logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

L’enquête

Loi travail : La négociation d’entreprise ne décolle pas

L’enquête | publié le : 21.03.2017 | Emmanuel Franck

Image

Loi travail : La négociation d’entreprise ne décolle pas

Crédit photo Emmanuel Franck

La loi Travail a pour ambition de libérer la négociation collective dans les entreprises. Mais ces dernières peinent à signer des accords en appliquant la nouvelle majorité de 50 % et ne veulent pas entendre parler des référendums. Quant aux PME, qui attendaient avec intérêt de pouvoir appliquer les nouveaux accords types négociés par les branches, elles risquent de devoir patienter, y compris dans la pharmacie qui s’était lancée la première.

Cent quatre-vingt-onze pages, 54 articles, des décrets à venir, de nouvelles habitudes à prendre. Il fallait s’attendre à ce que les entreprises aient besoin d’un peu de temps pour maîtriser la loi « travail » du 8 août 2016 relative à la « modernisation du dialogue social ». De fait, sept mois après son adoption, la libération de la négociation collective n’a pas encore eu lieu. « Les DRH sont saturés et ils l’étaient déjà avant la loi Travail », note Sylvain Niel, avocat associé au cabinet Fidal et président du Cercle des DRH. Stéphanie Guedes da Costa, avocate associée chez Flichy Grangé avocats, confirme : « Les entreprises se conforment aux obligations imposées par la loi du 8 août et commencent à utiliser les nouvelles possibilités qu’elle ouvre en matière de dialogue social ; on sent toutefois pour beaucoup d’entre elles qu’elles continuent d’absorber la loi Rebsamen » de 2015.

Les entreprises s’acquittent en effet sans trop de difficultés de leurs nouvelles obligations, comme de négocier sur le droit à la déconnexion. Plusieurs entreprises ont rapidement signé sur ce sujet peu après la promulgation de la loi. « Elles ont une obligation de négocier mais c’est aussi un sujet tendance, explique Stéphane Béal, directeur du département droit social du cabinet Fidal, par ailleurs responsable de la commission juridique de l’ANDRH. Cela dit, nous tâtonnons encore sur ce qu’il convient de faire figurer dans les chartes de déconnexion. L’erreur serait de croire que le droit à la déconnexion signifie l’obligation de se déconnecter. »

Préambule et commission de suivi

Nombreux sont également les accords d’entreprise qui comportent un préambule et une commission de suivi, comme l’exige désormais le législateur. L’accord d’Orange du 20 février 2017 sur la reconnaissance des compétences satisfait ces deux obligations. Celui de l’Unetel (branche des télécommunications) du 3 février crée, comme demandé par la loi Travail, une commission permanente de négociation et d’interprétation. Il est vrai que beaucoup d’entreprises et de branches n’avaient pas attendu d’en avoir l’obligation pour négocier ce type de disposition.

Les entreprises éprouvent en revanche quelques difficultés à se saisir des nouvelles marges de négociation qui s’offrent à elles. Et quand il leur arrive d’exercer ces libertés, elles le font sur des points mineurs. Les partenaires sociaux de Groupama se sont par exemple appuyés sur la loi Travail pour inverser l’ordre de consultation des comités d’établissement et du comité central d’entreprise (lire p. 22). C’est un détail, mais la loi du 8 août fourmille de ces petites dispositions qui, mises bout à bout, contribuent à fluidifier le dialogue social. « La loi Travail porte la volonté d’imposer la négociation d’entreprise mais le législateur a également fonctionné de manière empirique en sollicitant les praticiens du droit social afin qu’ils lui remontent les blocages rencontrés sur le terrain, relève Déborah David, avocate associée chez Jeantet. C’est une façon intéressante de procéder. »

Plus important, Stéphane Béal relève un « changement d’attitude des entreprises » à propos de la durée des accords qu’elles négocient. La question ne les intéressait pas vraiment jusqu’à présent car les textes qu’elles signaient continuaient de produire leurs effets quelle que soit la durée décidée par les signataires. Avec la loi Travail, la durée d’un accord et de ses effets devient une variable contrôlable et donc un enjeu de négociation. Comme pour s’en convaincre, les signataires de l’accord d’Orange évoqué plus haut écrivent qu’il « cessera de produire définitivement et irrévocablement ses effets à la date du 31 décembre 2021 ».

Les vraies difficultés des entreprises commencent dès qu’elles abordent une des dispositions majeure de la loi : la majorité de validation des accords à 50 % (et non plus 30 %). Depuis le 1er janvier 2017, cette règle s’applique aux accords relatifs au temps de travail et à ceux relatifs à la préservation de l’emploi ; en janvier 2019, elle s’imposera quel que soit le thème traité. Logiquement, les entreprises éprouvent davantage de difficultés à signer à 50 % qu’à 30 %. Chez Dassault Aviation, un projet de modulation du temps de travail n’a pas pu aboutir pour cette raison (lire p. 20). Et lorsqu’elles y parviennent, c’est parfois sur le fil du rasoir, laissant augurer de textes à la légitimité faible. Le législateur a ainsi un peu atténué les effets de la règle des 50 % en réduisant l’assiette de calcul de la majorité de validation aux seuls syndicats représentatifs. L’accord sur le travail du dimanche de la Fnac tient à ce détail juridique (lire p. 20).

Du coup, certaines entreprises qui étaient suffisamment avancées se sont arrangées pour signer avant le 1er janvier. « Nous avons constaté une recrudescence de signatures fin 2016 », confirme Stéphane Béal. C’est comme ça que le Printemps a conclu in extremis le 30 décembre sur le travail dominical (lire p. 20). Quant au référendum pour valider un accord ayant obtenu entre 30 % et 49 %, tout se passe comme si les entreprises préféraient se passer d’un accord plutôt que de prendre le risque d’en organiser un. « Je n’ai pas encore vu de référendum, les directions et les syndicats sont frileux », constate Déborah David. À notre connaissance, le premier doit se dérouler à Réseau transport d’électricité (RTE) fin mars.

Signalons également le projet d’accord sur le dialogue social d’Orange, auquel la direction a renoncé faute d’avoir recueilli l’assentiment d’une majorité (50 %) des syndicats alors que 30 % auraient suffi (lire Entreprise & Carrières : n° 1320 du 17/1/2017). Un épisode qui souligne combien les règles de validation des accords, différentes selon les thèmes, sont devenues difficiles à lire.

À la portée des PME

Un autre volet important de la loi Travail avait pour enjeu de mettre la négociation à la portée des PME, notamment celles dépourvues de délégué syndical. Pour ce faire, le législateur a élargi le champ de négociation des salariés mandatés, supprimé les commissions de validation de branche et inventé les accords types d’application unilatérale négociés par les branches. Conseil auprès des PME, Mehdi Chaal, directeur régional Languedoc-Roussillon du réseau de cabinets d’experts-comptables Exco, constate que « le mandatement des salariés ne s’est plus pratiqué depuis les lois Aubry ». Le champ du mandaté a beau s’être élargi, le terreau reste celui de patrons de PME qui ne veulent pas envisager qu’un syndiqué mette un pied chez eux. Quant aux accords types, censés éviter cet écueil et fournir un cadre sécurisé aux PME, ils n’existent toujours pas à ce jour. La branche de la pharmacie, la première qui se soit risquée sur ce sujet, essuie pour le moment les plâtres (lire p. 21).

Il est évidemment trop tôt pour conclure que la loi Travail restera lettre morte. Mais Sylvain Niel estime qu’elle n’est pas bien partie : « Le législateur a autonomisé les accords d’entreprises en commençant par le temps de travail, or les entreprises n’embrayent pas parce que c’est un sujet compliqué, du coup, il n’y a pas de dynamique. » Guy Groux remarque, de son côté, qu’au moins deux des candidats à l’élection présidentielle (François Fillon et Emmanuel Macron) déclarent que la loi Travail ne va pas assez loin, quand Benoît Hamon veut au contraire la supprimer (lire l’interview p. 23). Il remarque également que la montée en puissance de la négociation collective est une tendance lourde, démarrée il y a trente-cinq ans avec les lois Auroux et qui s’est poursuivie au fil des décennies sous toutes les majorités politiques.

Des entreprises encore hésitantes

Les dispositions relatives à la négociation collective issues de la loi Travail sont diversement pratiquées et appréciées des entreprises. Selon notre enquête, rares sont celles qui se sont saisies des nouvelles facilités offertes par la loi.

Auteur

  • Emmanuel Franck