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L’interview

Jean-François Cesaro : « Les nouvelles lois donnent du jeu aux partenaires sociaux »

L’interview | publié le : 18.04.2017 | Domitille Arrivet

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Jean-François Cesaro : « Les nouvelles lois donnent du jeu aux partenaires sociaux »

Crédit photo Domitille Arrivet

Les lois El Khomri, Macron et Rebsamen, votées pendant le quinquennat de François Hollande, poursuivent le même objectif : donner davantage de libertés aux partenaires sociaux pour négocier le cadre social dans lequel évoluent les salariés, qui pourra être protecteur ou léger. Mais il n’est pas exclu qu’ils ne veuillent pas s’en saisir.

E & C : Pourquoi avoir publié l’ouvrage collectif Un nouveau droit de l’organisation collective du travail ?

JEAN-FRANÇOIS CESARO : Durant la fin de mandat de François Hollande, nous avons assisté à une multiplication des nouvelles lois sur le droit social. La loi Rebsamen, puis la loi Macron, puis encore la loi El Khomry. Ce sont trois textes qui apportent des modifications importantes au droit social. Les trois sont dans la même lignée et procèdent de la même philosophie : donner du jeu aux partenaires sociaux. La portée de ces évolutions dépendra de ce qu’ils vont en faire. Nous avons donc voulu leur proposer un guide pratique, afin qu’ils s’emparent de ces nouveaux outils de l’organisation collective qui sont désormais à leur disposition.

Quels points vous paraissent les plus saillants ?

Prenons par exemple les IRP, les instances représentatives du personnel. Les employeurs et les syndicats ont maintenant la possibilité de négocier leur reconfiguration. Cela peut n’aboutir à rien si les partenaires ne le veulent pas, mais cela peut aussi conduire à un nouvel environnement très protecteur pour les salariés ou au contraire très léger. On pourrait faire le même constat sur la question du temps de travail. La négociation est un élément de la construction du droit social. Mais c’est une matière sujette à conflits. Il n’est donc pas surprenant que le personnel politique ne se sente pas très légitime pour légiférer et souhaite renvoyer les discussions sur cette thématique aux partenaires sociaux. Toute cette évolution n’est pas nouvelle, elle procède de la loi de mai 2004 qui inverse la hiérarchie des normes en matière de négociation collective, suivie de celle sur la démocratie sociale de 2008.

De fait, l’article 2253-3 du Code du travail qui prévoit les cas où l’accord d’entreprise ne peut pas déroger à l’accord de branche a été à peine retouché dans la loi El Khomry. On a juste rajouté un point sur la pénibilité et un autre sur l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes. Et la négociation collective, notamment la négociation collective d’entreprise, a seulement été facilitée.

Pourquoi dans ce cas y a-t-il eu tant de contestations de la loi Travail ?

La refonte de la durée du travail inquiète une partie des syndicats, notamment la CGT, car elle préfigure la manière dont, à l’avenir, le Code du travail pourrait être repensé et réécrit en donnant la primauté aux accords d’entreprises. C’est cette nouvelle répartition entre les compétences des trois étages de l’organisation collective qui pose question ; la hiérarchisation entre l’ordre public qui relève de la loi, l’ordre public conventionnel qui relève des partenaires sociaux et le reste, qui est négocié dans le cadre des contrats individuels. Ce que craignent les détracteurs, si cette orientation continue à se mettre en place, c’est un risque d’éclatement du droit social au niveau des branches, voire des entreprises. Si le droit étatique continue de se réduire, et que la méthode qui consiste à laisser de plus en plus de place au dialogue social continue d’être déclinée sur d’autres champs, sommes-nous certains que c’est la bonne manière de faire ? C’est la question que l’on peut se poser – sans être certain qu’il y ait de bonne réponse. En matière législative, il y a parfois des « modes ».

Dans quelle mesure ces nouvelles lois peuvent-elles permettre aux partenaires sociaux de faire évoluer les choses ?

L’utilisation des nouvelles dispositions et leur efficacité vont dépendre de la capacité des partenaires sociaux à se les approprier ; cela concerne notamment les institutions représentatives du personnel et l’instance unique. Ce n’est plus comme lorsque les partenaires sociaux devaient se référer à un texte et s’y plier. Ils ont aujourd’hui dans leurs mains des outils. Charge aux acteurs de terrain qui ont contribué à la construction de ces textes et aux praticiens qui les conseillent de leur donner les moyens de s’en saisir.

On peut également mentionner le nouveau droit de la révision des accords collectifs que prévoit la loi El Khomry. Avant, seules les organisations syndicales qui avaient négocié l’accord pouvaient le renégocier. Le système était donc verrouillé. Aujourd’hui, après l’écoulement d’un certain temps, tous les syndicats représentatifs, c’est-à-dire ayant recueilli plus de 10 % des suffrages aux dernières élections professionnelles, peuvent le faire, même sans avoir été signataire au départ. On peut également citer les instruments qui permettent dorénavant d’harmoniser le statut social des salariés de différentes entités d’un même groupe ou d’entreprises différentes. Jusqu’alors celui-ci était négocié différemment selon les entreprises, même si elles appartenaient à un même groupe.

Certaines nouvelles dispositions restent méconnues.

Nous pouvons également mentionner les nouvelles dispositions concernant le dialogue social pendant les restructurations d’entreprises. Elles sont très fortes. Elles permettent notamment de préparer des négociations collectives avant même qu’une fusion absorption entre deux sociétés ait lieu. Si la négociation aboutit et que la fusion est signée, alors l’harmonisation des statuts ou l’accord de transition établi est immédiat. Toujours dans le domaine des restructurations, la loi prévoit aussi que les salariés « repris » puissent signer un accord qui, durant trois ans, leur garantit de conserver leur statut collectif. Avant, cette possibilité était limitée à quinze mois. C’est très protecteur pour ces salariés qui sont évidemment les plus inquiets dans un processus de restructuration. Ces marchepieds que constituent ces accords transitoires sont rassurants.

Qu’en est-il des accords collectifs dans les entreprises qui ne disposent pas d’organisation représentative du personnel ?

Deux cas sont possibles. S’il y a eu auparavant des syndicats mais qu’au cours du temps ils ont disparu, il ne restait autrefois qu’à les dénoncer et à recommencer. Aujourd’hui, grâce à la loi Travail, il devient possible de négocier avec d’autres instances, que ce soient des élus du comité d’entreprise, des délégués du personnel ou, à défaut, de simples salariés qui seraient mandatés par une organisation syndicale. Cela permet d’éviter le blocage. Cela permet aussi de négocier et réviser des accords dans toutes les entreprises, quelle que soit leur taille. C’est un instrument vraiment opérationnel. Il suffit que les salariés le connaissent et veuillent l’utiliser.

Quels sont les autres champs sur lesquels les accords d’entreprises pourraient à l’avenir primer sur la loi ?

C’est une question délicate qui dépend des réformes que le législateur souhaite s’approprier et de ce qu’il entend laisser aux partenaires sociaux. D’un point de vue théorique, tous les sujets sont susceptibles d’être abordés et régis par le dialogue social, qu’il s’agisse de règles applicables au contrat de travail de droit commun (comment conclure ? Comment rompre ? Peut-on définir par convention collective des motifs particuliers de rupture ? Comment transférer ?), aux contrats particuliers (dans quels cas conclure un CDD ou un contrat de travail temporaire ?), aux conditions de travail notamment en matière de sécurité (le dialogue social pouvant définir des règles pertinentes de sécurité) ou aux conflits collectifs… La justice sociale pourrait aussi devenir un sujet de dialogue social pour définir de nouvelles manières de trancher les litiges. Cependant, comme toujours, ce n’est pas le champ des possibles qui importe mais ce que les acteurs veulent en faire.

Jean-François Cesaro professeur de droit à l’universite Paris 2

Parcours

> Professeur de droit à l’université Panthéon-Assas (Paris 2).

> Codirecteur du laboratoire de droit social de Paris 2.

> Membre du conseil scientifique du cabinet Capstan.

> Coauteur de Un nouveau droit de l’organisation collective du travail, Guide pratique, Lextenso éditions, décembre 2016, 26 €. Ouvrage collaboratif de Jean-François Cesaro, Jean-Benoît Cottin, Françoise Favennec-Héry, Rémy Favre, Arnaud Martinon, Jean-Michel Mir, Bruno Serizay, Arnaud Teissier.

Lectures

Droit du travail. Relations collectives, Bernard Teyssié, éditions Litec, 10e édition, 2016.

Le CHSCT, Jean-Benoit Cottin, éd. Lamy, coll. Axe droit, 2016.

Auteur

  • Domitille Arrivet