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L’interview

Catherine Janssen : « La communication RSE est une arme à double tranchant »

L’interview | publié le : 28.02.2017 | Éric Delon

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Catherine Janssen : « La communication RSE est une arme à double tranchant »

Crédit photo Éric Delon

Communiquer régulièrement sur sa responsabilité sociale et environnementale, ou bien s’en tenir au strict minimum : tel est le dilemme auquel sont confrontées les entreprises, soucieuses de la réaction de leurs clients en cas de manquement à ces mêmes engagements en matière de RSE.

E & C : Dans deux études récentes réalisées avec trois coauteurs* vous mesurez l’impact de la communication relative aux activités RSE d’une entreprise sur les perceptions de ses consommateurs lorsque cette dernière est accusée d’irresponsabilité sociale. Qu’en est-il ?

CATHERINE JANSSEN : Ce projet part du constat que les entreprises communiquent de plus en plus au sujet de leurs activités socialement responsables : efforts pour réduire leur empreinte écologique, politique de non-discrimination des employés… Elles doivent donc en évaluer les effets positifs et négatifs. De nombreuses entreprises ont été confrontées, ces dernières années, à des accusations mettant en cause leurs engagements responsables. Citons The Body Shop, célèbre marque dans le secteur des cosmétiques connue pour sa lutte contre l’expérimentation animale, et qui a été vigoureusement accusée dans les médias quant à son utilisation de l’huile de palme, un produit fortement décrié. Plus récemment, citons Volkswagen et le scandale des moteurs truqués, alors même que l’entreprise avait, par le passé, fréquemment émis des communications RSE visant à faire adopter des comportements plus responsables aux automobilistes. Nous avons voulu évaluer les réactions des consommateurs lorsqu’ils étaient confrontés à des informations contradictoires de ce type. Du côté des entreprises, comment agir ? Doivent-elles communiquer au sujet de leurs initiatives responsables et, le cas échéant, comment le faire au mieux ?

Que vous ont révélé vos recherches ?

Certaines études antérieures ont démontré que ce type de démarche – communiquer sur les pratiques RSE – contribue à protéger l’entreprise en cas d’accusations de comportements irresponsables ultérieures, notamment parce que les consommateurs sont prêts à accorder à l’entreprise le bénéfice du doute. D’autres études semblaient démontrer l’effet inverse. Des accusations de comportements irresponsables pourraient être plus dommageables pour les entreprises communiquant au sujet de leurs activités responsables que pour les entreprises qui ne mentionnaient pas ce type d’activités dans leur communication marketing. Les résultats des deux études que nous avons menées montrent, de manière assez contre-intuitive, qu’une communication au sujet des activités socialement responsables de l’entreprise impactait l’entreprise de manière négative, lorsque cette dernière était ensuite accusée de comportements irresponsables, si la communication avait été réalisée par le biais d’une source indépendante considérée comme crédible, par exemple la presse. Dans l’une de nos études, nous avons pris l’exemple spécifique d’un article du magazine d’une association de consommateurs, mais cela pourrait être n’importe quel article de presse, ou tout autre média non contrôlé par l’entreprise concernée.

Comment l’expliquez-vous ?

Un effet de tampon et l’atténuation des effets négatifs des accusations sont obtenus si la communication initiale a été réalisée via un moyen de communication perçu comme moins crédible par les consommateurs, tel que le site web de l’entreprise. Une communication RSE n’empêche pas des accusations de comportement irresponsable de survenir. Il est donc indispensable pour l’entreprise de ne pas avoir des squelettes dans le placard. S’il existe un risque non négligeable de faire face à des accusations de comportement irresponsable susceptibles de porter sur le même type d’activités que celles mises en avant dans sa communication RSE, elle devra préférer ne pas communiquer sur le sujet. Si les accusations ne sont pas susceptibles de porter sur le même type d’activités que celles mises en avant dans la communication RSE, l’entreprise a intérêt à communiquer par le biais d’une source qu’elle contrôle, telle que son site web, c’est-à-dire une source que l’on peut considérer comme peu crédible. Dans ce cas, l’opinion que les consommateurs ont de l’entreprise est moins susceptible de varier et reste plus favorable à son égard. Si, en revanche, il existe peu de risques pour l’entreprise d’être accusée d’avoir commis des activités socialement irresponsables, il est préférable pour elle de communiquer au sujet de ses activités RSE et de le faire par l’entremise d’une source indépendante. Ce type de source est, en effet, considéré comme plus crédible et susceptible d’amplifier l’effet positif de la communication RSE, par rapport à une communication qui serait réalisée par l’entreprise elle-même.

Selon vous, les communications issues de sources externes indépendantes peuvent aggraver le ressenti des consommateurs ?

Oui. Cet effet est lié à ce que les spécialistes ont baptisé le persuasion knowledge des consommateurs, c’est-à-dire à leur connaissance des techniques utilisées par les entreprises pour les persuader. Les consommateurs ont parfaitement conscience que les entreprises embellissent les choses quand elles communiquent elles-mêmes sur leurs activités. Lorsqu’une communication RSE provient d’une source contrôlée par l’entreprise, ils activent leurs connaissances en matière de persuasion avant même que des accusations négatives n’apparaissent. Ce n’est pas le cas lorsque la communication RSE initiale est réalisée par une source indépendante. Dans cette situation, ce n’est qu’au moment où l’entreprise est accusée de comportement irresponsable que les consommateurs activent leur persuasion knowledge. Ils se disent que l’entreprise a sans doute trouvé un moyen de manipuler la source indépendante pour qu’elle donne une image d’elle plus positive qu’elle ne l’est en réalité. Ce type de pratique sera considéré comme inapproprié. On observe que les réactions négatives des consommateurs envers l’entreprise en raison des accusations de comportement irresponsable sont amplifiées, car les consommateurs n’y étaient pas préparés.

Catherine Janssen professeur à l’IESEG school of management

Parcours

> Titulaire d’un doctorat en sciences du management de la Louvain School of Management (Belgique), Catherine Janssen enseigne les méthodologies de recherche, d’étude de marché et la RSE en lien avec le marketing à l’IÉSEG School of Management. Ses travaux portent sur les réactions des consommateurs vis-à-vis des activités en matière de RSE, les crises d’entreprise et leurs implications marketing, et la consommation responsable.

Lectures

Leveraging corporate responsibility : the stakeholder route to maximizing business and social value, CB Bhattacharya, S. Sen et D. Korschun, Cambridge University Press, 2011.

Manager la responsabilité sociale de l’entreprise, J.-P. Gond et J. Igalens, Pearson Education France, 2012.

A stakeholder approach to corporate social responsibility : pressures, conflicts, and reconciliations, A. Lindgreen, P. Kotler, J. Vanhamme et F. Maon, Gower Publishing, 2012.

* Joëlle Vanhamme, Valérie Swaen, Guido Berens.

Auteur

  • Éric Delon