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L’interview

Pierre Liret : « La qualité du management est une condition de réussite d’une coopérative »

L’interview | publié le : 21.03.2017 | Mathieu Noyer

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Pierre Liret : « La qualité du management est une condition de réussite d’une coopérative »

Crédit photo Mathieu Noyer

Souvent vue comme un modèle à part, les coopératives rejoignent en de nombreux points le monde de l’entreprise, notamment quand elles prennent la forme d’une Scop (Société coopérative de production). Elles portent une ambition élevée de GRH mais partagent avec les entreprises “classiques” de nombreux défis communs, à commencer par la qualité de management.

E & C : Les coopératives sont-elles des associations, des entreprises, ou tout autre chose ?

Pierre Liret : Sans ambiguïté, les coopératives sont des entreprises et elles se revendiquent comme telles. Mais elles sont différentes. Alors que le bénéfice est le but d’une société telle que définie par le Code civil, l’argent n’est pour les coopératives qu’un moyen au service d’un autre enjeu : rendre service à leurs membres et assurer entre eux un lien humain de solidarité et d’engagement envers la communauté. De ce point de vue, certains s’étonnent que cette forme puisse inclure des grands groupes bancaires, de la grande distribution ou de l’agriculture. Mais la fidélité aux principes coopératifs s’évalue en fonction de ceux qui en sont membres associés. Dans la banque, le logement, certains commerces, les coopératives appartiennent à leurs clients, consommateurs ou usagers. Dans l’agriculture, l’artisanat, le transport, la grande distribution et d’autres formes de commerce, les membres de la coopérative sont souvent des entreprises, TPE ou PME. Enfin, il y a les sociétés coopératives et participatives Scop ou Scic qui sont les seules coopératives dont les membres associés sont statutairement les salariés. Elles ne sont que 2 800 sur un total de 23 000 coopératives en France, pour 52 000 salariés. Mais on en parle de plus en plus parce qu’elles réinterrogent le rapport à l’emploi et au travail.

Ces coopératives de salariés ont-elles une obligation spécifique de performance en termes de RH ?

Légalement, les Scop et les Scic ont les mêmes obligations que les autres entreprises en matière de droit du travail et de dialogue social. Mais l’épanouissement professionnel est au cœur même de leur projet. Autrement dit, elles attachent par nature une attention particulière à la question sociale et à faire en sorte que le projet d’entreprise soit partagé entre le plus grand nombre. Elles pratiquent le partage du pouvoir, de l’avoir et du savoir.

Sont-elles par exemple plus ambitieuses pour la formation de leur personnel ?

Il n’existe pas de statistiques sur cet indicateur, mais les coopératives que je côtoie depuis une vingtaine d’années vont quasiment toujours au-delà de leurs obligations légales. Le constat est à nuancer pour les duex tiers d’entre elles qui sont des TPE, qui ont nécessairement moins de temps pour envoyer leurs salariés en formation. Le plus important est de souligner que pour la formation comme pour le reste, l’effort et les avantages bénéficient à tous, donc y compris au bas de l’échelle, en accord avec les principes d’élévation du niveau de qualification et d’émancipation professionnelle que promeut le monde coopératif. Clairement, ce système constitue un ascenseur social et son plafond de verre semble nettement moins épais. Dans les Scop et les Scic, les femmes dirigeantes représentent ainsi un quart du “top management” contre 14 % dans la moyenne des entreprises selon une étude KPMG de 2013, alors qu’elles emploient plus d’hommes en proportion.

La comparaison est-elle également flatteuse en termes de participation aux résultats ?

Oui. Toutes les Scop ou presque ont un accord de participation et d’intéressement, ce qui est loin d’être le cas dans les PME et TPE équivalentes, même si fort heureusement, cette pratique s’est développée avec l’encouragement des pouvoirs publics. La loi spécifique aux Scop oblige à redistribuer au moins 25 % des résultats aux salariés et dans la pratique, elles en redistribuent chaque année 40 % à 45 %. Là encore, la répartition est équitable entre tous. Alors que d’année en année, les entreprises reversent toujours plus de leurs bénéfices en dividendes, les Scop vont clairement à contre-courant en privilégiant un principe d’équilibre entre rémunération du travail et du capital. Concrètement, elles peuvent rémunérer le capital de leurs associés – majoritairement les salariés – mais dans le cas des Scop, la loi coopérative limite les dividendes à un tiers des excédents.

Certains pensent que cette pratique de la participation serait la contrepartie de salaires moindres. C’est une idée reçue. Les sociétés coopératives et participatives sont confrontées aux réalités du marché du travail. Elles ne pourraient pas se développer comme elles le font si elles ne parvenaient pas à attirer des talents, et donc à les payer en conséquence. De même, les écarts de rémunérations suivent une logique de modération, loin des excès d’autres, qu’on lit dans les médias.

De nombreux exemples de reprise d’entreprise sous forme de Scop ont défrayé la chronique. Est-ce leur vocation et est-ce une solution pérenne ?

Les Scop ont en en effet encore aujourd’hui cette image d’ultime recours quand les autres voies de reprise ont été épuisées. Mais les reprises d’entreprises en difficulté ne pèsent que 10 % des 300 créations annuelles de Scop et Scic, loin derrière la création ex nihilo et les transmissions d’entreprises. Quant à sa fragilité, c’est une autre idée reçue. Le taux de pérennité à cinq ans atteint 65 %, contre environ 50 % selon l’Insee pour la moyenne des entreprises françaises. Le fonctionnement même des Scop et Scic leur donne un atout de pérennité financière : chaque année, les Scop et Scic mettent 40 % à 45 % de leurs résultats en réserve et celle-ci est « impartageable ». Elle reste dans l’entreprise, ce qui confère un niveau de fonds propres bien apprécié des banquiers ! La démocratie d’entreprise qui est au cœur du projet coopératif est aussi un gage de pérennité. La motivation des salariés soulève des montagnes, elle conduit à penser collectif, voire à accepter des sacrifices temporaires si besoin. Le partage des informations, l’association des salariés aux décisions sont autant d’atouts qui ne sont pas antinomiques avec l’appui sur le financement et/ou l’expertise extérieurs, les Scop peuvent ainsi ouvrir jusqu’à 49 % du capital.

Au regard de vos expériences, la coopérative de salariés devient-elle une sorte de modèle idéal, notamment dans la GRH ?

Non, bien sûr. Toute organisation humaine est exposée aux aléas du marché, aux erreurs de gestion, aux désaccords entre personnes. Les coopératives sont plus durables, mais elles peuvent aussi être amenées à licencier en dernière extrémité, voire à disparaître. Comme dans toute entreprise, la qualité du management est déterminante et peut-être plus encore en coopérative dans sa dimension intrinsèquement participative. À situation de marché égale mais aussi de qualité de management égale, le modèle coopératif présente l’atout de favoriser l’ancrage durable de l’activité économique et de l’emploi. Le modèle Scop favorise plus particulièrement aussi le sens au travail des salariés, et donc le bien-être au travail.

Pierre Liret professeur à Paris-Dauphine et à l’Ihedrea

Parcours

> Spécialiste du monde coopératif, Pierre Liret enseigne le fonctionnement des coopératives à Paris-Dauphine et à l’Institut de droit rural (Ihedrea), dont il est par ailleurs diplômé, outre un 3e cycle de management en agroalimentaire obtenu à l’Essec.

> Il est responsable formation-emploi de la Confédération générale des Scop et rédacteur en chef du Journal des Scop, Participer.

> Il vient de publier un livre de référence sur le monde coopératif : La solution coopérative, éditions Les Petits Matins.

Lectures

S’inspirer du succès des coopératives, Jean-François Draperi et Cécile Le Corroller, éditions Dunod.

Le Bonheur est dans la Scop, François Kerfourn et Michel Porta, éditions Les Petits Matins.

Les Coopératives, nouvelles pratiques, nouvelles analyses, S. Ansart, A. Artis, V. Monvoisin, collection ESS, éditions Campus Ouvert.

Auteur

  • Mathieu Noyer