logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

L’interview

Nathalie Pauwels : « En cas de suicide, l’entreprise peut prévenir la contagion »

L’interview | publié le : 30.05.2017 | Véronique Vigne-Lepage

Image

Nathalie Pauwels : « En cas de suicide, l’entreprise peut prévenir la contagion »

Crédit photo Véronique Vigne-Lepage

La communication autour d’un suicide peut avoir des effets protecteurs ou, au contraire, délétères, selon qu’elle est faite de manière responsable ou pas. Le programme de recherche-action Papageno vise à étudier et à faire connaître ces effets, ainsi qu’à aider les journalistes et les entreprises à se préparer à gérer de telles situations.

E & C : En quoi consiste le programme Papageno sur le traitement médiatique du suicide, dont vous avez la charge, et quel lien peut-on faire avec le monde de l’entreprise ?

NATHALIE PAUWELS : Il s’agit d’une recherche-action sur la contagion suicidaire et sur la manière de limiter celle-ci dans le traitement médiatique principalement, mais aussi au sein des institutions où peuvent avoir lieu des suicides, telles que les entreprises. Nous sommes les seuls en France à étudier cette question de la contagion suicidaire dans un sens aussi large et peu le font au plan international. Nous nous fondons sur les effets du traitement médiatique, qui sont, eux, connus depuis longtemps.

L’effet de contagion dû à la médiatisation d’un suicide a été nommé « effet Werther » car lorsque le roman de Goethe, Les souffrances du jeune Werther, est paru, en 1774, l’Europe a connu une vague de suicides de personnes ayant le livre près d’elles, ayant utilisé le même moyen létal que le personnage, etc. De même en a-t-il été lors du suicide de Marylin Monroe, en 1962 : + 40 % de suicides dans sa ville de Los Angeles, + 12,5 % aux États-Unis et + 10 % en Grande-Bretagne.

À partir de là, les scientifiques ont commencé à étudier le phénomène. On sait, depuis, que la contagion suicidaire est, entre autres, liée à un phénomène d’identification. Celle-ci peut-être “verticale”, comme avec une célébrité, ou “horizontale”, dans le cas de personnes du même âge, de la même profession, vivant les mêmes difficultés, etc. On se dit que si la personne que l’on vénérait ou dans laquelle on se reconnaît n’a vu que cette solution à ses difficultés, alors c’est aussi la seule solution pour soi.

Les études conduites sur ce sujet révèlent que la façon d’informer sur un suicide peut influer négativement ou positivement sur les personnes vulnérables. Dans le premier cas, c’est l’effet Werther. Dans l’autre, on parle de l’effet Papageno, identifié plus récemment et qui a donné son nom à notre programme. Papageno est l’oiseleur de La Flûte Enchantée, l’opéra de Mozart : alors qu’il veut se donner la mort, les angelots lui font comprendre qu’il a les ressources pour vivre. L’effet Papageno, c’est favoriser une identification protectrice. Ainsi, un traitement responsable de cette information – en journalisme surtout mais aussi, par extension, dans la communication d’une entreprise – peut limiter, voire éviter, la contagion.

Qu’est-ce qu’un “traitement responsable” de l’information sur un suicide ?

Tout d’abord, il faut dire que céder à la tentation de ne pas en parler reviendrait à nier un grave problème de santé publique : on compte 10 000 suicides en France chaque année et 220 000 tentatives. Cela serait aussi nier la fonction signifiante de cet acte, même non abouti, et présenterait un risque d’isolement, par stigmatisation, des personnes ayant des idées suicidaires. Cette option est donc à proscrire. Il faut donc en parler, mais avec précaution. Les détails, par exemple, ne sont pas utiles : ce sont souvent des raccourcis, sujets à interprétations erronées. Qualifier également un suicide de “réussi” véhicule une image glorifiante.

Lorsqu’une personne a cette idée en tête, elle en élabore peu à peu le scénario. Or si on casse l’un des points de ce scénario, on peut, au contraire, la faire revenir à un stade où elle sera capable de demander de l’aide. Ainsi, si un employé d’une entreprise se suicide, à défaut de pouvoir taire le lieu où elle l’a fait, il faut immédiatement le sécuriser (mettre des barrières devant la fenêtre de son bureau, par exemple) et dire qu’on l’a fait. Ceci pour briser l’idée que c’est un endroit où cet acte est possible. Il est prouvé que le lieu d’un suicide en attire d’autres, comme le Golden Gate de San Francisco.

Il faut également diffuser immédiatement des numéros d’aide : cellule d’intervention psychologique, horaires de consultation du médecin du travail, ressources locales extérieures… Il s’agit par ailleurs de veiller à la manière dont on fait l’annonce en interne : cela doit être fait avec décence et humanité. Il faut que l’entreprise donne aux collègues du suicidé qui le souhaitent, en accord avec la famille, la possibilité d’assister à l’enterrement. La diffusion d’un e-mail, qui veut informer largement, est, selon moi, à proscrire : il faut prendre le temps nécessaire d’un échange de personne à personne. On peut informer les chefs d’équipe, qui relayeront ensuite à leurs collaborateurs. Quoi qu’il en soit, il faut que l’entreprise soit préparée à gérer une telle situation.

Pourquoi se préparer à un hypothétique suicide et comment le faire ?

On se prépare toujours à gérer un risque en espérant que cela ne servira jamais, comme pour les incendies, par exemple. Un suicide, surtout s’il est exécuté sur le lieu du travail, ne fait pas partie des événements auxquels le milieu professionnel est préparé. Un tel acte est psychologiquement éprouvant pour les collègues de la personne et entraîne beaucoup de confusion dans les premiers jours. Se préparer n’empêche pas cette désorganisation, mais cela permet d’aider à remettre chacun dans son rôle et d’éviter les hésitations sur la conduite à tenir en matière de communication, qui seraient source de rumeurs, de suspicion…

Notre équipe (moi-même en communication et deux psychiatres, dont un docteur en neurosciences) propose aux institutions de les accompagner dans la mise en place d’une cellule spécifique et d’en former les membres au risque suicidaire. Le rôle d’une telle cellule est de répertorier toutes les ressources disponibles et d’établir une fiche-action pour le jour J éventuel. Sa composition doit être adaptée à chaque entreprise, mais il faut toujours qu’y participent l’un des dirigeants et le responsable de la communication. Il est souhaitable qu’il y ait également un représentant syndical : la formation au risque suicidaire a notamment pour objectif de sensibiliser à la complexité des mécanismes en jeu, afin de ne pas limiter un suicide à un seul facteur déclencheur.

Dans la cellule, il peut aussi y avoir l’assistante sociale, que l’entreprise mettrait à disposition de la famille endeuillée. En ayant ce comportement protecteur, la direction montre qu’elle ne se désengage pas de ses responsabilités. Le médecin du travail peut aussi en faire partie, de même qu’un psychologue du service de santé au travail. La participation du DRH n’est pas systématique, mais il peut apporter sa connaissance du personnel, de l’organisation, etc. Dans certains corps de métiers, il existe des “sentinelles”, relais d’information auprès des salariés, qui pourraient également être sensibilisées. Dans une institution, nous avons même proposé la participation d’un journaliste.

Nathalie Pauwels chargée de communication de la F2RSMPsy des Hauts-De-France(1)

Parcours

> Depuis 2015, Nathalie Pauwels est chargée de déployer le programme Papageno de recherche-action sur la contagion suicidaire, lancé par la F2RSMPsy, le Groupe d’études et de prévention du suicide et l’Association lilloise de l’internat en psychiatrie (papageno-suicide.com).

> Titulaire d’un Master 2 en développement RH (Université de Lille), elle a auparavant occupé divers postes en communication à l’Institut Pasteur, aux hôpitaux psychiatriques de Bailleul et de Saint-André, ainsi qu’à l’hôpital Maisonneuve-Rosemont de Montréal (Canada).

Lectures

Le suicide, le comprendre pour le prévenir, Monique Séguin, 2009, Éditions au carré.

Le suicide, un tabou français, Pr Michel Debout et Gérard Clavairoly, 2012, Éditions Pascal, Mutualité française.

(1) F2RSMPsy : Fédération régionale de recherche en psychiatre et santé mentale des Hauts-de-France, structure commune à plus de 40 hôpitaux psychiatriques de cette région.

Auteur

  • Véronique Vigne-Lepage