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Marc Loriol sociologue, chercheur au CNRS (IDHES, Paris 1)

La semaine | L’interview | publié le : 09.05.2017 | Marie-Madeleine Sève

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Marc Loriol sociologue, chercheur au CNRS (IDHES, Paris 1)

Crédit photo Marie-Madeleine Sève

« Les salariés en arrivent à tricher avec les logiciels »

Dans les Cahiers français intitulés « Demain, quel travail ? » parus le 4 mai(1), vous soulignez les aspects nocifs de l’utilisation de l’outil informatique dans les services…

Oui, car l’outil sert le plus souvent à simplifier, à rationaliser pour accroître la productivité, avec comme résultat fatigue et usure des salariés. Dans les grandes surfaces, c’est net chez certaines caissières, tenues d’accompagner les clients qui scannent automatiquement leurs achats. Du coup, elles doivent avoir les yeux sur quatre à six caisses à la fois et non plus sur une seule. La charge physique diminue, mais pas le stress ! Ce n’est guère mieux chez les préparateurs de commandes qui travaillent avec une oreillette et un micro pour organiser leurs palettes, en prélevant le nombre de colis demandé par la voix numérique. L’idée est d’optimiser le temps, les déplacements. Mais face à des ordres absurdes, tels que placer des conserves de légumes au-dessus de boîtes de chips, ils trompent le système en faisant différemment. De même pour la gestion des stocks. Le chef de rayon sait qu’il vendra plus de glaces en été. Anticipant des ruptures sur ces produits, il rentre ses propres données, sans tenir compte de celles, théoriques, du logiciel qui n’intègre pas ces variations. Il en vient à tricher avec lui.

Vous parlez aussi d’appauvrissement des tâches…

Les salariés ont moins de marge de manœuvre dans les cas cités, mais aussi dans les bureaux, les centres d’appels, où l’utilisation de progiciels permet la polyvalence. Ainsi, derrière des guichets devenus uniques dans des mutuelles, les agents ne sont plus spécialisés par risque. Or ils éprouvaient une grande fierté à démêler des cas complexes, à être un référent. Ils ont un sentiment de déqualification, puisque le traitement des dossiers est délégué au système. La machine conçoit le travail comme un acte abstrait, mécanique, sans considérer l’expérience, l’intuition de chacun.

N’y a-t-il pas tout de même des bénéfices à la digitalisation ?

L’outil peut alléger des tâches, en dégageant du temps pour élaborer, innover. En librairie, c’est désormais le logiciel et non plus le vendeur qui va rechercher le livre en stock. Dès lors, celui-là peut conseiller le client, partager ses lectures, sa passion. Les métiers d’architecte, d’avocats sont soulagés de la rédaction de formules standard, la machine s’en charge. Le DRH aura d’autant plus prise sur ces évolutions que la créativité sera jugée comme un atout important de l’entreprise.

1) Cahiers français n° 398, La Documentation française

Auteur

  • Marie-Madeleine Sève