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L’interview

Dominique Ferrieux et Céline Sauvezon : « Chaque méthode de diagnostic des RPS ne mesure qu’une partie du phénomène »

L’interview | publié le : 09.05.2017 | Solange de Fréminville

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Dominique Ferrieux et Céline Sauvezon : « Chaque méthode de diagnostic des RPS ne mesure qu’une partie du phénomène »

Crédit photo Solange de Fréminville

Le diagnostic des risques psychosociaux (RPS), en particulier du stress au travail, diffère selon les méthodes d’analyse, au point d’aboutir à des résultats divergents. D’où la nécessité d’une pré-enquête pour identifier les facteurs de RPS et choisir la méthode d’analyse la plus adaptée. L’approche de la qualité de vie au travail est la plus complète.

E & C : Il existe différentes méthodes de diagnostic des risques psychosociaux. Ces risques sont difficiles à cerner car ils incluent aussi bien le stress que le harcèlement ou les violences au travail. Dès lors, comment choisir une méthode et obtenir des résultats fiables ?

CÉLINE SAUVEZON : Il faut être conscient que chaque méthode porte en elle une certaine vision des risques psychosociaux (RPS), en particulier du stress au travail. Chacune se réfère de façon plus ou moins implicite à un modèle théorique qui définit un ensemble de causes différentes. Selon Karasek, le stress des salariés provient de la conjonction de trois dimensions de leur situation de travail : peu de soutien social, une faible autonomie et une charge de travail élevée. Selon d’autres modèles, l’essentiel est la perception que chacun a de la situation. Une personne est dite stressée quand elle ressent un déséquilibre entre ce qu’elle peut faire et ce qu’on lui demande de faire. Ainsi, chaque approche est porteuse d’une interprétation de la situation et induit des réponses différentes lors du diagnostic.

DOMINIQUE FERRIEUX : Aucune approche n’est fausse, mais aucune ne permet de cerner l’ensemble des facteurs de stress, ni bien sûr de RPS, dans telle ou telle entreprise, de manière fiable. En réalité, chaque méthode mesure une partie d’un phénomène global.

Deux diagnostics d’une même situation peuvent-ils aboutir à des résultats très différents ?

C. S. : Oui, nous l’avons démontré au terme d’une recherche-action sur un échantillon de 480 salariés d’une entreprise française de la grande distribution. Nous avons utilisé conjointement trois outils « classiques » pour mesurer le niveau et les causes du stress au travail. Les résultats diffèrent beaucoup d’un outil à l’autre. En suivant la méthode de Karasek, le diagnostic montre que 33,8 % des salariés sont en situation de tension au travail. Les principaux facteurs explicatifs sont l’écart qu’ils perçoivent entre leurs valeurs personnelles et celles de l’entreprise, ainsi que l’impression de ne pas pouvoir faire un travail de qualité. Selon le questionnaire de Siegrist, ils ne sont plus que 16 % en état de stress, cette fois à cause du décalage entre ce qu’ils donnent à l’entreprise et ce qu’elle leur donne, autrement dit entre leur contribution et leur rétribution. Ce sont les conditions de travail et la pénibilité qui expliquent ce vécu et sont donc les principaux facteurs de RPS mis en avant. Enfin, d’après le PSS (perceived stress scale) de Cohen qui évalue le stress global d’une personne indépendamment de sa situation professionnelle, seuls 11,2 % des salariés se sentent stressés. Or, un diagnostic différent implique évidemment des préconisations différentes.

D. F. : En plus de ne pas mesurer exactement les mêmes facteurs, ces outils ne les mesurent pas non plus de la même façon. Par exemple, comme Karasek, Siegrist prend en compte la charge de travail, mais en posant cette question aux salariés : est-ce que cette charge importante de travail vous pose problème ? Le fait de rendre la parole aux salariés modifie l’approche et donc les résultats. Car on peut avoir une charge de travail élevée et la trouver trop lourde, mais on peut aussi s’en satisfaire, voire la vivre comme un challenge. Cela dépend de la charge effective de travail, de la personne et du contexte, en particulier du fonctionnement du collectif. Un seul outil ne peut pas rendre compte de cet ensemble.

Comment sortir de cette impasse ?

D. F. : Un consultant ou un préventeur doit connaître les différents modèles théoriques et les limites des outils qui en découlent. Il est également nécessaire de mener une pré-enquête suffisante sur la situation concernée.

C. S. : L’objectif de ce pré-diagnostic est de sélectionner le modèle le plus pertinent pour mesurer au plus près la réalité, c’est-à-dire appréhender la singularité du contexte. On procède à un état des lieux, le plus large possible, en associant l’analyse des données sociales de l’entreprise, l’observation du terrain et les entretiens avec des salariés. Ces entretiens doivent être conduits de manière scientifique, en s’appuyant sur les différents modèles théoriques. L’idée est d’investiguer dans plusieurs directions pour identifier un maximum de facteurs de RPS. Par exemple, à propos des relations entre des salariés et leur supérieur hiérarchique : Quelle est l’autonomie du salarié ? Quel est le type de management ? Quel soutien apporte le chef ? Quelle est la perception de l’équité ?, etc. Sur la base des résultats obtenus, on élabore des hypothèses sur les facteurs les plus importants à retenir. On peut alors choisir une méthodologie de diagnostic pour approfondir les analyses.

L’approche des RPS par le biais de la qualité de vie au travail est-elle pertinente ?

D. F. : Oui, s’il ne s’agit pas de la qualité de vie au travail (QVT) selon la perception courante, limitée à des améliorations telles qu’une salle de sport qui peut être un plus, mais ne résout pas les difficultés liées au travail lui-même. L’idée est de changer l’angle d’éclairage : on étudie ce qui pose problème aux salariés, mais aussi ce qui leur permet de tenir sans stress ou de sortir d’une situation de violences au travail, par exemple le soutien de leur hiérarchie ou la reconnaissance de leur travail.

C. S. : Le modèle QVT élargit l’angle de vision sur l’organisation et l’homme au travail. Il offre la possibilité de voir le travail non pas seulement comme un problème, mais aussi comme une partie de la solution. L’objectif est d’aller voir ce qui ne va pas, mais aussi ce qui va bien et pourquoi. Même s’il y a des facteurs de stress, voire des situations de harcèlement moral, il y a aussi des sources de satisfaction et de bien-être. La santé psychologique au travail est un phénomène multidimensionnel que l’approche QVT permet de mieux appréhender dans toute sa complexité. Cette approche est moins culpabilisante pour l’entreprise. Et elle redonne aux salariés un rôle d’acteurs de leur propre santé.

Dominique Ferrieux et Céline Sauvezon Maitres de conferences à l’université Montpellier III

Parcours

> Psychologues du travail et des organisations, Dominique Ferrieux et Céline Sauvezon dirigent le diplôme universitaire RPS : comprendre et agir pour améliorer la QVT.

> Les travaux de la première portent notamment sur le rôle de la perception du soutien social et de la justice au sein des milieux professionnels afin de diminuer le stress vécu.

> Les travaux de la seconde portent sur les cultures organisationnelles et la reconnaissance au travail.

Lectures

Psychologie positive en environnement professionnel, C. Martin-Krumm, T. Cyril et S. Marie-Josée, éditions De Boeck, 2013.

Le Bonheur au travail ? Regards croisés de dessinateurs et d’experts, S. Prunier-Poulmaire, Le Cherche-Midi, 2013.

Santé au travail et RPS. Tous préventeurs ? S. Laberon, C. Lagabrielle, L’Harmattan, 2015.

Auteur

  • Solange de Fréminville