, dont l’arrêt a été rendu le 5 septembre 2017.

La Cour a d’abord reconnu que les communications du salarié sur son lieu de travail bénéficiaient bien des protections de sa vie privée, familiale et de sa correspondance et que l’article 8 trouvait bien à s’appliquer dans cette affaire.

En d’autres termes, les instructions d’un employeur ne peuvent pas réduire à néant l’exercice de la vie privée et de la confidentialité de la correspondance au travail.

Ce principe étant réaffirmé et après avoir constaté la prise en considération, par les juridictions nationales, des intérêts en jeu, ainsi que du respect du principe du contradictoire lors de la procédure disciplinaire menée par l’employeur, la Cour a cependant relevé que les juridictions nationales avaient omis d’examiner :

– Si le salarié avait été averti préalablement à toute procédure disciplinaire de la possibilité que son employeur mette en place des mesures de surveillance, or il s’avère que le salarié n’avait pas été informé à l’avance de l’étendue et de la nature de la surveillance opérée par son employeur, ni de la possibilité que celui-ci avait de consulter le contenu même de ses messages ;

– L’étendue de la surveillance opérée et le degré d’intrusion dans la vie privée ; or l’employeur avait enregistré en temps réel toutes les communications du salarié pendant la période de surveillance et en avait imprimé le contenu ;

– La légitimité même du système de surveillance, in concreto ;

– Si le but poursuivi par l’employeur aurait pu être atteint par des méthodes moins intrusives que l’accès au contenu des communications du salarié ;

– La gravité des conséquences de la mesure de surveillance et de la procédure disciplinaire, puisque le salarié a été licencié ;

– À quel moment de la procédure disciplinaire l’employeur avait eu accès aux communications ;

La Cour en conclut que les autorités judiciaires nationales n’avaient pas protégé de manière adéquate le droit du salarié au respect de sa vie privée et de sa correspondance et que, dès lors, elles n’avaient pas ménagé un « juste équilibre » entre les intérêts en jeu. Partant, il y avait bien eu violation de l’article 8.

Très éclairant et en ligne avec les exigences du droit français concernant la légitimité de la mesure litigieuse et sa proportionnalité au but recherché, gageons que cet arrêt inspirera les rédacteurs de chartes informatiques aujourd’hui très répandues au sein des entreprises françaises, soucieuses de concilier des intérêts opposés entre la protection légitime des intérêts de l’entreprise et le respect de la vie privée et du secret des correspondances privées des salariés.

Auteur

  • Sophie Binder