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L’enquête

Qualité de vie au travail : prendre en compte l’impact humain pour réussir le changement

L’enquête | publié le : 12.09.2017 | Virginie Leblanc

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Qualité de vie au travail : prendre en compte l’impact humain pour réussir le changement

Crédit photo Virginie Leblanc

Le changement est permanent. À peine terminée une transformation, les salariés en voient apparaître une autre qui modifie à nouveau leurs conditions de travail. Afin de réussir ces transitions, certaines entreprises se préoccupent de leur impact humain. Elles les accompagnent en construisant des études pour mieux anticiper les risques, condition de réussite de leur mutation.

« Encore aujourd’hui, on constate que la plupart des changements n’atteignent pas le résultat attendu, déplore Jean-Pierre Brun, consultant associé au cabinet spécialisé dans la prévention des risques psychosociaux et la qualité de vie au travail Empreinte Humaine. Ils sont surtout vus sous l’angle de la performance, mais on ne regarde pas l’humain. » Or, c’est un facteur clé du succès selon lui. Depuis une dizaine d’années, il propose aux entreprises d’organiser des études de faisabilité humaine, selon la terminologie retenue par son cabinet. Une approche d’autant plus nécessaire qu’avec le temps, « le changement devient la règle, partout, tout le temps. Mais il est peu professionnalisé dans les entreprises ».

Certaines font exception : Danone, par exemple, accompagné par le consultant, a formé des référents internes sur le sujet et pratique couramment ces études depuis plusieurs années (lire p. 22).

Et de plus en plus d’entreprises intègrent le sujet dans leurs accords de qualité de vie au travail (QVT), à l’instar d’Areva, qui avait intégré dès son accord de 2012 une grille d’analyse de l’impact humain des changements (lire p. 24). La Maif propose, dans son deuxième accord sur ce thème, une grille d’analyse d’impact QVT, afin d’examiner, en amont des projets, les risques professionnels et notamment psychosociaux qui pourraient apparaître, avec des pistes d’actions construites avec les salariés (lire p. 20). Natixis, dans son accord QVT d’août 2016, reconnaît que les projets de transformation sont susceptibles de générer « inquiétude, stress, difficultés divers ». La banque s’engage à mettre à disposition des chefs de projet, managers, RH, un kit d’accompagnement du changement pour prendre en compte la dimension humaine. Orange, dans son accord de méthodologie de juin 2016 sur l’évaluation et l’adaptation de la charge de travail, fournit également une boîte à outils aux chefs de projet afin d’analyser les impacts des projets sur le travail et la charge. EDF et Bayer sont également outillées. Ce n’est pas un hasard.

Éviter les suspensions de projet

« À la suite de l’émergence de la problématique des RPS, et à la multiplication de projets de transformations ayant suscité des demandes d’expertises CHSCT, les études d’impact humain ont trouvé écho auprès des entreprises pour éviter des suspensions de projet, relate Ludovic Bugand, chargé de mission à l’Anact (département Expérimentations et développement outils et méthodes, Edom). La difficulté est qu’elles restent souvent considérées comme des contraintes venant freiner le projet. L’enjeu est d’en faire une donnée qui doit se traduire par un enrichissement des projets de transformation. »

« Souvent, nous réalisons ces études dans l’agenda social et juridique des projets de changement, indique David Mahé, président de Stimulus, cabinet conseil spécialisé dans le bien-être et la santé au travail. Depuis l’arrêt Fnac de 2012, beaucoup d’entreprises se sont habituées à réaliser des études d’impact humain au moment de l’annonce du changement. »

Le projet de réorganisation de la Fnac avait en effet été mis en suspens par une décision de justice, faute d’une étude suffisante des impacts humains du projet (lire Entreprise & Carrières n° 1184).

Performance et amélioration globale

Selon Franck Martini, directeur du cabinet Catéis, spécialisé dans le management des organisations et la santé au travail, les études d’impact ont deux préoccupations : « La performance et l’amélioration globale des dispositifs de prévention par la prise en compte des conditions de travail. » Elles sont de deux types, précise-t-il : celles qui sont réalisées une fois que le projet est conçu – on mesure alors ses impacts potentiels et les dimensions correctives à y apporter ; et celles qui sont organisées en même temps que l’ingénierie de projet, dès la conception – les plus efficaces.

Ces études peuvent concerner une variété de projets : modification de systèmes d’information, réorganisation d’une direction, fusion d’unités, implantation de nouveaux procédés de production, déménagement, etc.

« Elles nous conduisent à traiter de la partie émotionnelle du changement et à mesurer les facteurs de risques auxquels le projet de changement expose l’entreprise, indique David Mahé. Concrètement, nous réalisons des entretiens préparatoires, des analyses documentaires, et des observations sur sites. Nous rencontrons les personnes clés du projet, à la fois les décideurs et les porteurs. Des entretiens qualitatifs et semi-directifs sont aussi prévus avec des managers, des salariés, des élus, des médecins du travail, des opérationnels. Nous les interrogeons sur leur métier d’aujourd’hui et nous leur demandons comment ils l’imaginent demain, quelle perception ils ont des changements annoncés. » Les consultants de Stimulus construisent un état des lieux, accompagné d’une hiérarchisation des facteurs de risques liés au projet, et ils identifient les leviers de sa réussite. L’étude se conclut par un partage de recommandations sur la meilleure façon de bien accompagner le projet.

En tout état de cause, les consultants recommandent que le processus soit court, pour conserver la mobilisation des salariés, fondamentale. « Les personnes en charge de la conduite de projet disent souvent que l’étude va le ralentir, rapporte Jean-Pierre Brun, alors même qu’on peut la réaliser en deux à trois semaines. »

Remettre les IRP dans une position de construction

« Ces études sont une façon moins tendue d’aborder le sujet en partant du travail réel, remarque Hervé Garnier, secrétaire national de la CFDT. Souvent on a vu les IRP intervenir trop tard, en pompiers… C’est donc un outil assez intéressant pour accompagner le changement et remettre les IRP dans une position de construction. Mais la difficulté est de savoir si on ouvre de vrais espaces d’expression au sein desquels on donne des réponses. »

Jean-Pierre Brun en est persuadé, il ne faut pas laisser de questions sans réponses. En amont d’un projet de déménagement chez Saint-Gobain, 60 entretiens individuels ont été conduits avec les salariés (lire p. 23). « Nous leur avons demandé quels étaient selon eux les impacts des transformations annoncées sur les relations avec les managers et des plans d’actions ont été suggérés sur les solutions à apporter », illustre-t-il.

Au cours de ses interventions, Empreinte Humaine développe des éléments de langage auprès des chefs de projet pour les diffuser aux managers afin de mieux expliquer le changement. Le cabinet travaille aussi sur les pratiques managériales, et propose par exemple des coaching individuels ou collectifs afin de faciliter les échanges sur les difficultés rencontrées au sein des équipes. Il organise aussi des ateliers, des formations au changement auprès des managers. « Notre intervention sera une réussite si on arrive à recalculer la trajectoire du projet et à intégrer des changements », conclut Jean-Pierre Brun.

Et après ? « Il faut veiller à continuer l’accompagnement et à garder des capteurs, conseille David Mahé. À l’avenir, je pense que l’étude d’impact humain sera le début d’un accompagnement psychosocial dans un projet de changement et pas une fin en soi. Travailler sur les compétences émotionnelles au travail et la façon de vivre le changement, sera encore plus qu’aujourd’hui un élément clé pour être heureux au travail. »

Les craintes des salaries non prises en compte

Dans une étude publiée par Empreinte Humaine en mai 2016, et réalisée par l’Ifop, 61 % des salariés interrogés* déclaraient que le changement vécu n’avait pas amélioré leur bien-être au travail et 68 % qu’il n’avait pas rendu leur travail plus efficace. Pour 43 % d’entre eux, il a même un effet négatif sur leur activité.

67 % des salariés considèrent également que la direction ne tient pas compte de leurs craintes et de leurs suggestions.

63 % n’ont pas l’occasion de s’exprimer sur le changement.

* Panel de 1 044 participants.

Auteur

  • Virginie Leblanc