logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

L’interview

Karoline Strauss : « La proactivité des salaries se heurte a des obstacles »

L’interview | publié le : 18.07.2017 | Frédéric Brillet

Image

Karoline Strauss : « La proactivité des salaries se heurte a des obstacles »

Crédit photo Frédéric Brillet

Beaucoup d’entreprises attendent des salariés qu’ils soient non seulement performants et compétents, mais aussi qu’ils fassent preuve d’initiative. Cette proactivité, susceptible de provoquer des changements, peut aboutir à des échecs ayant des conséquences émotionnelles, voire créer du stress.

E & C : Vous consacrez une grande partie de vos recherches à la notion de proactivité dans les organisations. Pourquoi ?

Karoline Strauss : Dans la vie professionnelle, la proactivité implique de prendre l’initiative pour améliorer quelque chose que ce soit en vous-même, dans vos tâches, dans votre environnement de travail ou dans votre entreprise. Je m’y suis intéressée parce que je voulais comprendre pourquoi on y croisait des gens qui n’étaient pas proactifs. Pourquoi ces salariés quand ils perçoivent un problème s’abstiennent-ils de le régler ? Pourquoi font-ils preuve de passivité plutôt que de prendre les choses en main ? Peut-on les encourager à devenir plus proactifs, et plus important encore, devons-nous même essayer ? Voici quelques-unes des questions que j’ai étudiées au cours des dix dernières années et auxquelles je n’ai pas fini d’apporter des réponses, tant il y a à découvrir sur ce sujet.

Les entreprises encouragent-elles aujourd’hui la proactivité plus qu’auparavant ?

En lisant les descriptifs de poste, on remarque effectivement que le mot « proactif » apparaît de plus en plus. Beaucoup d’organisations attendent des salariés qu’ils soient non seulement performants et compétents, mais encore capables de faire preuve d’initiative et de suggérer des améliorations. Elles prennent conscience qu’en bas de l’échelle des employés peuvent percevoir des problèmes et des opportunités avant leurs managers. Pour améliorer leur processus et innover continuellement, elles cherchent donc à exploiter les idées proposées à tous les niveaux de la hiérarchie.

Quels avantages les salariés trouvent-ils à devenir proactifs ?

En général, ils progressent plus rapidement dans leur carrière et sont perçus comme d’excellents collaborateurs et des leaders charismatiques. De fait, ceux qui ont une propension à être proactifs sont également plus susceptibles d’investir du temps et des efforts dans ce qui les intéresse. Mais la mise en oeuvre de la proactivité se heurte à des obstacles. Les managers manquent de temps, les employés de base d’autonomie, alors même que la possibilité d’être proactif contribue à donner du sens à leur travail.

Constatez-vous un lien entre la valorisation de la proactivité et les cultures nationales ou d’entreprise, la taille ou le statut des organisations ?

Il est des cultures nationales et organisationnelles plus favorables que d’autres à cet état d’esprit. En France par exemple, la culture nationale a une tolérance relativement élevée à l’imprévisibilité et ne repose pas autant sur les règles, l’ordre, la structure et les procédures formelles que, par exemple, l’Allemagne. Cela pourrait rendre le contexte français plus ouvert à la proactivité. Je mène actuellement un projet de recherche de trois ans financé par l’Agence nationale de la recherche qui étudie la proactivité en France et en Allemagne et qui donnera un aperçu des différences entre ces deux cultures. En revanche, je n’ai pas constaté de lien entre proactivité, taille des organisations ou appartenance à un secteur particulier.

Comment la proactivité se manifeste-t-elle concrètement ?

La proactivité peut prendre différentes formes. Par exemple, les gens peuvent trouver des moyens plus efficaces de faire leur travail, ils peuvent créer des réseaux et développer des compétences qui les aideront dans leur carrière future, ou ils peuvent enclencher eux-mêmes des processus de changement au niveau de l’organisation. Un autre type de proactivité consiste à proposer des idées pour des améliorations, et ce type de proactivité est souvent formellement encouragé. Les systèmes pour exploiter les suggestions d’amélioration des employés ont une longue tradition. Les « boîtes à suggestions » anonymes se sont transformées en « systèmes de gestion d’idées » sophistiqués. Souvent, les suggestions sont également récompensées, même si elles ne sont finalement pas mises en œuvre. Cela envoie le signal que ce type de proactivité est souhaité par l’organisation.

Les attitudes proactives sont-elles toujours récompensées ?

Non, car la proactivité peut avoir des conséquences négatives. Les collègues de travail peuvent résister à nos efforts pour initier des changements et l’ambiance au travail s’en ressentira. Les managers peuvent considérer ces initiatives comme inutiles ou malvenues. La proactivité peut également détourner d’autres tâches et objectifs, aboutir à des échecs. Parce qu’elle implique de provoquer des changements, ses résultats sont généralement incertains et les revers sont fréquents, ce qui signifie que nous devons également en supporter les conséquences émotionnelles.

À quels risques les salariés trop proactifs s’exposent-ils ?

Il n’y a probablement pas un niveau optimal de proactivité, mais plutôt un bon moment et un bon endroit, surtout si l’initiative implique des changements pour autrui. Un comportement proactif qui se manifeste sans diplomatie peut entraîner des désaccords et des conflits au travail, dégrader le climat social. En particulier, en cas d’échec, la proactivité peut menacer l’image d’un collaborateur et nuire à sa réputation. Les recherches montrent que les personnes ayant une propension à la proactivité peuvent être évaluées négativement par leur superviseur si elles manquent de diplomatie. Elles peuvent même être perçues comme des fauteurs de trouble, des individus qui se mêlent de tout.

Avez-vous constaté dans les entreprises une corrélation directe entre le niveau de proactivité et le niveau de stress des salariés ?

La relation entre la proactivité et le stress est complexe. Dans une certaine mesure, le stress peut stimuler la proactivité. Si un employé peine à atteindre ses objectifs parce qu’il rencontre un obstacle, il peut devenir proactif pour l’éliminer. Mais comme je l’ai constaté dans mes dernières recherches, la proactivité augmente le stress dans certaines circonstances. Si le collaborateur est soumis à un contrôle, à la pression et qu’il devient proactif pour obtenir des rétributions ou éviter des sanctions, il subira un stress. Ce n’est pas le cas s’il adopte ce comportement de lui-même pour rendre son travail plus gratifiant et intéressant. C’est toute la différence entre motivation contrôlée et motivation autonome.

Sur la base de vos recherches, quelles recommandations peut-on faire pour développer la proactivité sans augmenter le stress ?

Pour favoriser la proactivité, il faut promouvoir le « pouvoir faire ». Cela implique que les organisations fassent confiance à leurs collaborateurs et que ceux-ci aient confiance en leur propre capacité à avoir de bonnes idées, à prendre de bonnes décisions. Par exemple, ils doivent être à l’aise s’ils décident de présenter une idée à leurs collègues ou à la direction. Ce facteur « pouvoir faire » dépend beaucoup du niveau de liberté accordé aux salariés. En règle générale, plus les collaborateurs sont autonomes, plus les managers sont ouverts aux suggestions, plus la proactivité peut s’épanouir.

Karoline Strauss professeur associe à l’essec

Parcours

> Depuis 2015 : professeur associé à l’Essec où elle enseigne les ressources humaines et la psychologie appliquée à la vie professionnelle.

> 2013-2015 : professeur associé à la Warwick Business School, université de Warwick

> 2010-2013 : professeur assistant en psychologie du travail, University of Sheffield Management School

> 2010 : doctorat de psychologie du travail, université de Sheffield

> 2006 : maîtrise de psychologie, université de Vienne

Lectures

Proactivity at work : Making things happen in organizations. 2016. Edited by S. K. Parker & U. K. Bindl. New York : Routledge Organization and Management Series.

Regret : The persistence of the possible. 1993. Janet Landman. Oxford University Press.

Auteur

  • Frédéric Brillet