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Pénibilité : Les entreprises face à la gestion des seuils d’exposition

L’enquête | publié le : 18.04.2017 | Virginie Leblanc

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Pénibilité : Les entreprises face à la gestion des seuils d’exposition

Crédit photo Virginie Leblanc

Fin janvier, les employeurs devaient compléter les déclarations d’exposition de leurs salariés aux dix facteurs légaux de pénibilité. Si leur niveau de réalisation des mesures des expositions est inégal, ceux qui ont avancé se rendent compte que nombre de salariés sont finalement exclus du bénéfice du compte pénibilité.

Début avril, la CFDT a lancé un outil permettant aux salariés de mesurer s’ils sont susceptibles d’être exposés à la pénibilité. Une façon de vérifier que leurs employeurs ont bien fait leur travail ? Ces derniers sont en effet censés avoir déclaré au 31 janvier 2017, l’exposition de leurs salariés aux dix facteurs de pénibilité définis par décret.

« On trouve encore aujourd’hui deux types d’entreprises : celles qui ont fini leur diagnostic et ont fait les déclarations et les autres, nombreuses, qui n’ont pas terminé », observe Carole Podymski, consultante référente au département HR performance du cabinet de conseil Ayming.

Il faut dire qu’en 2016, certaines ont attendu les initiatives de leur branche pour les accompagner dans leur démarche, puis, pour la majorité d’entre elles, ne voyant rien venir, elles ont avancé avec leurs propres moyens. Et l’instruction du 20 juin 2016 ayant indiqué que des rectifications relatives aux déclarations de janvier 2017 pourraient intervenir jusqu’en septembre 2017, certaines entreprises ont estimé avoir plus de temps. Attention tout de même, avertit Hervé Garnier, CFDT : « La musique relayée par le patronat tendant à dire qu’il n’est pas urgent de remplir ses obligations puisqu’on pourra modifier ses déclarations en septembre induit en erreur : on ne peut modifier que ce qu’on a déclaré ! »

Une partie des entreprises espère encore l’abrogation du dispositif à l’issue de l’élection présidentielle de mai. Mais l’hypothèse de la fin du compte personnel de prévention de la pénibilité (C3P) semble difficile à envisager : au décompte de juin 2016 avec la prise en compte des seuls quatre premiers facteurs de pénibilité en vigueur, 512 162 salariés étaient titulaires d’un C3P et 25 280 entreprises avaient déclaré des salariés exposés. Sur l’ensemble des facteurs, le nombre de postes pénibles est estimé par le gouvernement à 3,3 millions, soit 18,2 % des salariés du privé. « Et pour 2016, on devrait dépasser le million de comptes, mais on ne connaîtra les données qu’en mai », signale Serge Journoud, en charge du secteur travail-santé à la Fédération des travailleurs de la métallurgie CGT. « La disparition du C3P supposerait que l’on dispose d’un système alternatif qui aujourd’hui n’existe pas. Un aménagement futur des obligations déclaratives est envisageable mais je ne crois pas à la disparition du régime lui-même », affirme Pascal Garcia, avocat associé chez Capstan Avocats.

En attendant, même les secteurs les plus réticents ont dû s’y mettre. La métallurgie a publié l’été dernier un guide pour ses adhérents. Au sein de la Fédération nationale des travaux publics, « afin de ne pas laisser les entreprises seules face à ce dispositif inapplicable », chaque syndicat de spécialité a transmis un document de travail sous forme de guides métiers, disponibles depuis fin juin 2016. La branche BTP, elle, s’est refusé à publier un guide.

Pour autant, dans cette branche, la Fédération du négoce de bois et matériaux de construction s’est distinguée en étant une des premières à disposer d’un référentiel de branche homologué (lire Entreprise & Carrières n° 1300). Dans la métallurgie, « souvent les entreprises ont déjà des accords a minima, mais dans certaines, l’accord va même au-delà du C3P, rapporte Serge Journoud. Snecma avait, par exemple, un accord datant de 1986 sur les travaux pénibles, quelques métiers reconnus permettaient un départ anticipé jusqu’à cinq ans. Ils ont reconduit cet accord et, à côté, ils disposent d’un accord prenant en compte les exigences du compte pénibilité ». Ce qui aboutit à un double dispositif : l’un maison et l’autre légal.

Les effets de la prévention

« On ne fait que commencer à discuter du sujet, relève Frédéric Mau, membre de la direction fédérale de la CGT construction et DSC chez Vinci. Pour les grandes entreprises, les rares échanges qui ont lieu seraient à la mesure des efforts déjà déployés en matière de prévention, et les progrès seraient tels qu’ils permettraient de faire l’économie du sujet de la pénibilité. C’est discutable : les rythmes se sont accélérés, et on pense même que la mécanisation a aggravé les choses. Les majors comme Vinci ou Bouygues n’ont pas de salariés exposés grâce à tout ce qui a été fait en prévention, mais nous rappelons que l’âge moyen de départ en invalidité est de 52 ans et demi dans le BTP ! Avec la polyvalence, les salariés ne seront pas exposés au-delà des seuils alors qu’on cumule plusieurs formes de pénibilité dans une même journée, tous les jours. » (Lire article p. 20)

Par ailleurs, beaucoup d’entreprises qui avaient commencé à travailler sur le sujet de la pénibilité sous l’empire de la précédente loi avaient adopté des seuils plus bas, difficile ensuite socialement de faire accepter un recul aux syndicats, fut-il légal. D’autant plus que les logiques divergent. « Un directeur général a intérêt à ce que ses salariés ne soient pas exposés pour payer moins de cotisations, observe Yannick Jarlaud, directeur des activités consulting RH d’Ayming, mais un représentant syndical aura intérêt à ce que le métier soit reconnu comme pénible pour pouvoir notamment bénéficier d’un départ anticipé. »

Pénibilité subjective

Lorsqu’ils ont été publiés, les experts avaient déjà pointé le caractère élevé des seuils retenus par la loi. On passe aujourd’hui aux travaux pratiques et nombre d’entreprises se retrouvent face à ce constat : « Leur diagnostic leur dit que les salariés ne sont pas exposés à la pénibilité alors que les métiers sont durs, fatigants, relate Annelise Wiart, chef de projet au sein du cabinet Ariane Conseil, spécialisé en santé au travail. Dans la logistique par exemple, des préparateurs de commande se retrouvent loin des seuils quand on calcule leur exposition sur la durée. Pour pallier ce décalage entre la pénibilité ressentie et la réalité des diagnostics, il est intéressant de proposer de mesurer la pénibilité subjective et de la confronter à la pénibilité réglementaire. Socialement, c’est positif, cela permet d’agir sur la reconnaissance de la difficulté des conditions de travail et surtout sur la logique de prévention. » Concrètement, il s’agit de croiser les mesures objectives réalisées sur le travail de terrain avec des mesures subjectives basées sur le déclaratif des salariés. « Cela permettra de prendre en compte les situations jugées contraignantes, qui, même si elles ne font pas rentrer les salariés dans les critères de pénibilité, nécessitent des actions pour améliorer leurs conditions de travail », explique Annelise Wiart.

« Un certain nombre de branches nous contactent en nous disant qu’elles ont conscience que la pénibilité ne va pas concerner leurs salariés compte tenu des seuils élevés, rapporte Bernard Cottet, dirigeant de Didacthem, cabinet spécialisé en prévention des risques professionnels. Mais elles veulent en profiter pour faire un état des lieux et s’engager dans des mesures de prévention, apporter des services à leurs adhérents, y compris dans l’artisanat. »

Une attitude qui montre bien que les diagnostics pénibilité conduisent à revenir aux fondamentaux de l’évaluation des risques. « Avant même la réalisation du diagnostic, la priorité est de mettre à plat la démarche d’évaluation des risques professionnels et de rédaction du document unique associé, explique Stéphane Wathier, consultant confirmé en prévention des risques professionnels chez Previsoft (Addactis group), ce qui nous permet d’évaluer au mieux les différents facteurs d’exposition existants dans l’entreprise. Nous allons au plus près du terrain, nous relevons les dispositifs de prévention collectifs et individuels déjà en place et nous réalisons des mesures physiques et observations pour ensuite construire avec le client un plan d’actions priorisé ».

Traçabilité de l’exposition

Par ailleurs, même si elle n’est plus obligatoire, « une fiche individuelle d’exposition peut être générée par salarié via notre outil de gestion des risques professionnels, ce qui s’avère utile comme moyen de traçabilité de l’exposition, en cas d’éventuel contentieux, ajoute Stéphane Wathier. Non seulement les organismes de contrôle et administrations afférentes pourraient disposer d’informations sur l’exposition mais aussi sur les mesures de prévention correspondantes mises en place ». Lire ci-dessus.

Pour simplifier l’approche du sujet, « il faut bien réfléchir au découpage de départ entre métiers et activités », souligne Carole Podymski, qui a accompagné l’entreprise Oxxo (lire p. 22). Par ailleurs, « pour prendre en compte la polyvalence des activités et tâches exercées par les salariés, on sélectionne un échantillon de situations réelles de travail les plus représentatives de l’activité, sans oublier celles étant les plus critiques en termes de durée et d’intensité », précise Stéphane Wathier.

Dans le même esprit, le cabinet Didacthem propose, pendant un audit, de recenser des données via un questionnaire par unité de travail avec 30 à 40 questions auxquelles le salarié répond par oui ou par non, puis la pondération s’opère afin de positionner la fréquence et la gravité du risque. Selon Bernard Cottet, « cela permet aux employeurs de bénéficier d’une hiérarchisation des risques, de la description des situations à risque, des mesures de prévention en place, et des mesures à prévoir. C’est une ébauche de DU que le responsable d’une entreprise artisanale peut s’approprier ». Un outil spécialement adapté aux plus petites structures.

Des outils ont été créés pour aider les entreprises à appliquer les seuils légaux le plus facilement possible. « Notre outil permet de mixer les pourcentages d’activité, expose Annelise Wiart. Nous avons travaillé sur un barème de cotation des risques en fonction de la gravité et de la fréquence. »

À l’initiative de la Fédération de l’industrie et du commerce en gros des viandes, une étude collective mutualisée a été organisée afin d’accompagner une douzaine d’entreprises de Rungis – représentant entre 200 et 250 salariés – offrant les mêmes conditions de travail et les mêmes postes types. « Notre organisme de prévoyance AG2R nous a proposé la solution de Didacthem, qui a réalisé une étude au Pavillon des viandes de Rungis, témoigne Annie Pedrosa, directrice du pôle administratif et QSE, et DRH d’Ovimpex, spécialiste du négoce, de la découpe et du conditionnement des viandes bovines et ovines, une des entreprises parties prenantes. Cela a permis d’identifier des activités clés et de traiter le sujet de la polyvalence des salariés. » Activités de chargement, déchargement, découpe de bœuf, découpe d’agneau, un salarié peut en effet voir ses tâches réparties différemment en fonction des entreprises. « Les entreprises ont trouvé l’outil informatique G2P très simple : on insère le temps de travail, et le système calcule l’exposition à la pénibilité. Et si un salarié conteste l’évaluation un jour, le seul point de discussion sera de savoir quel temps il passait sur telle activité. »

Auteur

  • Virginie Leblanc