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Sur le terrain

Espagne : Madrid recrée des emplois… précaires

Sur le terrain | International | publié le : 28.02.2017 | Valérie Demon

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Espagne : Madrid recrée des emplois… précaires

Crédit photo Valérie Demon

L’Espagne aligne, sur l’activité et l’emploi, des chiffres encourageants qui signalent une sortie de crise. Mais la réforme du marché du travail de 2012 a conduit à une précarisation de nombreux salariés qui cumulent les CDD. Les syndicats et certains chercheurs s’en inquiètent.

Depuis que l’Espagne est sortie des affres de la crise financière, le pays retrouve le sourire et une croissance qui peut faire des envieux (3,2 % en 2016). Et elle retrouve le chemin des créations d’emploi. Le taux de chômage est revenu à son niveau le plus bas depuis sept ans, 18,6 % sur le quatrième trimestre de l’année dernière. L’Espagne est parvenue à créer 500 000 emplois en 2016. Une prouesse quand on sait que le taux de chômage a pu atteindre 27 % en 2012. 4,2 millions de personnes demeurent pourtant sans travail.

Mais à chaque publication des chiffres du chômage, deux visions s’opposent. Celle du gouvernement, souvent triomphaliste, estimant que la réforme du marché du travail de 2012 a permis de créer des emplois lorsque la croissance revenait. Et celle des syndicats, critiques quant à la qualité des emplois créés, dont 90 % ou presque restent précaires. Sur le quatrième trimestre 2016, les postes temporaires constituaient plus de 26 % du total des contrats de travail – en France, c’était environ 15 % en 2016.

Alicia, 28 ans, a connu la précarité. Mariée et maman d’une petite fille de deux ans, avocate en droit du travail de formation, elle est employée comme standardiste dans une grande entreprise de logistique depuis trois ans. Elle n’a décroché un CDI que début janvier 2016, après deux ans et demi de flexibilité. Elle enchaînait tous les deux mois un contrat temporaire. Et vivait donc dans l’incertitude : « Le gouvernement se vante beaucoup de créer des emplois. Mais souvent, c’est une même personne qui accumule tout au long de l’année plusieurs contrats. L’emploi créé n’est pas de qualité. Ma génération ne vivra pas cette reprise. La génération perdue, c’est ça : l’une des générations les mieux formées. J’en fais partie mais je ne travaille pas dans le métier que je veux. »

Rotation excessive

Florentino Felgueroso, professeur d’économie à l’université d’Oviedo et chercheur à la Fondation des études de l’économie appliquée (Fedea, think thank libéral), analyse régulièrement le marché du travail et reste peu optimiste : « Tant qu’il y aura des doutes sur l’économie, les entreprises ne vont pas faire de CDI et encore moins si la législation favorise les contrats temporaires. Les entreprises, à la fin du CDD, préfèrent changer. Le problème de la temporalité, c’est qu’elle élimine la valeur du travail. » Et de pointer un autre problème, structurel : « 22 % des emplois créés chaque mois sont détruits. C’est un taux de rotation – taux d’entrées et de sorties du monde du travail – très élevé. Avant la crise, il se situait aux alentours de 17 %. Cela démontre que le marché du travail est très dynamique mais c’est comme le cholestérol : il y a un bon et un mauvais cholestérol. Une partie de cette rotation est excessive. »

La réforme du marché du travail a facilité les licenciements. L’une de ses dispositions permet de licencier, de réduire les salaires ou le temps de travail si, durant deux trimestres consécutifs, les ventes sont inférieures à celles enregistrées l’année précédente. Si le salarié refuse les aménagements, c’est la porte de sortie ou le recours en justice. Mais le licenciement coûte moins cher à l’employeur en indemnités légales, moins généreuses : 20 jours par année travaillée pour les CDI contre 33 jours auparavant.

S’y ajoute la question de la baisse des salaires. Il y a peu, un grand patron espagnol, le responsable de la chaîne d’hôtels ACS, a fait une sortie fracassante et inhabituelle. S’insurgeant contre cette précarité, il a expliqué lors d’un forum pourquoi ce modèle dans le secteur hôtelier ne pouvait pas durer. Certaines entreprises ont licencié depuis la réforme, pour recourir à l’intérim ou à des sous-traitants. « Si, pour gagner plus d’argent, il faut sacrifier le personnel, alors je préfère gagner moins », a conclu ce patron. Il est pour l’instant le seul de son espèce.

Dans les médias

CINCO DIAS. Temps de travail GMT

Le gouvernement espagnol va entamer dans les prochaines semaines un dialogue avec les partenaires sociaux pour débattre du changement de fuseau horaire de l’Espagne. Cela permettrait de placer l’Espagne dans l’horaire GMT et qu’elle soit alignée sur l’heure portugaise et londonienne, « comme il y a 70 ans », a indiqué le secrétaire d’État à l’Emploi, lors d’un déjeuner de presse consacré à la conciliation de la vie personnelle et professionnelle. Le gouvernement veut entamer le débat sur les horaires en Espagne pour mieux organiser la journée de travail. 21 février. Cinco Dias, quotidien économique.

EL PAIS. Négociation obligée pour les dockers

Les dockers espagnols ont commencé leurs négociations avec le patronat sur les conditions de la libéralisation du secteur. Une grève a été évitée pour l’instant, mais les relations sont tendues depuis la condamnation de l’Espagne par la Cour de justice européenne, obligeant Madrid à un futur décret loi pour respecter l’arbitrage européen. En Espagne, les entreprises nationales ou étrangères doivent obligatoirement s’adresser à des sociétés de « gestion des dockers », qui sélectionnent les dockers espagnols et gèrent les embauches. La Cour européenne de justice a contesté en 2014 cette obligation et la Commission européenne a demandé à l’Espagne d’entreprendre les réformes nécessaires pour se conformer à cet arrêt, sous peine de sanctions. 21 février. El Pais, quotidien national.

Auteur

  • Valérie Demon