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Reconnaissance : Il n’y a pas que le salaire qui compte

L’enquête | publié le : 18.07.2017 | H. T.

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Reconnaissance : Il n’y a pas que le salaire qui compte

Crédit photo H. T.

Le manque de reconnaissance au travail, dont font état de nombreuses enquêtes, inquiète certains DRH qui se demandent comment répondre de façon cohérente à cette attente particulière des salariés. Le terrain est d’autant plus mouvant que la relation au travail a changé ces dernières années.

L’engagement est une problématique montante dans les comités de direction. Mais c’est un champ d’investigation délicat pour les DRH : quel angle d’attaque ? Plusieurs études récentes menées auprès de salariés, dont la fameuse enquête « Parlons travail » de la CFDT, publiée le 16 mars dernier (lire Entreprise & Carrières n° 1329 et encadré ci-contre), pointent un sentiment marqué de manque de reconnaissance. Ressenti qui va bien au-delà de toute considération financière.

À l’heure où les budgets NAO se resserrent, avec des augmentations individuelles de plus en plus sélectives, certaines entreprises étendent d’ailleurs leurs négociations à des mesures favorisant le bien-être au travail. « On est sur le concept d’Employee Value Proposition (EVP), c’est-à-dire la proposition de valeur faite aux collaborateurs qui permet, à travers différents dispositifs RH, de donner plus de sens à leur travail », expliquait Bruno Rocquemont, directeur du département gestion des talents de Mercer France, à l’occasion de la publication de l’enquête NAO du cabinet, en juin dernier (lire Entreprise & Carrières n° 1340).

Les spécialistes de ces sujets en sont convaincus : la reconnaissance devient une préoccupation de premier plan pour les employeurs. « On sent une volonté de s’engager dans cette voie, c’est incontestable », soutient Christophe Laval, président du cabinet VPHR (Vision Performance Humain Reconnaissance). Pourquoi ? « Parce que c’est une composante essentielle de la qualité de vie au travail (QVT) et un élément d’efficacité et de performance durable, dont on peut mesurer l’impact économique. » Un gain, par exemple, estimé à 2 millions d’euros en termes de réduction de l’absentéisme et du turnover pour le CHU de Dijon qui, en 2011, avait enclenché un programme de reconnaissance au travail avec l’appui du cabinet.

Garder des collaborateurs motivés

« La reconnaissance est une réelle préoccupation de nos clients. Ce point est systématiquement abordé dans nos enquêtes d’engagement, qui concernent 10 millions de salariés dans le monde, appuie Laurent Termignon, directeur de l’activité talent & rewards en France de Willis Towers Watson. Les entreprises cherchent à connaître la perception des salariés, à repérer les bonnes pratiques, les différences entre entités. Et veulent s’assurer que les managers restent vigilants à l’égard de cette question. » L’objectif étant de garder des collaborateurs motivés dans des organisations de plus en plus changeantes, complexes et internationales. Des collaborateurs qui, ajoute-t-il, « sont aussi plus exigeants ».

Pour Christophe Laval, il ne s’agit pas d’une question d’âge, le besoin de reconnaissance ne touchant pas plus les jeunes que les seniors. Il reconnaît toutefois un effet générationnel quant à la façon de la témoigner : « Les baby-boomers attendent plutôt une reconnaissance descendante, émanant de la hiérarchie. Les jeunes veulent être reconnus par leurs collègues. C’est une reconnaissance transverse, collective, qui s’exprime d’ailleurs à travers les réseaux sociaux. »

Outils digitaux

Pas étonnant, du coup, que certaines organisations choisissent de déployer des outils digitaux ad hoc, non sans susciter quelques débats internes sur la pertinence de tels dispositifs. Telle la plate-forme #ItagYou, récemment mise en place chez Axa Banque (lire Entreprise & Carrières n° 1313). Celle-ci permet à chaque collaborateur, qui dispose de trois “tags” ou remerciement par mois, de valoriser ses pairs dans tous les actes du quotidien, les tags reçus pouvant être convertis en chèques cadeaux. Un moyen parmi d’autres, pour le DRH de la banque, de tendre vers la « déhiérarchisation » des comportements et le concept d’entreprise libérée.

Car le rapport des jeunes générations à l’entreprise et à la notion de pouvoir dans les organisations est en train de changer, comme l’explique Christophe Laval : « Auparavant, le chef était légitime de par sa position dans l’organigramme et il gardait l’information pour soi. Aujourd’hui, il doit prouver sa compétence et partager l’information avec ses collaborateurs, pour coconstruire un projet commun. » Pour les salariés, la reconnaissance des seuls résultats ne suffit plus : « Ils veulent pouvoir exprimer leurs idées et souhaitent qu’elles soient prises en considération. »

Julien Pelletier, responsable priorité QVT à l’Anact, va plus loin : « S’il y a un manque de reconnaissance, c’est que l’offre ne répond pas à la demande. Laquelle est croissante, diversifiée et donc compliquée à gérer, estime-t-il. Dans la société actuelle, tout le monde veut être reconnu pour ce qu’il est, dans sa spécificité, son identité individuelle et collective, sans être stigmatisé : je suis jeune ou quinquagénaire, homosexuel, asiatique, bac +8… » Un mouvement social également nourri, dans les entreprises, par les négociations sur l’égalité professionnelle, le handicap, le fait religieux, etc.

Quel sens, du coup, donner au manque de reconnaissance ? « Chacun parle de lui-même, répond Julien Pelletier. Un senior dira qu’on ne reconnaît pas son expérience, un jeune, qu’on ne reconnaît pas son diplôme. On a toujours tendance à surévaluer son propre travail et à sous-estimer ce que font les autres. Si les salaires ne sont pas connus, chacun pensera que ses collègues gagnent plus. C’est un mécanisme psychologique récurrent. Et tout cela génère, au final, beaucoup de frustrations ! »

Des politiques insatisfaisantes

Pas simple, comme le montre une enquête menée auprès de 423 décideurs et responsables RH par Fidal, l’Anact et le cabinet de conseil Amplitude au printemps 2016 : 54 % des sondés jugent la politique de reconnaissance de leur entreprise non satisfaisante, et 78 % estiment qu’elle met d’abord l’accent sur les résultats.

Laurent Termignon en convient : « Il n’y a pas de définition universelle de la reconnaissance. Cela varie d’une entreprise à l’autre, d’une personne à l’autre. Si on isole les aspects monétaires, l’objectif est, globalement, de reconnaître la contribution du salarié à l’entreprise de manière formelle ou informelle. » Pour Christophe Laval, « c’est la façon dont l’entreprise, dans son mode de fonctionnement, va permettre au collaborateur de se sentir partie prenante ».

L’Anact, elle, recentre la reconnaissance sur le travail au quotidien et les conditions de sa réalisation : « Les salariés sont obsédés par le temps et les moyens dont ils disposent, ils cherchent à être toujours plus efficaces », soutient Julien Pelletier. Pour qui la nature du travail, les moyens mis à disposition – sans oublier l’autonomie, qui permet au salarié de maîtriser son travail – sont « de puissants vecteurs de reconnaissance et d’engagement ».

Attentions quotidiennes

La construction d’un système pertinent sur un terrain particulièrement mouvant demande donc réflexion (lire p. 20). D’autant que les Hexagonaux ne sont pas réputés avoir la reconnaissance facile. Selon Christophe Laval, certains DRH redoutent aussi, en se lançant dans cette voie, d’ouvrir la boîte de Pandore et de générer des attentes… plus monétaires. Pourtant, la reconnaissance passe d’abord par des marques d’attention quotidiennes et basiques, que l’on a tendance à oublier : une tape sur l’épaule, un sourire, quelques mots échangés dans l’open space pour dire que l’on a apprécié telle intervention la veille en réunion, etc. Autant de petits riens « qui ont un impact considérable, surtout quand on est constamment sous pression, reconnaît Laurent Termignon. Quand on affine les motifs d’insatisfaction dans les enquêtes d’engagement, on constate que certains salariés aimeraient juste que leur chef leur dise bonjour ! Sensibiliser les managers à tous ces aspects est déjà un pas en avant ».

Et puis il y a les pots, les soirées, les formations, les espaces de parole, le télétravail, les horaires flexibles… : la reconnaissance est protéiforme. « Nous sommes, par exemple, intervenus chez un acteur de la distribution qui avait repéré un problème, illustre Laurent Termignon. Lors de groupes de travail menés avec des salariés des points de vente, il est apparu que ceux-ci se sentaient dévalorisés par leur uniforme qu’ils jugeaient dépassé. Le vêtement a été modernisé. Avec un double message de l’entreprise à l’égard des collaborateurs : “Nous avons pris en compte votre insatisfaction et vous avez contribué au changement”. »

Ce qui est sûr, c’est qu’il n’y a pas de recette miracle. C’est aussi une démarche de très longue haleine, qui doit embarquer toutes les populations de l’entreprise, depuis la direction générale jusqu’aux syndicats. Arkema (p. 21), Médiapost (p. 22), Blablacar (p. 23) et le groupe SGP (p. 24) peuvent en témoigner.

Tout l’enjeu, pour l’employeur, consiste à mettre en place un système adapté, en cohérence avec les attentes des salariés, ainsi qu’avec les priorités et les valeurs de l’entreprise. « Mettre en avant un collaborateur pour une réalisation effectuée de manière douteuse ou au mépris de ses pairs, alors que l’éthique ou la coopération sont des valeurs clés de l’organisation serait calamiteux », juge le directeur talent & rewards de Willis Towers Watson. Christophe Laval enfonce le clou : « Soit il s’agit d’une démarche authentique, sincère, soutenue par une réelle volonté de faire bouger les lignes et de mettre en place des plans d’action. Soit c’est de la manipulation et de l’infantilisation ! » À éviter absolument.

Des solutions digitales

Plusieurs start-up se sont lancées sur le créneau de l’engagement au sens large, avec des solutions visant à prendre le pouls social de l’entreprise, en offrant la possibilité aux salariés de partager leurs humeurs et leurs idées (tels ZestMeUp, Linkky, Skiply ou iDay). Pour sa part, Supermood conjugue, sur une même plate-forme, suivi de l’engagement, campagnes de feedback et reconnaissance. Celle-ci se matérialise par les “SuperLikes”, entendez la possibilité donnée à tous les collaborateurs de distinguer, chaque semaine, un autre salarié de l’entreprise. Une reconnaissance entre pairs, qui permet de valoriser les contributions des uns et des autres, y compris celles qui n’apparaissent pas sur le radar des managers.

Pour Kevin Bourgeois, cofondateur de Supermood, il s’agit d’« un merci qui n’aurait pas été dit dans la vraie vie. Nous répondons à un manque flagrant dans les entreprises, considère-t-il. L’outil ritualise le remerciement. Il y a un effet d’entraînement : on remercie pour le merci, et ça passe ensuite dans la vraie vie. Sans aucune autre motivation que l’altruisme ». Kevin Bourgeois en convient : « Il peut y avoir un petit effet donnant-donnant, mais il n’y a aucune pression sociale comme il peut y en avoir sur Facebook : qu’un salarié ait 100 SuperLikes ou aucun, personne d’autre que lui ne le verra ! »

La fonctionnalité est, assure-t-il, très appréciée des utilisateurs, quel que soit leur âge (le taux d’utilisation étant tout de même plus faible chez les 55 ans et plus). Avec des échanges intermétiers – qui sont une surprise pour Kevin Bourgeois. Créé en 2015, Supermood a déjà séduit plusieurs entreprises du CAC 40.

Pour aller plus loin

> Enjeux et perspectives de la reconnaissance au travail (livre blanc), Christophe Laval, VPHR, 2013.

> Les balbutiements de la reconnaissance au travail en France, Fidal, Anact, Amplitude (enquête menée auprès de 423 décideurs entre le 19 avril et le 13 mai 2016).

> Dix questions sur la reconnaissance au travail, Anact, 2017.

Auteur

  • H. T.