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L’interview

Olivier Bachelard : « Il est important de prendre en compte le bien-être au travail dans la Fonction publique »

L’interview | publié le : 13.06.2017 | Vincent Charbonnier

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Olivier Bachelard : « Il est important de prendre en compte le bien-être au travail dans la Fonction publique »

Crédit photo Vincent Charbonnier

La recherche du bien-être au travail n’est pas spécifique aux entreprises privées. Elle est une préoccupation croissante des services et entreprises publics. Elle ne se réduit pas à la prévention des risques psychosociaux, à la santé et à la sécurité au travail, mais participe de la performance globale. À condition d’être à l’écoute et d’être attentif aux signaux faibles des personnes en souffrance.

E & C : Comment définissez-vous le bien-être au travail ?

OLIVIER BACHELARD : Je reprendrai la définition de la santé par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en 1946 qui garde son actualité : « la santé n’est pas une absence de maladie, mais un état complet de bien-être physique et mental et social ». En France, cette notion a beaucoup évolué depuis les années 1970. Mais il reste beaucoup de travail à faire et de cadres à former. L’enjeu, ce sont les échelons intermédiaires. Aujourd’hui, un manager doit être un animateur d’équipe, doit arriver à créer une dynamique collective comme Aimé Jacquet avec l’équipe de France de football en 1998. La santé est un capital humain, un capital incorporé, très différent des autres formes de capital. Paradoxalement, il est encore plus important de le prendre en compte dans la fonction publique où il est question de statut. Qu’est-ce qui fait l’employabilité de quelqu’un ? C’est sa compétence, son expertise, et non son statut.

Quel a été l’impact de la révision générale des politiques publiques (RGPP) et de la modernisation de l’action publique (MAP) sur le management de la fonction publique ?

Alors que les entreprises privées se sont progressivement adaptées sous la pression de la concurrence, de la mondialisation, la fonction publique a dû se réformer d’un seul coup et réinterroger les façons de fonctionner. La création d’espaces d’échanges, de parole, peut être une réponse pour clarifier les décisions prises. Pour que cela fonctionne bien, il faut garantir des marges de manœuvre aux managers de terrain, des moyens aux actions de proximité, selon le principe de la subsidiarité. Et tenir compte de ce qu’il s’est passé, de l’histoire collective, des cultures, des valeurs, des initiatives prises. Développer les compétences des acteurs locaux nécessite de la coopération, du codéveloppement, et du coworking.

Comment certaines collectivités et services publics abordent-ils le bien-être au travail ?

À l’hôpital de Fourvière (253 lits), la DRH travaille depuis des années avec les soignants à l’amélioration de leurs conditions de travail. Des investissements assez lourds ont été réalisés, un lève-malade a par exemple été installé dans chaque chambre. En 2016, une salle de pause comprenant du matériel d’échauffement a été aménagée. Dans cet établissement, le taux d’absentéisme s’est stabilisé autour de 2 %.

À la CPAM de la Loire, une démarche sur la prévention des risques psychosociaux a débouché en 2010 sur une expérimentation de télétravail limité à deux jours par semaine. 27 agents volontaires télétravaillaient fin 2015. Ils devraient être 70 fin 2017. Cette expérimentation a fait ressortir un gain en efficience, chaque agent économisant par ailleurs près de 2 000 euros par personne en frais de déplacement et de garde d’enfant. Le pilotage du télétravail est désormais intégré dans le projet local d’entreprise. C’est considéré comme un mode de travail comme les autres. Une autre étude réalisée dans trois établissements d’enseignement montre que la gestion du bien-être nécessite de la confiance, et que cette confiance se construit au prix de la contradiction, l’intérêt collectif devant transcender l’individu.

C’est ce que vous appelez la bienveillance ? Vous plaidez d’ailleurs pour un « service public performant et bienveillant ». Comment concilier les deux ?

La bienveillance, ça veut dire : accepter de passer du temps à l’écoute de l’autre, mettre son ego dans sa poche. C’est un état d’esprit positif. Cela demande de doser ce qui est acceptable et inacceptable, ce qui est équitable. La bienveillance requiert rigueur et organisation. Elle doit intégrer la gestion des émotions. Il faut être attentif aux signaux faibles émis par les comportements des personnes. J’aime bien la formule de Confucius : « Choisis un travail que tu aimes, et jamais plus ne travailleras ».

La gestion du bien-être au travail ne nécessite-t-elle pas davantage de transversalité ?

Les managers et les DRH sont coupables lorsqu’ils laissent une personne à un même poste, dans un même bureau pendant des années. Ça vaut le coup de la bousculer, de lui faire prendre conscience de l’intérêt d’une certaine mobilité à condition de ne pas être manipulateur, d’être conscient de ce qui s’est passé auparavant pour mieux l’accompagner dans le présent afin de l’aider à se projeter dans le futur.

La fonction publique ne facilite-t-elle pas davantage la mobilité que le secteur privé ?

Oui, mais en silos. La mobilité est encore assez cloisonnée, spécialisée. À la Sécurité sociale, il est difficile de changer de régime. Il y a un important décloisonnement à réaliser. Je pense qu’on aurait intérêt à avoir une GRH plus territoriale pour les catégories C et B. Cela aurait du sens.

De plus en plus d’agents de la fonction publique sont en situation de souffrance au travail. Comment les prendre en charge ?

La prise en charge doit être faite au sein d’une équipe pluridisciplinaire comprenant la DRH, un préventeur, une infirmière, un médecin du travail. Il ne faut pas oublier l’assistante sociale qui joue un rôle de tiers social important, dans la mesure où elle peut aller voir à l’extérieur ce qui se passe dans des situations liées à un surendettement ou à une séparation conflictuelle, par exemple.

Le bien-être au travail n’est-il pas une « injonction » à la mode ?

J’aime bien me référer à ce qu’a écrit Simone Weil en 1936 dans la Condition ouvrière : « seul le travail est épanouissant ». Elle explique que par le travail, on peut affronter le monde, la réalité. J’en suis convaincu. Il est un peu trop facile de critiquer le travail qui serait aliénant.

Olivier Bachelard professeur en management des RH et sante

Parcours

> Psychologue du travail, il a débuté comme assistant au DRH de Calor, puis dans la chaire de management du travail et performance de l’entreprise à l’EM de Lyon. Sa thèse de doctorat en gestion l’amène à côtoyer les PMI. Après trois ans à la direction de la formation continue à l’École nationale supérieure de la Sécurité sociale, il devient directeur délégué de l’École supérieure de commerce de Saint-Étienne puis directeur du campus de Saint-Étienne de EM Lyon.

> Il a notamment coordonné Le bien être au travail. Pour un service public performant et bienveillant (avril 2017, Presses de l’EHESP).

Lectures

Rapport Lachmann-Larose-Pénicaud Bien-être et efficacité au travail, La documentation française, 2010.

Vers un leadership au service du management public. Favoriser l’émergence de compétences collectives, O. Bachelard-Normand, Canopé éditions, 2014.

Le harcèlement moral au travail, Marie-France Hirigoyen, Que sais-je ? PUF, 2014

Auteur

  • Vincent Charbonnier